mercredi 31 mars 2010

Les échos de NY


Ici, NY n'a pas fait beaucoup d'écho. Sauf à la radio, la radio fait toujours de l'écho. La seule chose que l'on a compris c'est qu'après la pluie d'hier soir (ou avant celle des prochaines semaines, c'est selon), les millions allaient pleuvoir. Des politiciens un peu choqués se sont fait entendre sur les ondes. Trop de ça et pas assez de l'autre chose. Où est la société civile dans l'affaire ? Les syndicats ? Les agriculteurs ? … On a même eu droit à quelqu'un venu raconter que cette rencontre ne respectait pas la constitution du pays. Les canadiens (les québécois entre autres) fatigués d'entendre parler de constitution ne vivraient pas deux semaines dans la vie politico-médiatique d'Ayiti. Je parlais avec un collègue du rectorat de l'Université d'État qui me disait que même si le Président a fait beaucoup de place à l'éducation dans ses propos d'ouverture, les investissements prévus dans le plan proposé à l'international étaient bien en deçà du discours. Un politicien a été un peu moins poli à la radio quelques minutes plus tard en disant que le Président pouvait bien parler d'éducation sur la scène internationale alors qu'il n'a rien fait dans ses deux mandats à la tête du pays : Près de la moitié de la population est analphabète alors que 85% des places dans les écoles sont au secteur privé, même si la constitution prévoit l'école gratuite pour tous ! 'Le Président préfère les routes aux écoles ...' Pour un autre, ce n'est pas des milliards dont le pays a besoin, mais davantage d'une révolution au plan des mentalités et de l'organisation de la vie sociale et politique. En fait, il y a ce sentiment assez généralisé ici à l'effet que ce genre de forum pour aider Ayiti a eu lieu à plusieurs reprises sans jamais rien apporter de concret et de constructif pour la population. Le manque de confiance est double, la communauté internationale et l'État ayisien en font les frais. Je vais aller lire les journaux internationaux demain, peut-être me remonteront-ils le moral !

Les ayisien sont propres pour le grand jour

Comme pour tous les jours ou pour les grands jours, les haïtiens sont toujours très propres. Très bien mis, la fierté nationale passe par là itou ! Hier soir et cette nuit, tout a été fait pour que les centaines de milliers de moun qui vivent dans les camps soient le plus propres possible pour la grande journée de NY. Il a mouillé des cordes, pis des cordes. Tout le monde est paré, que le spectacle commence !

mardi 30 mars 2010

NY me fait rêver


Demain le grand jour. Tout le monde se met beau pour aller à NY discuter de l'avenir d'Ayiti, de sa reconstruction surtout. Ici, pendant que certains s'énervent sur le déroulement de cet exercice et la place que les ayisien (les vrais) y auront, d'autres n'ont aucune once d'inquiétude sur ce qui sortira de cette conférence, c'est-à-dire rien… On entend les premiers - ceux qui sont inquiets - sur les ondes des postes de radio (la radio poubelle est populaire en Haïti malheureusement) et dans l'arène politique. Des politiciens vocifèrent contre le pouvoir en place (le Président et son parti) et les internationaux. Ensembles et sans la participation des vrais ayisien, on aurait concocté un plan qui sera présenté à NY et qui nous permettra de nous graisser la patte. Comme caricature, c'est assez efficace dans la mesure où c'est simple et en partie appuyé sur la vérité, ou du moins une certaine lecture de la réalité. Les quelques présidents qui ont quitté le pays (il y en a au moins trois en exil présentement) ne se promènent effectivement pas en Lada. Ces discours sont très fortement teintés par une forme de nostalgie nationaliste et une lecture de l'histoire où le blanc est associé à l'esclavagisme exploiteur. Ici encore, simple mais avec une certaine efficacité. 'Ayiti a inventé la démagogie' me dira un collègue. Pour les seconds, ceux qui ne s'énervent pas, l'avenir sera encore une fois un 'copier-coller' du passé. Un xième plan pour sortir la population ayisiènn de la descente aux enfers dans laquelle elle semble inexorablement inscrite, un xième plan qui restera dans les cartons. Pour moi maintenant (j'oublie encore une fois ma ligne éditoriale, désolé), je n'arrive pas à faire autre chose qu'à me mettre sur le mode idéaliste. Naïf-conscient, ça existe je vous le jure, j'en suis. Je demeure confortable dans cette position du 'bon gars un peu imbécile' qui ne veut pas voir la partie triste de la réalité, qui espère fondamentalement qu'une étincelle d'humanité sortira de ce grand forum. Les moyens et l'expertise sont là : Conditions nécessaires mais pas suffisantes ! Si les dirigeants d'Ayiti comme ceux de la communauté internationale arrivent, cinq minutes seulement, à sortir des discours creux et à laisser tomber les différents intérêts qui régulent leurs actions et qui expliquent leur sclérose, peut-être pouvons nous croire que le sort des 8 millions d'haïtiens qui ne mangent pas tous les jours commencera à s'améliorer. NY m'a toujours fait rêver…

