C’est une journée d’élection en Haïti aujourd’hui. Mon blogue compte quelques billets sur la question, on ne parle que d’élection dans les médias depuis notre arrivée. C’est un beau paradoxe, les haïtiens que je côtoie n’en parlent presque jamais. Un seul échange réel sur la question lors d’un dîner cette semaine. Une table de 8 où 7 personnes s’obstinaient en créole pendant près d’une heure sur la pertinence du processus, sa légitimité, l’intérêt d’aller voter, la neutralité de la Commission électorale provisoire (CEP), …. Moi, je contemplais. Les haïtiens sont tellement beaux et intenses quand ils discutent. Enfin, je sentais pour la première fois qu’outre les journalistes ‘jeff-fillionistes’, les haïtiens pouvaient s’enflammer pour la question. Pour les blancs, défense de sortir. De samedi à midi à lundi 6hoo, on nous proposait très fortement de rester à la maison. La circulation routière a été interdite pour la journée, les bars sont fermés depuis hier soir 9h00, en même temps que la vente d’alcool. Mes quatre voisins russes de la MINUSTAH sont partis en mission hier soir. Près de 10 000 policiers partout dans le pays pour tenter de contrôler la journée des élections. Certains exclus avaient demandé de boycotter les élections et le grabuge est toujours près à se faire une place dans ce genre de situation. Tôt ce matin, il y a eu échanges de coup de feu dans le Plateau Central (à Mirebalais), ce qui a eu pour effet d’annuler la tenue de sélections dans ce département. À PAP, il y a eu quelques coups de feu ce matin, mais rien d’assez grave pour enrayer le processus. Il semble que la police ait réagi de la bonne manière pour reprendre rapidement le contrôle. Depuis quelques semaines, les gens craignaient beaucoup le déroulement de la journée. La PNH et la MINUSTAH avaient préparé tout un set-up pour faire face à la situation. La crainte de troubles importants (il y a déjà eu des fusillades dans des bureaux de vote vers la fin des années 80) et la non confiance de la population à l’égard des politiciens (et de la politique) expliquent une désertion très grande. On parlait à la radio d’un 10% de participation… Il faut dire de plus que l’interdiction de circuler en voiture a empêché les services de transport en commun (les tap-tap) de fonctionner, ce qui a sûrement rendu l’exercice du vote assez ardu pour plusieurs personnes. Autour de nous (collègues, chauffeurs, femme de ménage,…) personne n’allait voter. Si au Québec certaines personnes se plaignent du cynisme ambiant concernant la politique et de ses impacts sur la mobilisation citoyenne, ici je ne vous dis pas. La corruption – et surtout l’idée que les gens peuvent s’en faire –, l’absence de résultats pour la population des politiques établies par le gouvernement ainsi l’occupation de la communauté internationale et la portée limitée de ses actions (sauf pour la sécurité et la classe riche) participent à l’émergence d’une vision de l’avenir … bouchée. Comme si l’espoir n’avait plus rien à s’accrocher sauf l’image un peu poussiéreuse d’une Haïti qui a déjà été un pays, d’une Haïti qui a été la première à se libérer du colonisateur en 1804. Ici, à tous les jours on nous parle de 1804. À la radio, dans les chansons, dans les éditoriaux. Quand la nation retrouvera la fierté de 1804 ? Quand les haïtiens reprendront le flambeau de leur destinée, comme en 1804 ? C’est donc coincé dans ce passéisme et une situation politique, sociale et géographique qui perdure à ne pas offrir beaucoup d’espoir à sa population, qu’on ne trouve pas l’intérêt d’aller voter. La semaine dernière, nous étions à la plage. Notre voisin de palmier était un soldat argentin de la MINUSTAH. Il me parlait de la situation politique de son pays qui, quoique nettement moins périlleuse qu’Haïti, invitait à un mépris total de la classe politique. J’en suis presque venu à avoir un petit béguin pour Stephen Harper et notre beau Canada.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire