lundi 21 février 2011
La réconciliation
C’est le mot à la mode dans cette campagne. Un peu comme le ‘Nous sommes prêts’ de Jean Charest il y a quelques années au Québec. La stratégie de communication de Martelly est évidente. Propre de toutes allégeances ou influences politiques (même si des rapprochements avec l’époque duvaliériste semblent évidents), Martelly se présente comme celui qui peut réunir les gens de toutes les tendances politiciennes qui ont usé leur fond de culotte sur la tête de la population depuis plusieurs décennies. Dans des salons où on a mangé dans les dernières semaines, on a aussi entendu ce genre de discours. Il faut une réconciliation nationale pour passer à autre chose. L’Afrique du Sud et le Rwanda servent d’exemples à tous ceux qui aspirent à pardonner et à se faire pardonner. ‘A’s qui parra’, la société haïtienne serait divisée (pour les lecteurs français, A’s qui parra est du québécois, pas du créole...). Je vois bien la division en Afrique du Sud ou au Rwanda, mais j’avoue qu’elle me semble un peu plus diffuse ici en Ayiti. Ça sent davantage la nébuleuse. On peut bien réunir un devant l’autre Duvalier et Aristide, mais je ne suis pas en mesure d’imaginer que l’on installerait en face-à-face deux groupes ‘prédominants’ et ‘distinctifs’ de la population. Blanc contre noir en Afrique du Sud ou Tutsi contre Hutu au Rwanda, ça me semble plus nette comme division éventuellement réconciliable. Ici, je tente d’imaginer comment les politiciens des 150 partis se répartiraient de chaque côté de la table, comment ils seraient en mesure de demeurer du même côté pour toute la durée de la consultation. J’avoue, je ne me réconcilie pas encore avec la proposition.
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5 commentaires:
Il faut imaginer une réconciliation entre Hells Angels, gangs de rue et mafia italienne: c'est concevable, n'est-ce pas? Même avec les couleurs l'analogie fonctionne (toutes proportions gardées): les Hells Angels plutôt blancs (Cédras), la mafia plutôt basanée (Duvalier), et les gangs de rue plutôt noirs (Aristide). On se bat et/ou on fait des alliances pour (et avec) l'argent de la drogue, l'argent des contrats gouvernementaux, etc. Il n'y a rien là dedans de bien mystérieux ni de bien étrange. Il faut juste voir la politique haïtienne pour ce qu'elle est.
J'ai un dictionnaire Littré de 1959 qui donne la définition suivante du mot "réconciliation": "Dans les législations barbares, acte par lequel des personnes, des familles se réconciliant, abolissent le souvenir des injures, des meurtres, etc." C'était avant la "political correctness"...
Lu sur Haïti-Libre: "Youri Latortue a rappelé que... Michel Martelly... n’aurait pas droit de cité dans le vaste bidonville de Cité Soleil si l’ex-Président Aristide se trouvait aujourd’hui en Haïti." Une façon de lui reprocher de ne pas être noir...
Je pensais à vous en lisant un texte de Laennec Hurbon ("pour une sociologie d'Haïti au XXIe siècle, la démocratie introuvable") : p. 100:
"Dans le cas d'Haïti où toutes les occasions sont bonnes pour lancer l'inévitable refrain sur les "ancêtres tutélaires", on a l'impression de s'installer dans le passé, dans l'impuissance à accéder à une mémoire véritable : celle qui devrait être sans fond, pleine de silence et d'où un avenir créateur serait pensable. Peut être même qu'à travers toute la Caraïbe, l'ivresse d'une identité pleine, mais toujours déjà méconnue et violée, nous donne de paraître héroiques à nos yeux, à force d'avoir été et d'être encore victimes(...) Toute perception d'une scission interne de soi est soigneusement évitée, tout conflit inscrit dans notre propre histoire, et dans notre propre culture, est renvoyé à un dehors, repoussé sur le registre de "l'étranger". Telle est d'ailleurs l'une des sources de la fortune de la notion de "réconciliation nationale", notion floue et propice à toute sorte de dérive et de dénégation par rapport à une interrogation sur les fondations réelles de notre société dans la région carribéenne. L'idéologie de "l'authenticité" s'apparente au même système d'aveuglement concernant un passé "glorieux", à la mesure de la prétention à effacer toute trace de conflit interne à soi-même et à sa culture, par quoi est toujours préservée une soi-disant stabilité, et soupçonnée toute tentative de critique qui ne porte pas sur des objets fantasmatiques...
(...) La mémoire d'un peuple est toujours soumise à un procès de reconstruction et d'invention en fonction d'une orientation politique donnée. Pour ce qui nous concerne en Haïti, au coeur d'une interminable transition vers la démocratie, les 34 ans de banditisme au pouvoir constituent un fardeau difficile à porter, pour la simple raison que nous ne parvenons pas à les renvoyer dans l'oubli. En effet, ce n'est pas en recourant pieusement à une "réconciliation nationale", ou en appelant à l'absolution sans jugement des bourreaux, que le pays sortira de sa crise. Et il en sortira encore moins quans nous prenons Dieu comme le justicier qui plus tard, ou tôt ou tard, punira pour nous "le méchant". Kreyon Bon Dieu pa gen gonm ("le crayon de Dieu n'a pas de gomme"), tel est en effet le dicton qui exprime souvent en Haïti, en dernier ressort, le désespoir vis-à-vis du dystème judiciaire. Dieu ou la providence devient, paradoxalement, la seule vraie mémoire, dans la mesure même où la société se reconnaît incapable de s'en donner une et donc de prendre en charge son destin"
le lien vers le livre en ligne : http://books.google.fr/books?id=jVORZIpWBgsC&printsec=frontcover&dq=laennec+hurbon+la+d%C3%A9mocratie+introuvable&source=bl&ots=IX3883Sb74&sig=ZirPvP4hDgK5HlQvADS5M0A2_iw&hl=fr&ei=6y1pTaiHM8Ok8QO12OnyBw&sa=X&oi=book_result&ct=result&resnum=1&ved=0CBgQ6AEwAA#v=onepage&q&f=false
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