lundi 29 mars 2010

Nouvelle gouverne toute 'canadian' : Deuxième partie


Je me suis mis les pieds dans les plats il y a quelques jours… J’avais pourtant respecté ma ligne éditoriale depuis plus de 18 mois et j’ai succombé en appuyant l’idée de M Moore. ‘Assume mon homme, assume !’ C’est effectivement ce que je m’apprête à faire. L’idée donc d’une gouverne toute canadienne (ou d’un autre pays) pourrait ressembler en fait à ce qui se vit avec les Casques bleus : Un pays qui dirige une force multinationale. Le Brésil fait le travail ici au sein de la Minustah et les rumeurs sont généralement favorables. Certaines personnes (dont le Président Préval lui-même) proposait la création d’une force internationale (les Casques rouges) pour coordonner l’aide dans les pays confrontés à une catastrophe naturelle, force qui pourrait elle aussi être coordonnée par un seul pays. On réglerait peut-être le fouillis que l’on connaît au plan de l’aide internationale et qui s’est exacerbé dans les jours qui sont suivi bagay la. Ce premier aspect ne pose pas de gros défis politiques ou sociaux pour les haïtiens, on ne parle que de coordonner l’aide. L’idée de Moore va plus loin, elle présuppose une prise en main politique du pays pour les 15 ou 20 prochaines années. Ici, les réactions sont mitigées. On rencontre des gens pour qui la crise humanitaire est trop grande, ils veulent voir leur pays sous tutelle internationale, exit les dirigeants ayisien, pis au pc ! On discute avec d’autres qui préfèreraient voir Ayiti reprendre son statut de colonie, question de recevoir l’aide structurante d’une métropole et maintenir une certaine autonomie. Et finalement, certains qui refusent (plus ou moins énergiquement) que la souveraineté de leur État soit menacée. Mes premières interprétations du discours de ce dernier groupe tournaient toujours autour d’une réaction ‘nationaliste’ un peu classique qui s’inscrivait dans la grande force des ayisien de se remémorer leur histoire esclavagiste et le rôle historique qu’ils ont joué dans le début de la fin de l’esclavagisme (ou presque malheureusement, il y a de ces tares qui restent actives un peu partout dans le monde) et des pratiques colonialistes. Deux victoires de hautes luttes, les Français et les Américains entre autres leur ont fait payer le prix pendants des années d’avoir réussi ces deux premières… L’autre aspect de cette réaction est plus politique. Elle se manifeste de manière officielle dans le discours du Premier-Ministre et du Président : Ayiti sera reconstruit PAR des ayisien, et POUR des ayisien. Plusieurs ayisien qui appuient ce discours nous disent que le PAR et le POUR auraient leur importance historique, la communauté internationale ayant trop souvent contrôlé la direction du pays pour pouvoir mieux piller ses ressources naturelles. Il y a également l’autre lecture de la réaction politique, disons simplement plus intéressée : ‘Les politiciens ont la main dans la caisse depuis des années, vous ne leur enlèverez pas ce privilège’. Les graffitis qui ont fait leur apparition un peut partout à PAP depuis quelques semaines seraient la réaction ‘informelle’ de ces intérêts : aba blan, aba okupasyon, aba ong, ou encore viv retou Aristide, viv Préval, viv senate X … L’idée de M Moore (que je partage …) a donc plusieurs défis avant de pouvoir se réaliser. Convaincre les politiciens aysien, une partie de la population et les grands acteurs de la communauté internationale… Tout est dans la manière, Obama nous l’a démontré la semaine dernière !

samedi 27 mars 2010

Merci d'envoyer des psy


L’offre et la demande est un drôle de jeu de souk-à-la-corde. Bagay la aura bouleversé ce grand jeu de l’équilibre dans certains secteurs économiques, la psychologie étant l’un de ceux-là. Je sais que des gens n’aimeront pas que je définisse la psychologie comme une ‘activité économique’, mais être fou et bien, ça coûte très cher ! Ici en tout cas, les prix ont fait tout un bond. Je travail actuellement avec des psychologues qui, en fonction de la tête du client, chargeaient entre 500 gourdes (12 $US) et 1500 gourdes (38 $US) pour une consultation. Depuis bagay la, les prix sont passés à au moins 6000 gourdes (150 $US) pour la même séance. En fait, la hausse de la demande est vertigineuse alors que l'offre demeure rachitique. Tout le monde veut consulter et toutes les ONG embauchent des psy pour aider les employés qui étaient là le 12 janvier, ou encore la clientèle qui n’arrive pas à se sortir de la torpeur de bagay la. Parce que des gens qui ne s’en sortent pas, il en rentre tous les jours dans les hôpitaux et les ONG. Au gros max, ils seraient une quarantaine de psychologues dans le pays, difficile de contrôler les prix quand l’offre se fait aussi rare. La chose intéressante dans l’affaire (pour rester dans la dimension économique) est de voir comment au plan de l’acceptabilité sociale, cette discipline a tiré avantage de bagay la. Comme dans le Qc de ma jeunesse, avant le 12 janvier les ayisien entraient chez le psy comme dans la section XXX du club vidéo. À l’inverse du Qc d’aujourd’hui où c’est rendu ‘in’ d’avoir son psy, ici le psy est rendu une nécessité. On rencontre des responsables d’hôpitaux ou du Ministère de la santé qui nous demandent d'augmenter l’offre de service en psychologie : ' il nous faut des psychologues, beaucoup de psychologues'. Pas simple de trouver des psy qui parlent créole, il y a des dimensions de la vie où la traduction (simultanée ou non) frappe durement ses limites... La population a donc grandement besoin d’une aide psychologique, à ajouter avec les tentes et la bouffe dans les containers. Merci !

vendredi 26 mars 2010

Mwen te la


Dans une lecture simpliste des choses, il y aurait des vrais et il y aurait des faux. C’est-à-dire ceux qui ont vécu bagay la et ceux qui ne l’ont pas vécu. Ceux qui ont quitté dans les premiers jours et ceux qui sont restés. Ce genre de commentaires circulent. Il y a cette distinction là dans les discussions de machine à café : ‘T’étais là ? Tu as été rapatrié ? T’es resté ?’ Sur le retour de Jacmel cette semaine, ma collègue me racontait que son conjoint (à l’étranger le 12 janvier, mais revenu deux jours plus tard, ses bistouris n’en pouvant plus de l’attendre) avait ce sentiment mitigé de ne pas avoir vécu le grand brouhaha. Une certaine culpabilité liée à son absence auprès de ses proches et de sons pays, mais également un sentiment ‘de ne pas faire partie de la gang’. Comme si l’aventure et les premières semaines qui ont suivi avaient soudé une ‘communauté de bagay la’. Encore aujourd’hui, j’entends ce genre de remarques sur des pseudos-vrais et des pseudos-faux. On a même mis en vente un chandail où il est écrit Mwen te la (j’étais là). J’avoue, je l’ai acheté… On vient donc d’inventer une nouvelle classe sociale, une nouvelle couleur de peau dans un pays où les distinctions entre noirs, blancs et gens de couleurs (les mulâtres, ceux qui ne sont ni noirs ni blancs) ont été et sont toujours tellement prégnantes dans la vie sociale.

