lundi 22 juin 2009

Première soirée vaudou


Vendredi soir, en pleine pluie diluvienne, nous nous sommes rendus à Carrefour, un secteur très défavorisé du pays qui a la caractéristique de recevoir une bonne partie des eaux qui tombent sur PAP. Trois pieds au dessus du niveau de la mer, les marchandes de Carrefour (et de Martissant son voisin) ont les pieds dans l’eau presque 12 mois par année. Flottent sur cette eau brune tous les fatras qui sont descendus du haut de Petion-Ville et des mornes surpeuplés. La scène est difficile à regarder. Pas encore osé la sentir. La voiture roule dans un bon pied d’eau pour nous amener dans une soirée vaudou. Le rectorat de l’Université d’État d’Haïti (UEH) a organisé cette petite soirée pour une dizaine d’universitaires venus d’un peu partout dans le monde aider Haïti à réfléchir sa réforme universitaire. Ayant appuyé l’UEH dans l’organisation de trois jours de réflexions sur la question, nous avons été invités à se joindre à l’aventure. Un deux heures bien intense, et ce même si la cérémonie était ‘framée’ pour éduquer des incultes. On a eu droit à la présentation d’un Wougan (ou Ougan ou encore Hougan, prêtre vaudou) qui nous a expliqué les différentes étapes de la cérémonie, ses dimensions symboliques et le rôle joué par les différents acteurs. Les tam-tams ont commencé à se faire aller et les danseurs-chanteurs ont pris place. Pendant près de deux heures, le rythme a lentement monté en intensité jusqu’au sacrifice d’une poule. Je n’ai pas tout saisi de cette aventure dans la mesure où nous avons vu qu’une infime partie de ce qu’est le vaudou haïtien. Ce qui m’a intéressé davantage – et sur lequel je devrais me pencher avant de quitter cette île – c’est la récupération haïtienne du vaudou (dont l’origine serait du Bénin) par les esclaves, et surtout la fonction sociale que ces pratiques ont joué tout au long de l’histoire du pays. Comme si le vaudou avait été le seul espace à appartenir en propre aux esclaves venus d’Afrique. Afin d’éviter les très grandes pressions des catholiques exploitants, les haïtiens auraient intégré à leur pratiques vaudous plusieurs symboles religieux des maîtres. Ce qui fait du vaudou haïtien, en apparence du moins, un melting-pot symbolique où se croisent les divinités vaudous, Saint-Pierre et une multitude de croyances animistes. Ici, on dit que 90% des gens sont vaudouisants dans la mesure où plusieurs pratiques ou attitudes de la population tirent leurs racines dans le vaudou : ici par exemple, on passe voir le Wougan avant d’aller consulter un médecin. À l’inverse, une minorité de la population pratiquerait réellement les rites vodous. Sujet un peu tabou (décrié par les autorités catholiques et protestantes), il semble que nous ne réussirons pas à voir une vraie cérémonie vaudou…

mardi 16 juin 2009

Première montée de lait


Je me réserve beaucoup de commentaires personnels ou d’opinions sur Ayiti. Je tente de conserver un regard un peu neuf, naïf. Peut-être que dans quelques semaines, quelques mois, je pourrais livrer plus facilement mes opinions, un peu plus libéré du syndrome de l’étranger. Pour ce qui se passe au Qc toutefois, j’estime avoir toute la légitimité de dire librement ce que je pense. On suit les nouvelles du Canada sur RDI. Avec Al Jazira, un RDi allemand, Euronews, un poste de Cuba et quelques CNN, RDI est l’une des chaînes d’un forfait d’information à la télé haïtienne. On s’y est abonné. J'ai donc suivi tous les spécialistes de la nouvelle discourir sur le chum adéqusite de la ministre libérale et le congédiement de Carbonneau. Hier soir en regardant le compte-rendu journalier de la vie québécoise, j’ai compris que l'on voulait empêcher des anglophones de Montréal de chanter à la Saint-Jean dans le quartier Rosemont. Quossé-ça ? C’est quoi cette connerie de fin du monde ? Comment se fait-il que ces vieux nationaleux francophones-blancs-catholiques-tricotés-fléchés peuvent-ils continuer à réguler la vie de notre société ? Les colons de Société Saint-Jean-Baptiste vont-ils mourir un jour pour qu’une nouvelle génération insuffle au projet souverainiste une autre allure, une nouvelle modernité ? Assis dans mon salon, j’avais honte, j’étais furieux. Devant mon ordi, toujours la même honte et la même furie. Deux étapes avant la déprime…

