On en surprend personne en disant que le
premier souhait de plusieurs haïtiens est de quitter leur pays. Sortir d’ici
pour aller au Canada, aux États-Unis, France ou Belgique, là où la vie est
meilleure. Là, du moins, ou mon frère, mon cousin ou ma tante vivent mieux.
Mieux que moi … ici en Ayiti. La fuite des cerveaux est sûrement une des
dimensions les plus signifiantes de la longue descente aux enfers de ce ti
peyi. Comme dans tout monde complexe, elle est en la cause et l’effet :
Les ‘cerveaux’ ont pris la fuite à cause des problèmes politiques et sociaux
qui gangrènent la vie quotidienne, et la perte de ces ‘cerveaux’ handicapent la
capacité du pays de sortir de ce marasme. Un collègue canadien lançait cette
semaine dans une rencontre que 84% des diplômés universitaires haïtiens
travaillent à l’extérieur du pays !! Je ne connais pas sa source, mais j’ai
tendance à lui faire confiance. Je parlais avec mon proprio-architecte qui
travaille trop parce qu’il n’y a pas de relève, deux ou trois générations ont
fui le pays. Un étudiant a fait son terrain de doc dans un hôpital du pays pour
étudier les motivations des résidents de différentes spécialités
médicales : 51 sur 52 rêvaient d’aller pratiquer ailleurs après leur
diplôme. Pour le 52ième, le jeune chercheur n’avait pas réussi à
l’interviewer… Dans cette gadoue, on sent toutefois un espoir. Peut-être
direz-vous que mes lunettes sont un peu trop roses, mais je perçois un petit
changement de ‘mindset’ comme on dit. Je ne suis pas le seul, certains journalistes
en ont parlé dans les dernières semaines. Des québécois qui nous visitent
régulièrement pour le travail sentent eux aussi une légère différence à la
sortie de l’avion. Au cours des dernières semaines, j’ai croisé 5 haïtiens dans
la quarantaine qui revenaient au pays. Carrière installée aux États-Unis
depuis plus de 15 ans et hop, on prend
un billet aller seulement avec toute la famille pour le pays d’origine pour
trouver du boulot, se lancer en affaire. Chaque année dans le cadre de notre
projet, 40 haïtiens obtiennent un diplôme de deuxième cycle en gestion des
services de santé. Le plus frappant
cette année est cette volonté très clairement affichée de plusieurs ‘privés’
(des diplômés qui ne sont pas issus de la fonction publique) de travailler au
sein du réseau public (conditions salariales et de travail misérables en
comparaison avec les ONG et les organisations internationales). Mon
proprio-architecte me disait qu’il avait observé le même phénomène au moment du
départ de Duvalier avant que, rebelote, les départs massifs reprennent au
moment des troubles de la présidence d’Aristide. À la blague je lui ai demandé
si c’est le retour de Duvalier qui inspirait cette nouvelle tendance ! Il a
rit. Un représentant de l’ambassade canadienne racontait il y a quelques
semaines que dans les hautes sphères de la diplomatie, on sentait une motivation
différente avec la nouvelle équipe gouvernementale. Qu’il se passait un petit
quelque chose, que le vent était peut-être en train de tourner. Tant qu’il n’amène
pas d’ouragan !!!
4 commentaires:
Sous Aristide il y a eu plusieurs "diaspora" bien intentionnés qui sont revenus travailler dans la fonction publique pensant y apporter leur compétence pour faire avancer le pays. Plusieurs se sont rendu compte, parfois au péril de leur vie, que "compétence" et "faire avancer le pays" n'étaient pas du tout au goût du jour. Je ne suis pas sûr que cela ait beaucoup changé sauf peut-être au niveau du président et de son entourage immédiat. Mais c'est probablement devenu un peu moins risqué d'être compétent, à condition de ne pas trop l'afficher .
En tout cas ça serait bien que pas seulement les ONG et les missionnaires évangélistes se rendent compte qu'Haïti est un pays d'opportunités .
Ce qui est encourageant aussi c'est que l'Afrique, un continent qui semblait perdu il y quelques années à peine, commence à se développer avec pas mal de vigueur. Ça devrait donc être possible en Haïti .
Les "élites à la peau claire", pour reprendre l'expression du sénateur Moïse, commencent aussi à reprendre du poil de la bête au sein de l'État haïtien (même si deux premiers ministres désignés ont été éliminés). C'est bon signe parce qu'elles avaient été à toutes fins pratiques exclues de la politique depuis 1946 même si (ou parce que) c'est sous leur gouverne que le pays a souvent progressé. Comme ce sont des cerveaux qui ne fuient pas trop, alors aussi bien en profiter .
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