jeudi 25 mars 2010

Quelques premières


Pour la première fois, je suis passé par l'épicentre. Je sais que le sismologues ne veulent pas que nous parlions d'épicentre, mais ça existe dans notre tête de néophyte en bagay la. Les images sont frappantes, différemment de celles de PAP, mais frappantes quand même. La différence, c'est que la nature est fortement affectée. J'allais à Jacmel passer la journée avec des survivants… Regardez bien l'image au dessus, le premier étage se trouve au rez-de-chaussée, le deuxième au premier. En fait, vous ne voyez plus le rez-de-chaussée, complètement écrasé ! Une chance, une vraie, tout le monde était au premier et personne n'a eu le temps de descendre l'escalier pour sortir de l'édifice. La personne qui aurait pris la stratégie de descendre l'escalier pour sortir par la porte aurait été simplement écrasée par le premier et le deuxième étages. Le directeur départemental qu'on allait rejoindre s'est installé sous le cadre de porte de son bureau, comme on lui avait montré à l'école. Il s'est subitement senti descendre d'un étage : 'Le même effet que dans un ascenseur…'. Pour la première fois de sa carrière à ce poste, il est sorti de son bureau ce soir là directement sur la rue. Il y a toujours une première dans la vie !

mardi 23 mars 2010

Nouvelle gouverne toute 'canadian' : Première partie


Il y a ces idées de fous que tu te refuses de rendre publique sur ton blog. Il faut se garder une petite gêne ! À la limite, j'ai accepté - après quelques rhums il faut le préciser - d’en discuter avec des amis. Depuis mon premier séjour en Haïti, j’ai cette idée en tête qu’un certain Thomas Moore (un conseiller du Président Reagan) vient de rendre publique : Le Canada deviendrait gestionnaire d’une nouvelle forme de gouvernance internationale (tout pour éviter le mot tutelle) pour Haïti… Il parle de 10 à 20 ans, j’imaginais davantage de 30 ans. Dans un texte envoyé à Ban Khi Moon, un Monsieur Siméus (ex candidat à la Présidence d’Haïti, je sais je sais...) parlait lui d’une nouvelle forme de gouvernance contrôlée par l'internationale pour les 20 prochaine années en Haïti. Il proposait même de reporter toutes élections présidentielles à au moins 20 ans, il fallait selon lui réformer la démocratie dans ce pays pauvre. Il s’appuie entre autres sur les magouilles qui auraient ponctué toutes les élections depuis le départ de Baby Doc. Sur ce dernier sujet, il faut lire l’avant dernier chapitre de ‘L’énigme haïtienne’ de Sauveur Pierre Étienne. Selon M Moore, le Canada a plusieurs qualités pour remplir ce mandat : On y parle français, le pays n’au aucune histoire colonialiste (à l’extérieur de son territoire et au plan politique du moins) et il a la réputation de gouverner les fonds publics de manière responsable (respect des règles et transparence entre autres). J’ajouterais à cet argumentaire le fait que le Canada demeure un pays non menaçant pour les États-Unis et la France, deux joueurs essentiels dans l’histoire et l’avenir d’Ayiti. Quant à la durée relativement longue de cette intervention, elle permettrait de refonder le pays au plan de ses infrastructures et de son économie (routes, aqueduc, électricité, agriculture…), et de former deux ou trois générations de techniciens, professionnels, gestionnaires, …. Le Moore en question va même jusqu’à proposer que son idée fasse l’objet d’un référendum auprès de la population haïtienne, référendum assurément gagnant selon lui. Je suis obligé d’avouer que je partage sa folie, à la limite qu’il me l’a volée. Les défis seraient très grands pour concrétiser ce genre d’aide internationale et la nature des relations internationales ne permet sûrement pas de penser, à ce stade-ci de l’histoire, que l’on puisse facilement accepter un projet qui inscrirait un pays (même le ‘pluss beau pays du monde’) au centre d’une si vaste intervention. Ai-je déjà parlé de compétition internationale sur ce blog ? Imaginons trente secondes que le principe d’assistance à un peuple en danger incite des dizaines de pays et d’organisations internationales à accepter d’inscrire leur appui dans une vaste stratégie coordonnée par un seul des leurs. Il y a bien évidement un vrai plan qui permet à l'État ayisien de reprendre progressivement les pouvoirs et retrouver sa pleine autonomie. Imbécilité, naïveté, colonialisme nouvelle mode ou idéalisme, choisissez !

lundi 22 mars 2010

Cash for work


Dans la réalité du syndicalisme, une jaune est un briseur de grève. Disons que dans la logique binaire qui prévaut en ce bas monde, le jaune est l'ami de certains, l'ennemi d'autres. Ici, les travailleurs au maillot jaune sont ceux du programme 'cash-for-work'. 85 000 travailleurs à qui les organisations internationales donnent 180 gourdes par jour (autour de 5$ dans le contexte) pour faire du boulot défini par les municipalités : Nettoyer les rues, déblayer les sites détruits, … En passant, 180 gourdes par jour correspond au salaire minimum pour une grande partie des travailleurs d'Haïti (http://jeanfrancoislabadie.blogspot.com/2009/06/le-salaire-minimum-leffet-minimum.html). Comme pour le reste, ce programme cash-for-work ne s'est pas installé facilement. Certaines personnes critiquent ces gens qui acceptent un travail alors que les organisations de la société civile haïtienne auraient pu recevoir les fonds et assurer une distribution du travail (donc du cash) auprès d'un plus grand nombre de personnes vivant dans les camps. Les idées vertueuses poussent ici plus rapidement que la mauvaise herbe sur les pelouses de Brossard ! Il y a eu quelques retards de paiement qui ont donné lieu à des manifestations de travailleurs. Certains employés municipaux se scandalisent qu'on leur vole leur travail… Finalement, les journaux nous parlent de la petite magouille entourant ce programme : Des gens qui ne travaillent pas et qui réussissent à recevoir un salaire. Sur le fond, on voit ces équipes à l'oeuvre un peu partout dans la ville et bien naïvement, on a enfin le sentiment qu'il se passe quelque choses pour commencer à dépoussiérer la situation. Ces programmes cash-for-work sont utilisés par les organisations internationales dans les pays où il y a ce genre de désastre. Ce n'est bien évidement pas très structurant comme aide, mais dans le contexte, on permet à près de 100 000 familles de mieux vivre pour la durée du programme. Ce qui me fait davantage sourire, c'est le nom du programme (cash-for-work) dans un pays construit politiquement et symboliquement autour de l'esclavagisme. Peut-on s'imaginer ici en Ayiti, ou ailleurs dans le monde, un no-cash-for-work ? On s'approche d'un pléonasme.