dimanche 14 juin 2009

Maudit athéisme


Mercredi matin dernier, on part en voiture avec Claudette et Jean-Claude. Jean-Claude nous amène au bureau et Claudette débarquera en chemin pour acheter ce qu’il faut pour préparer le souper, cabrit boucané, akras et pikliz sont au menu. En m’asseyant dans la Patrol, je pratique mon créole et demande à Jean-Claude ‘Ou te pase on bon nuwit ?’ (Est-ce que tu as bien dormi ?). ‘Wi, gras a dye (Oui, Grâce à Dieu). Les haïtiens t’offrent toujours une réponse en référant à la grâce de Dieu pour une question qui réfère au passé, ou à sa volonté pour le futur. Johanne lance donc un débat : ‘Jean-Claude, si tu avais passé une mauvaise nuit, est-ce que ce serait à cause de la volonté de Dieu ?’ Promptement, Claudette intervient : ‘Mais non, Dieu est bon. Si quelqu’un passe une mauvaise nuit, c’est qu’il n’est pas bon, qu’il n’a pas assez prié.’ S’ensuit une longue discussion (blocus ce matin-là dans les rues de PAP) sur l’impact de la bonté et de la volonté de Dieu sur la situation du pays, de la très grande pauvreté de sa population. Dans l’échange, Claudette a lancé une affirmation qui continue à me tourner dans le cœur et dans la tête : ‘Dieu a décidé de faire de moi une personne pauvre, et vous, des personnes riches. Si ce n’était pas sa volonté, on ne se serait pas rencontré.’. Elle est pauvre pour pouvoir travailler pour nous qui sommes riches. Pour elle, nos liens sont régulés par cette vérité. Jo a bien tenté de lui expliquer que nous serions bien plus heureux d’établir avec elle des rapports sur une autre base, mais rien à faire. Pour Claudette, et Jean-Claude qui silencieusement appuyait les propos de sa compatriote, si Dieu n’avait pas décidé de faire d’elle une personne pauvre, elle ne travaillerait pas pour nous. L’analyse qu’elle développe sur sa propre situation et celle de son pays, réside dans une résignation bien inscrite dans le discours religieux. Le QC francophone d’avant la révolution tranquille a bien connu ce genre d’état d’esprit, et ce même si le contexte est hautement différent. À l’inverse, la résistance tout athéiste avec laquelle j’intègre ce genre de discours, est coincé entre une certitude (peut-être naïve) et une dose de culpabilité. Claudette me ramène en fait en plein visage une réalité à laquelle je participe et qui induit un sentiment confus : La satisfaction d’aider quelqu’un qui voit sa vie et celle de son fils s’améliorer de manière hautement significative en travaillant pour moi, et une culpabilité d’entretenir une situation historique qui ne promet pas un changement positif réel et durable à une personne (une population). Je pense que je vais me remettre à croire en Dieu…

mercredi 10 juin 2009

Le salaire minimum, l’effet minimum

Dans mon dernier blogue, je vous parlais de la grève des étudiants sur laquelle s’était agglutiné le dossier du salaire minimum. Le dossier du salaire minimum est de plus en plus important dans le débat public. Depuis 9 ans, le salaire minimum est à 70 gourdes par jour (1,75 $US/jour). Au cours des trois dernières années, les politiciens des deux chambres ont débattu de la question. Vous allez me dire que c’est long trois ans, pensez-au dossier politique chaud de la couleur de la margarine au Québec et vous verrez que c’est court ! Donc les deux chambres ont voté dans les dernières semaines une loi qui fait passer le salaire minimum de 70 à 200 gourdes par jour (1,75 $US à 5 $US). Le problème est que le président ‘zigonne’ avant de promulguer la loi, coincé comme tout bon politicien entre la population et des groupes d’intérêts. Selon la constitution, il peut retourner les deux chambres à leurs devoirs en leur faisant des propositions afin que la situation débloque. Depuis les trois dernières années – à ce que j’en comprends bien évidement – le président a laissé les députés et les sénateurs palabrer sur cette question sans jamais se positionner ou tenter d’influencer le débat. Au moment où la loi a été votée, le patronat est sorti publiquement pour demander au président de ne pas promulguer une loi qui tuerait un marché du travail déjà famélique. Le débat est donc relancé et, aux yeux de certains, le président aurait dans les pattes tout une bombe sociale. Quand j’entends des gens s’énerver au sujet de l’augmentation (presque de 300 %), je souris un peu : si on part de ‘pas-grand-chose’, c’est assez facile de doubler ou de tripler la mise pour un peu moins de ‘pas-grand-chose’. Si on regarde l’évolution de l’inflation dans ce pays au cours des dernières années (http://www.indexmundi.com/haiti/inflation_rate_(consumer_prices).html), peut-être que le 300% apparait justifié : le taux moyen d’inflation entre 2003 et 2008 a été de plus de 18 %, avec un pic à 38% en 2003. Ce qui risque de sauver la paix sociale, c’est que le salaire minimum ne touche presque personne (30 000 moun seulement selon certaines sources, ceux qui travaillent dans la zone industrielle de PAP). En fait, la très grande majorité des ‘employés’ ayisyen (haïtiens en créole) bossent dans des réseaux informels où la loi, n’importe laquelle, ne s’applique pas. Ajoutez à cela que Les étudiants ont tous hâte de retourner en province pour les vacances, ça devrait refroidir l’été.

