mercredi 28 novembre 2012

La théorie


Chantal Guy, la journaliste de La Presse qui a décrit toute en sensibilité ses passages en Haïti, en parlait comme d’un amour impossible. D’un pays qu’on aime détester, une espèce de relation amour-haine. Peut-être avait-elle raison ? C’est le genre de conclusion que je tirais lors de mon passage ce weekend à la douane de Malpass. Un paysage plus proche des décors de films de fin du monde. Des ‘faux officiels’ dominicains qui, l’eau jusqu’aux genoux, circulent entre les voitures un gun à la main ou une carabine accrochée au cou pour nous demander nos papiers. « Documento de identidad ! » Je garde la fenêtre fermée en l’ignorant gentiment. Il va refaire trois tentatives avant de comprendre que je ne serais pas payant. C’est le genre de traquenard dans lequel tu ne te fais prendre qu’une seule fois. Les policiers et militaires officiels dominicains regardent amusés ces arnaqueurs coincés des touristes qui traversent de l’autre côté de l’enfer. On vient de passer presqu’une semaine à Santo Domingo. Question de changer le mal de place.  Je n’étais pas sorti d’Haïti depuis août dernier, la théorie du ‘changer d’air au trois mois pour survivre’ se confirme une fois de plus. Se confirme également ce sentiment étrange qu’une fois sorti d’ici, on ne pense qu’à y revenir. Il faut dire sur ce point que les dominicains ne nous incitent pas à nous ‘enfarger les pieds’ très longtemps chez eux comme on dit chez nous. Je ne sais pas comment est la vie dans les resorts qui permettent aujourd’hui à l’économie nationale de fleurir, mais en pleine ville, dans le quotidien citadin d’une capitale de près de 3 millions d’individus, les haïtiens nous manquent rapidement. Il y a d’abord cette opulence d’un centre-ville clinquant avec toutes les boutiques de luxe que vous pouvez imaginer (Louis Vuitton, Cartier, etc.), opulence qui côtoie une indigence aussi pauvre que sale. Un moteur de Ferrari siffle dans les oreilles d’un cheval famélique qui tire une charrette de fruits et de légumes. Et sur l’autoroute en plus. Le même pays, le même peuple, la même rue, …  Il y a aussi cette ‘violence’ qui transpire de tout. La violence criminelle (le taux de criminalité dans cette ville est nettement plus important qu’à PAP : On comptait 23,57 meurtres pour 100 000 habitants en Rep Dom (2009), deux fois plus qu’en Haïti ou le taux est de 11,5), celle de l’arbitraire policier qui nous interpelle pour n’importe quoi et son contraire, celle de l’unilinguisme obtus de ceux qui assument ce que l’on appelle le service à la clientèle. Vous comprenez donc que le bonheur de sortir d’Haïti pour entrer en République Dominicaine, est au moins équivalent que celui de quitter la République Dominicaine pour entre en Haïti. La différence tient au fait que lorsqu’on entre ici, on sait que ce n’est pas que pour quelques jours de vacances. C’est pour la prochaine sortie dans trois mois, question de respecter la théorie.

mercredi 14 novembre 2012

Plus d'espace pour décompresser

Ce midi à l’hôtel, mon collègue haïtien me raconte que pour sortir le pays de son marasme, on devrait retourner à la dictature. Dans le bon temps où son père était un dirigeant macoute du nord du pays, les choses étaient claires, propres surtout. La magouille ambiante depuis le départ de Papa Doc est comme un miasme qui envahie les poumons de tous, sans distinction aucune. La vie publique haïtienne est débordée depuis deux semaines par des histoires de magouilles criminelles qui frappent à tous les niveaux de la structure sociale. Le fils d’une des 3 familles les plus riches et puissantes du pays est en prison depuis deux semaines, il dirigerait un réseau de kidnappeurs. La police américaine s’est impliquée dans l’enquête et depuis la confirmation de son installation dans ses nouveaux appartements assurément moins luxueux, les rumeurs n’en peuvent plus d’associer tout le monde à son réseau. La bourgeoisie haïtienne comme les proches du président y passent. Au moment où on l’installait sous les barreaux, on mettait également en dedans des policiers impliqués directement au sein de ce dit réseau de kidnappeurs. La semaine dernière, un supérieur de la PNH s’est fait tiré une balle dans la tête en laissant ses deux enfants à l’école et on ne sait pas comment il est ou non associé au dossier du réseau de kidnappeurs. L’ancien chef de la police est maintenant en résidence surveillée, certaines personnes veulent sa tête sans savoir si oui ou non elle resterait associée au reste de son corps. Samedi soir dernier, un policier est entré dans une fête à la Faculté de droit pour installer dans la tête d’un étudiant une seule entre les deux yeux. Depuis, la vie au centre-ville est perturbée par les coups de feux et les gaz lacrymogènes. Dans cette logique irrespirable, la PNH vient de publier une liste de plus de 70 policiers qui seront ‘virés’ à cause d’un train de vie (maisons, voitures, …) impossible à expliquer avec leur seul revenu de l’État. Drôle qu’on ne les associe pas à certains crimes payants, mais uniquement au fait qu’ils génèrent trop d’argent pour être des policiers honnêtes … Et finalement, le coin de Cité-Soleil tranquille depuis que nous sommes ici, réactive la guerre des gang. Ça tire dans le secteur et les déplacements vers la mer sont plus risqués. Dire qu’on y allait pour décompresser.

lundi 5 novembre 2012

Haïtienne poésie

Vous savez qu’Haïti est l’un des pays où il se publie le plus de livres par tête-de-pipe. Il fallait voir la dizaines de nouveaux bouquins sur le tremblement de terres à la foire du livre qui a eu lieu 4 mois après le 12 janvier … Vous me direz que c’est normal, la logorrhée haïtienne étant ce qu’elle est, elle se transforme en bouquin aussi facilement qu’en discours ! Peut-être ? Heureusement, cette fécondité n’implore pas que la quantité, mais fleurte également avec la qualité, les haïtiens ayant trouvé le moyen de gaber de manière régulière des prix littéraires. Mercredi soir, il était déjà sûrement trop tard pour ce jeune poète qui vendait ses strophes dans le stationnement du market. Je sais que les artistes ne dorment pas la nuit comme tout le monde, mais quand même ! Le ti-cul de 8 ans vendaient ses poèmes aux âmes sensibles. Des rimes en ‘eur’ pour 14 strophes au titre évocateur (je m’y mets moi aussi) de ‘Tu es’.
Tu es la rose qui fleurit dans mon cœur
Tu es le diamant qui me décore l’intérieur
Tu es le mouchoir qui essuie mes pleurs
Et tu es la force qui enlève ma douleur

Quelques petites coquilles seulement. Je trouvais que le ti-cul avait de l’audace pour se promener entre les voitures afin de vendre sa poésie aux pressés qui sortent de l’épicerie les mains pleines de sac. Alors que lui, bien évidemment, a les poches vides d’argent. Je n’ai pas trop regardé, on devient allergique à ces vendeuz de n’importe quoi ou à ces jeunes ‘Maximum security’ qui nous sautent dessus à la sortie de tout commerce qui attire le blanc. Jo, elle, s’est arrêtée et elle a acheté. Je ne sais pas trop combien de kob le ti-cul a pu faire dans cette soirée aussi noire que froide de chaleur humaine, il faut espérer que sa créativité lui soit payante. J’espère surtout le revoir sur un stationnement en train de vendre sa poésie, moi aussi je vais partager ma richesse.