dimanche 21 mars 2010

Et si les médias s'intéressaient à la reconstruction


On revient de la mer, autour de nous, ça sentait le Coppertone… Plein de nouveaux expats qui profitent du soleil et de la mer plus verte que bleu. En entrant à la maison, j'ouvre l'ordi pour aller voir si Obama a gagné son pari au sujet de la réforme du système de santé, le vote est plus tard ce soir… Sur le site de Radio-Canada, je tombe sur une nouvelle qui nous informe que nos soldats quittent Ayiti. Dans les commentaires, Steakblédindepatate (j'adore les noms que les gens se donnent sur le net, c'est là que je comprends que je manque singulièrement d'originalité) se demande pourquoi Radio-Canada n'envoie pas Céline Galipeau suivre les nouvelles de la reconstruction d'Ayiti. Madame Galipeau ou non, la question me semble pertinente. Depuis le début, les pays influents en Ayiti (France, États-Unis, Brésil et le Canada entre autres) ont envoyé des émissaires faire leur petit spectacle. Se joue ici une lutte importante entre les pays-amis-d'Haïti, lutte pour le financement de projets assurant le plus de visibilité possible, lutte pour maintenir la main-mise du pays-amis sur certains secteurs d'activités, lutte pour maintenir ses entrées dans les officines de la présidence haïtienne, … Le genre de lutte qui peut faire glisser le développement international dans une logique de compétition internationale. Cette situation me semble bien évidemment d'intérêt public pour les canadiens (comme pour les citoyens des autres pays concernés). On peut penser en premier lieu à la manière dont le couple Stephen Harper-Bev Oda va dépenser l'argent des contribuables canadiens ici en Ayiti. Mais il y a également le rôle de cette compétition internationale (France/États-Unis entre autres) dans l'histoire chaotique du pays depuis plus de deux cents ans, et l'éventuel copie-collé auquel nous pourrions participer. La blague dans cette affaire est de voir comment les ayisien ont appris à tirer profit de cette gué-guerre, et ce à tous les niveaux. Quand il pleut du cash, pas besoin de parapluie. Je les vois morts-de-rire à nous observer faire les paons pour les aider. Il serait au moins pertinent politiquement, et peut-être même intéressant au plan médiatique, d'assurer une couverture journalistique de ce qui s'est tramé depuis un mois autour du PDNA et de la digestion qu'en a fait l'État haïtien, de suivre les discussions qui ont eu lieu à Santo-Domingo et de celles qui auront lieu à NY à la fin du mois, de suivre les différentes étapes de la reconstruction, de l'espace d,autonomie du pays dans la gestion des milliards, d'observer les événements et d'analyser le discours. Il y a là un ballet international fort intéressant à objectiver et à mieux comprendre. Un ballet qui me semble hautement d'intérêt public. Parmi les milliers de questions pertinentes à poser, il y a bien évidement celles qui concernent les retombées de ce déluge d'aide pour les 9 millions d'ayisien. Dire que le CH est dans la course aux séries, pas de chance pour Ayiti.

samedi 20 mars 2010

Et oui, je l'ai senti

Samedi soir presque dix heures (une heure de décalage avec MTL !), on vient de finir de manger un petit souper léger. Chacun assis sur son sofa à niaiser sur son ordinateur et oups... la terre a tremblé. Un petit 2 secondes de secousse. Nos yeux se sont regardés au dessus de nos écrans respectifs. Un "tu l'as senti ?" en coeur. Et oui, je l'ai senti. La capacité d'adaptation est une maladie...

Cachez ces zombis


La mort a un coût, l'enjeu est de trouver à qui envoyer le bill ! Identité, adresse et autres détails qui comptent. Dans un pays sans registre civil réellement fiable et où l'identité se monnaye, la mort de plus de 200 000 personnes pose quelques petits défis. Une grande proportion des personnes décédées ont été enterrées dans des fosses communes sans trop de cérémonial, ni administratif ou religieux. Il reste donc encore plusieurs familles qui cherchent un proche et qui doivent se contenter de récits plus ou moins solides pour faire leur deuil : "La plupart des corps trouvés dans cet édifice ont été amenés dans telle fosse par telle organisation, mais il parait que certains corps ont été enterrés dans une autre fosse. Là, à savoir si votre mari y était et où il aurait été amené…" L'enjeu est donc grand pour les cie d'assurances et les banques, plusieurs demandent de toucher les sommes dues sans être capables de faire aucune démonstration claire du décès de leur proche. L'autre enjeux concerne les zombis, ou plus spécifiquement les chèques-zombis. Ces chèques que l'État émet tous les mois pour des personnes décédées et que la famille continue de venir récupérer (avec ou sans petit bakchich au patron). Le stratagème peut durer des années… Laxisme complet dans la gestion financière de l'État ou système caché de sécurité du revenus pour les familles des fonctionnaires, les deux hypothèses se valent peut-être. Chose certaine, ils sont plusieurs actuellement à n'avoir aucun intérêt à informer formellement l'État ou la banque que leur conjoint a perdu la vie sous une dalle de béton. L'important est que les chèques continuent d'être déposés et que l'on puisse les toucher.

vendredi 19 mars 2010

Les esprits s'échauffent


Il y a ce timoun, en même temps gêné et désireux de se faire photographier. Il vit avec toute sa famille dans l'un des 500 camps de PAP. J'imagine qu'il a eu le fesses mouillées ce matin, la nuit a été pluvieuse. Tentes emportées par le torrent dans certaines zones, glissements de terrain dans d'autres… Le bordel annoncé est là, il cogne à la porte. Peut-être un jour accepterons nous les principes nouveaux de 'droit d'ingérence humanitaire' ou de 'devoir d'assistance à peuple en danger'. On n'en est pas là, je sais bien. Depuis quelques semaines, la question de la sécurité recommence à être sur toutes les lèvres. Celles des blancs du moins. Des organisations imposent un couvre-feu à leurs employés. Quelques blancs ont été victimes d'attaques en sortant d'un bar ou de la banque. Pas de problème, je ne fréquente pas ce genre d'endroit… On expliquerait cette recrudescence par la sortie de plusieurs milliers de prisonniers. Je suis passé près de la prison cette semaine, si les gens sont sortis, c'est par la porte. Aucun des murs n'est tombé ?! On imagine un gardien aux valeurs humanistes qui se disait que ces pauvres diables n'avaient pas leur place dans ce lieu infâme : 4000 personnes dans une prison conçue pour 800, au moins 80% des gens qui y sont attendent depuis des années leur procès (http://jeanfrancoislabadie.blogspot.com/2008_12_01_archive.html). Disons simplement que les esprits s'échauffent un peu, c'est normal, on est toujours en hiver !