dimanche 7 juin 2009

Semaine de manifestations


Le Nouvelliste de ce samedi (la Presse du coin, mais moins épaisse) titrait ‘Étudiants ou casseurs’. Depuis plus de cinq semaines, les étudiants de la Faculté de médecine sont en grève. Ils publient une série de revendications plus ou moins réalistes (on veut que notre Université soit plus riche), veulent voir sauter le décanat et sortir les internationaux (dont notre projet …). L’absence d’une industrie de l’information en Haïti est l’un des problèmes qui me frappe le plus. Impossible de se faire une tête réelle sur ce que serait une information un peu plus juste (je ne parle pas de vérité). En fait, on a une industrie de l’opinion, les Jeff-Fillion sont très nombreux sur les ondes. Il devient donc difficile de bien comprendre un enjeu si on est pas en mesure de comprendre toutes les ramifications politico-intéressées d’un commentateur, d’un poste de radio, … Je navigue donc comme un imbécile dans cette marée d’opinions, sans trop savoir sur quelle cheval je risque d’être le plus solidement assis. Cette grève estudiantine serait liée selon certains au fait que le chef de file des étudiants était sur le bord de se faire mettre dehors de son stage à l’hôpital universitaire. Pour d’autres, c’est un des profs de la fac qui tirent les ficelles pour voir sortir le décanat, toujours frustré de ne pas avoir été choisi comme doyen. Pour d‘autres encore, les étudiants ne veulent pas voir de nouvelles exigences de diplômation mises en application, surtout que des étrangers (notre projet…) appuie la faculté dans son objectif de réviser le programme. Finalement, pour certains, la faculté est en train de vendre son âme au privé. Ce dernier argument est générique, plus besoin de soutenir ses idées avec des faits. Les manifestations des étudiants de la Faculté de médecine ont vue s’agrandir leur nombre de comparses, cinq autres écoles de l’Université d’État s’y sont joint. Pour améliorer le climat, le gouvernement est en train de reculer sur le salaire minimum (200 gourdes par jour, 5$ US) suite aux pressions du patronat. Le débat dure depuis un certain temps et les sénateurs avaient accepté le principe du 200 gourdes, mais les sorties publiques de derniers jours des associations patronales ont fait stopper le gouvernement. On est donc coincé avec des troubles relativement importants au centre-ville de PAP, violence, incendie, arrestations et tout le grenouillage nauséabond possible dans un contexte ou pauvreté, criminalité et politique dorment dans le même lit. Tout le monde s’accroche au chariot de l’autre pour expliquer ses excès. Les policiers ‘re-tirent’ aux manifestants les roches que ces derniers leur avaient garrochées. Les patients de l’Hôpital de l’Université d’État sont incommodés par les gaz lacrymogène utilisés par la police. Cinéma incendié. Voitures vandalisées. Pneus brûlés. Pis certains souhaitent voir la MINUSTAH quitter le pays. À moins que ce ne soit ceux qui vivent grassement de la présence de la MINUSTAH qui soient derrières ces manifs… Trop de fumée pour y voir clair !

mercredi 3 juin 2009

Petit stress

Je prends l'avion trop souvent depuis que je suis ici. Mes petites craintes deviennent de plus en plus ancrées, présentes. Aujourd'hui, j'ai vécu une vraie frousse. Dans l'avion de PAP vers le Cap-Haïtien (20 minutes de vol pour six heures de machine !), je fais quelques photos avec un 35 mm numérique, style qu'on regarde l'écran et non le viseur. En penchant l'appareil pour prendre une photo aérienne de la déforestation, je vois l'hélice du moteur s'arrêter. Bang de même ! Panique à bord. Le petit cœur fait trois tours et le cerveau se rappelle rapidement qu'un avion peu planer. Con et optimiste… En baissant l'appareil, 0,75 secondes max après avoir pris conscience que l'hélice ne tournait plus, je vois que dans les faits elle continue son travail. Deux ou trois essais avec la caméra pour comprendre que l’appareil ‘arrête’ l’hélice. Par le petit écran, on voit l’hélice ralentir et s’arrêter !!! Il y a sûrement un informaticien qui va m’expliquer l’affaire. Pour le psychiatre, les contacts sont déjà faits !