jeudi 18 mars 2010

Le paradis du consommateur


Ce matin avec Jean-Claude, on est passé au Caribean Market. La photo que vous voyez a été prise de la place où nous étions quand la terre a tremblé, que le building s’est effondré. La partie arrière de 4 étages est toujours debout, mais la section devant, où était le market, ressemble aujourd’hui à un grand trou. Je ne sais pas trop, certaines personnes me disent qu’on a sorti une cinquantaine de cadavres, d’autres parlent de plus de 150. Et dire que le slogan de l’épicerie était Le paradis du consommateur… Disons simplement que l’odeur de mort continue de nous embuer les narines. J’étais entré sur le stationnement le lendemain de bagay la, mais plus jamais depuis. Je voulais y remettre les pieds, comme si j’avais besoin de faire un petit pèlerinage sur le lieu du drame. Il y a ce silence dans l’air, comme si la mort se rappelait à nous, à moins que ce ne soit la chance ou le destin qui parlent le silence. « Anpil chans » me dit Jean-Claude. En fait, il me le répète souvent depuis bagay la. Chanceux d’être en vie, que sa femme et ses trois filles soient en vie, d’avoir toujours un travail, … « Dye li bon pou mwen. » « C’est vrai Jean-Claude, Dieu est bon pour toi. » On roule vers le bureau et je me demande silencieusement si c’est Dieu qui est vraiment bon pour lui, ou si ce n’est pas plutôt l’inverse ?

mardi 16 mars 2010

L'énigme haïtienne


Le Palais national avait été détruit deux fois dans son histoire avant bagay la, l'affaire du 12 janvier dernier. Tristement jamais deux sans trois… C'est comme les tentatives de reconstructions sociales ou politiques du pays qui se soldent continuellement par des échecs. Sortir de manière positive d'une dictature, d'une invasion américaine, d'un coup d'État ou d'une guerre civile, on n'y est jamais arrivé. Les coups d'État se sont succédés jusqu'à donner plus de 90 chefs d'État en 200 ans d'histoire. On trouve une gamme complète d'appellations : Président, Président à vie, Roi, Empereur, Chef suprême de la révolution, Président du comité exécutif militaire, Dirigeant de la junte militaire en rébellion, etc. Je lis actuellement L'énigme haïtienne écrit par Sauveur Pierre Étienne (politicologue haïtien). Publié aux Presses de l'U de M, un peu académique, mais fort intéressant. On y apprend trop de choses à chacune des pages pour que ma mémoire puisse tout retenir. Disons simplement que l'histoire est ponctuée de ces sorties de crise qui ressemblent davantage à des dérapages, dérapages qui ont toujours eu pour effet d'affaiblir encore davantage l'appareil gouvernemental. Dans les 25 dernières années par exemple, en fait depuis le départ de Bébé Doc, collectivement, haïtiens et internationaux, ont réussi à faire foirer une xième révolution qui aurait pu sortir le pays de son marasme, tout ça en minant toujours davantage la fonction publique haïtienne. Depuis le 12 janvier, on entend partout que devant l'ampleur du drame, l'État et la communauté internationale ne peuvent que réussir. Si non !? On accueille des ingénieurs à la maison, ils sont venus ici donner un coup de pouce au sein de la firme où Jo travaille. Les gars en sont à leur deuxième séjour depuis bagay la. En roulant vers le bureau, l'un d'eux a laissé tomber la phrase suivante : "J'étais ici il y a un mois et depuis, rien n'a vraiment changé…". Il serait temps qu'on se grouille avant l'entrée en force d'un nouvel empereur !

lundi 15 mars 2010

Anba zetwal


Je travaille sur la terrasse aujourd’hui. Patrick Watson chante du québécois en anglais pendant que deux anolis d’un vert lime éclatant se font des grosses gorges. Il ya probablement un dîner ailé à se disputer. Hier soir, on a eu droit à tout un orage. Un bon 40 minutes d’une pluie assez intense pour nous remplir les rues de fatras et générer quelques glissements de terrain (http://jeanfrancoislabadie.blogspot.com/2009/04/ipleut.html, désolé pour l’auto-citation !). On était couché au sec Jo et moi et pensions à toutes ces moun qui dorment anba zetwal (sous les étoiles). C'est pourtant si romantique de dormir sous les étoiles. En fait, on a terminé il y a plus d’une semaine le Post disaster needs assessment (PDNA) alors que nous devrions toute de suite rédiger le Pre disaster needs assessment (PDNA itou). Vaut mieux prévenir que guérir qu’ils disent ! Malgré tout, en allant conduire Jo au bureau ce matin, je suis passé au camp de Place-St-Pierre, tout le monde semblait en forme. La chaleur du soleil arrive à faire sécher l’humide, et la joie de vivre légendaire de ayisien à faire fondre l’amertume. Des jeunes dansaient à la corde, un père rasait avec une lame de rasoir les cheveux de son timoun complètement immobile, deux grand moun jouaient aux cartes, un autre dépoussiérait ses draps… Dans le dernier bilan produit par le gouvernement (12 mars), on indique qu’il manque toujours des abris pour 1,2 millions de moun… 1,2 millions de moun. Ajouter malaria, dengue et diphtérie au cocktail et dans quelques semaines, il faudra s’inquiéter de la montée des tensions sociales.

dimanche 14 mars 2010

On s'habitue, c'est tout !


Brel chantait 'On n'oublie rien de rien … on s'habitue, c'est tout !' En fait, il chante toujours, je l'ai entendu aujourd'hui à la mer. Mon iphone luttait contre le chick-a-boum qu'on entend à la plage le dimanche. Les soldats brésiliens de la Minustah sont toujours nombreux à danser et à s'énerver, disons que le nombre de femmes étant nettement inférieur à celui hommes, ils sont moins portés à faire dans la subtilité. J'entendais donc Brel chanter qu'on n'oublie pas vraiment, mais qu'on s'habitue. Je pensais à ces presque un million d'ayisien qui s'habituent à dormir dans des camps, avec toute la promiscuité que cela implique. "Ma femme s'habitue à se doucher en plein air, mais pour les odeurs, elle n'y arrive pas encore" me disait un des chauffeurs du projet. Effectivement pour les odeurs… Il faut juste s'imaginer la saison des pluies qui devrait nous visiter dans quelques semaines. Comme certaine visite, elle n'est pas bienvenue. Nous aussi on s'habitue. En arrivant à PAP en novembre 2008, je me demandais combien de temps il me faudrait pour ne plus être surpris ou intrigué par la vie qui grouille dans les rues : Femmes circulant avec un panier de légumes sur la tête, cinq personnes sur une moto, timoun costumés pour se rendre ou revenir de l'école, cochons, cabrits et chiens qui se disputent ce qui reste de mangeable dans un tas de déchets, soldat armé d'une mitraillette, un homme qui cruise habillement une femme, … Ce que la vie nous montre à tous les jours et qui a intrigué tout ceux qui sont venus nous visiter durant la dernière année. Je ne sais pas combien de temps il m'a fallu pour que tout cet environnement devienne banal ? A-t-il eu le temps de le devenir !? Je ne sais pas non plus combien de temps il me faudra pour m'habituer à circuler entre ces amoncellements de béton, ces étages écrasés les uns sur les autres, … Difficile à dire, mais disons qu'on n'oublie rien, peut-être s'habitue-t-on !

samedi 13 mars 2010

Retrouver son statut de travailleur dans les décombres


Potopwins a toujours grouillé de personnes pour venir te demander des kob (de l'argent) pour manger ou faire manger la famille, de kidlib (des enfants abandonnés) qui t'attendent à l'entrée des épiceries, restos ou bars pour surveiller ta voiture. On peut même la laver si tu veux. La pauvreté est comme l'air en Ayiti, elle est ambiante ; il faut se souvenir qu'avant bagay la, 80% de la population vivait avec moins de 2 $US par jour et qu'on comptait un taux de chômage de près de 70 %. Bagay la (certains l'appelleraient aussi l'Artiste dans la mesure où il aurait re-dessiné la ville) a également fait trembler les colonnes de l'économie. Le taux de chômage aurait bondi à 90% selon le président, 50% de l'activité économique serait sortie sur le cul de l'aventure. La femme d'un collègue a été informée le 15 janvier qu'elle recevrait un chèque pour couvrir les 12 premiers jours du mois et que tout était terminé, on mettait la clé dans la porte. Télé-Haïti (le Vidéotron local) n'a plus de poteau pour faire passer le signal et n'est pas certaine de relancer ses activités, des milliers de travailleurs à la rue. Le vieux centre-ville fourmillait de petits commerces (pièces d'autos, vêtements, souliers, appareils électroniques, …) qui accumulent aujourd'hui de la poussière sous les dalles de béton. Dans le domaine de la santé, la présence en masse des ONG (qui offrent des services gratuits) pousse à la porte les employés des hôpitaux et cliniques privés. Une partie de l'agriculture du pays ne trouve plus preneur, les banques alimentaires se chargeant de nourrir la population. La situation fait donc en sorte que les demandeurs de tikob et les 'surveilleurs de machine' sont aujourd'hui beaucoup plus nombreux. J'ai reçu au bureau cette semaine cinq personnes venu me donner leur CV. À un feu rouge hier midi, quelqu'un est venu me demander si je ne pouvais pas lui trouver du travail, le sien s'est écrasé. Il faudra beaucoup d'imagination à je ne sais pas encore qui, la communauté internationale où l'État haïtien, pour stimuler l'activité économique et aider ceux qui avaient atteint le statut de travailleur à le reprendre. Pour le moment, on dirait que les deux dorment.

vendredi 12 mars 2010

Longe de porc


Jour de congé. Bien écrasé sur la terrasse à boire une bière pis à manger des chips… Cohen chante Dance Me To The End Of Love. Peut-être trop fort pour les voisins ? Mon patron et la coordonnatrice adjointe du projet sont revenus cette semaine, je peux en profiter pour prendre un break et faire quelques aventures photos. La Cathédrale de Port-au-Prince, le quartier du port et quelques campements. Je retrouve enfin Jean-Claude, avec les horaires des dernières semaines, on travaillait moins ensemble. On a réussi à déjouer la clôture de la Cathédrale pour y entrer. En plus d'un an à PAP, je n'y avais jamais déposé les sandales. Difficile de faire la comparaison avant-après, mais disons simplement que les dégâts sont considérables… La journée s'est terminée au Big Star Market, une autre épicerie tenue par des arabes, libanais y parait. Même famille de propriétaires que le Caribean, celui qui aurait pu devenir mon tombeau si a le feu rouge avait été vert… Il manque un prix sur le filet de porc, la caissière est partie le chercher. Pendant l'attente, je discute avec un ex-gérant du Caribean que nous croisions dans son épicerie quelques fois par semaine, et un patron du Big Star. On parle du Caribean, kay la craze, anpil moun mouri. On parle du Chili, de celui qui a eu lieu en Turquie il y a quelques jours, des bagay la ressenties aux Québec et l'autre de la nuit passée dans le nord du pays, à Ouanaminthe, une autre faille ayisiene qui risque de faire beaucoup de dégâts. "La terre vire sa veste à l'envers !" "Peut-être est-elle fatiguée des conflits et écarts intercontinentaux, elle fait sa job pour la paix ?" … 327 gourdes pour la longe de porc. Avec une gastrique de vinaigre de xérès, ma blonde va être contente. Vive les vacances.

jeudi 11 mars 2010

La chose


Mon voisin-ami montréalais (à moins que ce ne soit ami-voisin ?)m’a fait suivre cette semaine un article du Courrier International : Il y a des mots qu’on ne prononce plus (http://www.courrierinternational.com/article/2010/03/09/il-y-a-des-mots-qu-on-ne-prononce-plus). Je n’avais pas observé que le mot […] ne se prononçait plus à Potopwins. Une collègue à moi ce matin a laissé tomber bagay la (la chose) pour parler de ce qui nous ébranla le 12 janvier dernier. Avec l’équipe de ressources humaines du Ministère de la santé cet après-midi, le ministre a utilisé la même expression. En bon politicien, il a tourné sa langue au moins une fois, le temps de faire une pause pour parler de bagay la. « La nommer, c’est l’appeler » m’a dit quelqu’un. Effectivement, si c’est pour éviter qu’elle ne revienne, je m’engage à l’appeler la chose.

mercredi 10 mars 2010

Maîtriser ses émotions


Il y a cette jeune fille accrochée à la clôture du jardin de la primature. Elle me regarde sans sourire. Juste à côté, la mère veut que je photographie sa fille. La mère m'explique qu'elle et ses trois filles dorment sous une bâche depuis deux mois. Qu'elle aimerait trouver une tente. Du linge aussi, tout est resté sous les décombres. Ce genre d'événement se répète depuis des semaines. Quelques fois ses histoires me bouleversent, pour d'autres, le son ne se rend même pas au coeur. Allez y comprendre quelque chose !? Pour un gars généralement assis derrière un bureau les mains posées sur un clavier, les dernières semaines ont été ponctuées de craintes et d'événement troublants. Dans les premiers jours, j'ai été tétanisé à l'idée d'arriver chez un collègue et de le trouver mort, ou en pleurs aux abords d'un amas de béton. J'ai été confronté à des milliers de cadavres plus ou moins frais, plus ou moins posés là avec respect. Mais la scène qui restera gravée dans ma mémoire, même celle de mon Alzheimer future, est une réunion à l'hôpital universitaire. Devant moi, il y a Dudley, pédiatre et vice-doyen de la fac de médecine. Notre échange est interrompu une première fois par une infirmière qui apporte sur l'endos d'une feuille ayant déjà servie à autre chose (c'est la réalité des archives dans un pays comme Ayiti), une liste où sont inscrits le nom, sexe et âge d'une dizaine de patients. Dudley m'explique que ce sont des orphelins qu'on amène sur le bateau-hôpital que les américains ont stationné dans la baie de PAP. Je ne me souviens pas des noms, j'ai été attiré par la colonne âge : 2 mois, 6 ans, 3 ans, 10 ans, 2 semaines, 8 mois, … En retenant son souffle, il autorise le transfert de ses enfants nouvellement sans parents. Quinze minutes plus tard, la même personne revient. Même genre de liste, ceux-là seront transférés vers l'UNICEF qui a la responsabilité de gérer les adoptions. Plus un son ne sortira de ma bouche pour le reste de la rencontre… J'envoie un SMS à ma blonde : "Je n'en peux plus, on adopte !" On se parlera rapidement et l'émotion aura pris quelques jours à être maîtrisée.

lundi 8 mars 2010

Douze mois pour douze jours


Saviez-vous qu’en Haïti, on paie le loyer pour les 12 prochains mois. Pour les six prochains dans certains cas. Ça veut donc dire que le premier janvier, des dizaines de milliers d’haïtiens ont payé les douze mois de l’année 2010 tout en profitant de leur logement que pour 12 jours. Pas de ‘Régie du logement’ dans le coin, tu dois donc te débrouiller seul pour retrouver ton blé, si Dye vle surtout. Dans le contexte actuel, toutes les excuses sont bonnes. Le cash est sous les décombres, le propriétaire est introuvable, peut-être lui aussi sous les décombres. J’ai un collègue qui loue des maisons, trois de ses locataires avaient plus de six mois de retard… Il ne verra jamais la couleur de cet argent. On n’imagine pas facilement les impacts financiers de ce genre d’événements, comme deux personnes avec qui je travaille qui viennent de voir le loyer doublé comme ça, tout simplement ! La cie d’aviation qui double le prix des billets PAP-Santo-Domingo. Des dirigeants d’hôpitaux arrêtés à la frontière avec un camion rempli de médicaments qu’ils allaient vendre en République Dominicaine, on venait de leur donner gratuitement un gros stock de pilules. Idem avec un camion de bouffe dédiée aux gens qui vivent dans les camps. On note que les affaires roulent moins bien pour les commerçants des villes de la République qui sont sur le bord de la frontière. On ne comprend pas tout, mais il semble que l’offre augmente. Les vieux routiers des crises humanitaires – j’en ai rencontré une bonne vingtaine dans les derniers jours – me disent que c’est normal, ça se passerait toujours de même. La main invisible d’Adam Smith serait dans un contexte idéal pour se faire aller. Les libertariens vont gagner !

dimanche 7 mars 2010

Ka fè fwet


Autour d’un million de campeurs viennent de vivre trois jours d’enfer. La pluie et le froid se sont mariés pour pousser le bouchon de la patience encore un peu plus loin. Ka fè fwet (il fait froid) en Ayiti quand le mercure voisine les 20, pis la nuit encore plus bas. Côté température, les ayisien ont le frileux assez facile, les pieds dans l’eau en plus … Tout ça ne semble toutefois pas vouloir réchauffer les esprits d’une population de toutes les docilités. De toutes les résignations diraient certains. Ces centaines de camps (il y en aurait plus de 500) où une certaine vie sociale s’est organisée. Comité de citoyens, activités pour les enfants, ateliers sur la prévention des maladies ou des agressions sexuelles (et oui malheureusement), des groupes d’entraide pour faire face aux impacts psychologiques du tremblement de terre, etc. Le pays a malheureusement de l’expertise dans ce genre d’organisation, les ouragans viennent forcer la vie dans ce genre de camps de manière régulière. L’adaptation des ayisien à leur nouveau mode de vie semble donc se faire sans trop de soubresauts, peut-être avec trop de résignation. On s’imagine facilement le chaos social dans plusieurs autres sociétés… Les conséquences du séisme et de la crise sur la vie économique des familles ne font que commencer à se faire connaître. Petits exemples un peu bébête qui démontrent la complexité de la situation et des stratégies de redressement : les hôpitaux et cliniques privées congédient actuellement jusqu’à 60% de leurs employés parce qu’ils se sont vidés les poches dans la période d’urgence et que les ONG et les instituions publiques toujours en fonction (60% des institutions publiques ont été détruites et lourdement affectées) offrant maintenant des services et des médicaments gratuits à l’ensemble de la population ; des agriculteurs en faillite parce que leurs produits ne sont plus concurrentiels face à la gratuité des produits distribués par la communauté internationale. Bonne année à tous ces gérants d’estrade qui règleraient ça facilement !

samedi 6 mars 2010

Le pessimisme s’installe


On vient de passer dix jours intenses à travailler sur le PDNA (Post Disaster Needs Assessment). Grande salle remplie de ‘spécialistes’ de tous les domaines de la vie sociale de la population : eau potable, éducation, emploi, santé, … C’est peut-être la fatigue ou la lecture infinie de la section des pertes et des dommages, mais se dégage des discussions un certain pessimisme sur la suite des choses pour la population ayisiene. Pour une de mes collègues, il manque sérieusement d’ayisianite dans l’exercice ? (Avec mon niveau de créole, j’ai l’avantage de pouvoir inventer des mots !!) Cette quasi-absence s’expliquerait premièrement par la décapitation de plusieurs structures gouvernementales. Certains ministères ont été décimés de manière très importante, des corps se transforment toujours en poussière sous les dalles de béton. Un autre problème serait le grand nombre de personnes en incapacité effective de travailler. Imaginez-vous deux minutes vous préparer pour vous rendre au boulot quand vous vivez dans un camp de fortune et que tous vos biens sont toujours sous les décombres ! Pour les 4500 employés du Ministère de la santé qui travaillent dans la région de PAP, 92% ne vivent plus dans leur maison ! Près de 60% dorment dans des camps de déplacés… L’autre explication, et c’est ce qui génère le plus de pessimisme pour ma collègue haïtienne, est l’incapacité (j’ai cherché un synonyme qui aurait lissé le terme, pas trouvé !) de l’État de fournir des orientations pour les travaux du PDNA : « Le gouvernement démontre toujours son incapacité à prendre en charge une population placée en état de très grande vulnérabilité. On s'en sortira jamais ! » Un peu dans le vide, les blancs et les quelques haïtiens ont tenté de donner un sens à ce qui devait faire partie du plan de ‘recovery’, les morceaux du plan que les bailleurs vont décider de financer lors de la conférence qui aura lieu à new York à la fin du mois. Et dire que le PM est allé rencontrer à la conférence de Mtl que les haïtiens devaient définir les plans de reconstruction. « Il devait parler de la prochaine catastrophe… »

jeudi 4 mars 2010

Suis-je frappé d’insensibilité ?


La trop petite semaine de vacances à Montréal m’a permis de réaliser comment j’étais loin de la tragédie ! En fait, probablement trop dedans pour que ma perception porte le recul nécessaire à une vision intelligente des choses. Quand on voit la générosité ‘ahurissante’ des québécois, les spectacles bénéfices organisés rapidement partout dans le monde (diffusé sut toutes les chaînes généralistes au Qc !!), le We are the world et autres chansons mises en canne pour la cause, l’ampleur de la couverture médiatique, les parutions spéciales sur la tragédie (Time et le Nouvel Obsrevateur entre autres), … j’ai saisi rapidement que je n’avais rien compris. Pas tout du moins ! Il y a bien évidement le délire médiatique correspondant à tous les événements de cette ampleur sur la planète, business is business. Mais il m’a semblé y avoir plus. La charge émotive associée à toutes nos rencontres lors de notre passage au Québec avait tendance à me faire croire que les gens étaient réellement ébranlés par le séisme. On a vu également des journalistes que nous avons côtoyés agacés par ce qu’ils voyaient, et ce même si plusieurs avaient vu l’horreur dans des pays en guerre. Agacés à avoir hâte de quitter le pays. J’ai discuté avec un médecin québécois qui a fait plusieurs missions humanitaires et qui me disait que celle-ci allait être sa dernière. Terminé, il venait d’atteindre une limite personnelle en soignant des ayisien. Les réactions d’un autre médecin, français celui-là, resté traumatisé par ce qu’il a vécu (http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/p2364/articles/a419810-.html). Mon patron de Montréal (il vient ici depuis plus de quinze ans et a fait le tour des pays en développement en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud) qui est en visite éclair à PAP et qui reste estomaqué par l’ampleur de la catastrophe. J’imagine que le temps fera sa besogne et que dans quelques mois, je comprendrai toutes les dimensions de cette aventure.

mardi 2 mars 2010

Tirer avantage du 12 janvier


Dans le journal Le Monde d’aujourd’hui (journal auquel je suis abonné de la même manière que l’est mon idole Jean Dion), M Mulet, le nouveau chef de la MINUSTAH, disait craindre l’arrivée de la saison des pluies. En fait, même si la saison n’est pas officiellement commencée, les pluies se sont quand même invitées. Arriver avant l’heure d’invitation est toujours impoli. Donc, Edmond Mulet s’inquiète du fait que la distribution des tentes ou des bâches ne sera jamais complétée avant la saison des pluies. Il en faudrait pour 1,2 millions de personnes et seulement 400 000 en aurait reçu à cette date. Il cite quelques lacunes de l’État haïtien qui décrivent bien la situation : « Le chef de l'ONU donne comme exemple "l'état civil, qui n'existe pratiquement pas", le manque de cadastre, qui "empêche de garantir la propriété, d'entreprendre avec sécurité des opérations foncières ou immobilières, de développer le tourisme", le manque de routes asphaltées et d'un système de coopératives agricoles, qui bride les petits producteurs, la faiblesse de l'enseignement public qui ne profite qu'à 15 % des enfants scolarisés. » Il appelle les ayisien à tirer avantage de la catastrophe pour réaliser une réforme structurelle majeure. La phrase clé dans cet article est toutefois : « "Ni les autorités d'Haïti ni la communauté internationale n'ont encore vraiment appréhendé la dimension du défi qui les attend" » ! Bien assis sur le bord de son abri, ce vieil aysien souhaite lui aussi qu’on tire avantage du 12 janvier…

lundi 1 mars 2010

Les ayisien, des équilibristes


Comment trouver le moyen de continuer de rire ? De faire plaisir au bon blanc que tu côtoies toute la journée ? Sortir de son abri de fortune, chemise aussi propre que bien bien repassée. Trouver le moyen de s'accrocher un sourire sur le visage, la chaleur dans l'accolade du bonjour comme dans le bonsoir du 'nap wè demin si Dye vle' (on se voit demain si Dieu le veut). C'est gens ont une force que je ne comprends pas. Une capacité de rester en équilibre même au dessus du gouffre. Il me manque trop de clés pour y arriver.

Bonne fête Anne-Marie

Jo et moi attendions ta visite cette semaine. Disons que le tremblement de terre a changé nos plans…. les tiens aussi. Plusieurs personnes nous manquent depuis que nous sommes en Ayiti, mais nous pensons très souvent à toi, surtout en voyant des ayisiens danser. Ils sont tellement bons, on sait que tu aurais aimé partager ces moments avec nous. On compte bien pouvoir se reprendre et te faire profiter de notre Ayiti chérie. On te connaît assez curieuse et ouverte pour que tu puisses en profiter pleinement. D’ici là, continue de bien grandir, on t’aime toujours plus !

JopiJf, xxx