vendredi 30 avril 2010

Pelleter sa maison dans la rue


À penser à tout ce qui reste à ramasser, on perd la boule. Je travaille avec des moun qui se creusent la tête devant le gravats que leur maison est devenue. On s'imagine que les municipalités et le gouvernement se creusent eux aussi les méninges, même si plusieurs en doute. Doute qu'ils se les grattent ou qu'ils en ont ? En fait, les gens ont décidé de les forcer à se les gratter (ou à vérifier qu'ils en aient vraiment). Dans les faits, les gens qui ramassent leur maison à la pelle ne savent plus où la déposer. Le nouveau truc, c'est de foutre le tout dans la rue et espérer que les innombrables blocus ainsi générés fassent bouger les autorités. C'est bien connu, des bagnoles qui ne peuvent avancer, ça fait avancer les élus. Il y a donc de grandes voies maintenant rétrécies de moitié par des maisons en morceaux déposées dans les rues. Il en coûte très cher pour finir la job de bagay la et sortir la petite maison par camion vers … on ne sait où !? Les gens ont donc décidé de ne pas attendre qu'on leur propose une solution et envoient une bonne partie de ce qu'ils possédaient à la rue. Des moun passent la journée à récupérer tout ce qui pourrait être réutilisé, les tiges métallique (des rod de métal en québécois) sont particulièrement prisées. On les revend ou on les redresse pour couler une nouvelle dalle ou un nouveau mur de béton. Elles auront au moins l'expérience d'un premier séisme...

jeudi 29 avril 2010

Les arômes de notre bordeaux


J’ai toujours prétendu que je n’avais qu’un seul défaut, celui d’avoir la certitude de ne pas en avoir… Parmi les choses qui m’énervent chez moi, mais surtout chez les autres, c’est cette capacité d’avoir le jugement expéditif. On ne vient bien évidement pas s’installer en Ayiti sans penser qu’on devra mettre ce défaut sur la touche pour quelques années. L’effort est simple, quand on voit la vitesse à laquelle les choses se passent ici, on comprend que même les jugements ne pourront jamais être expéditifs. Depuis quelques semaines, on entend beaucoup de commentaires très acides, d’ayisien sur les ayisien. Lâches, indisciplinés, voleurs, profiteurs, sangsues, … Même le premier ministre, poliment toutefois, s’est inquiété que sa population devienne ‘dépendante’ de l’aide et ne cherche pas à faire les efforts pour s’en sortir. Parmi les jugements les plus expéditifs, il y a ces gens qui se prononcent contre les camps. Simple comme ça. L’argument est en fait que les gens s’agglutinent dans les camps pour y rester parce qu’ils sont mieux que dans leur ancienne vie. On leur apporte de l’eau, de la nourriture et des services, petits plaisirs auxquels ils n’avaient pas accès avant bagay la. Il faudrait donc simplement fermer ces camps et les gens reprendraient une vie normale. C’est vrai que bien assis dans un resto à 150$ US pour deux, les effluves qui s’échappent des latrines viendraient moins interférer avec les arômes de notre bordeaux.

mercredi 28 avril 2010

Ma maison est fêlée ...

Ici, on fait des blagues sur les politiciens comme au Qc on fait des blagues sur les blondes, en France sur les belges. Une blague circule sur l'autoroute des courriels depuis quelques semaines. Un politicien ayisien interviewé à la radio raconte que sa maison, comme celles de plusieurs de ses voisins, a été affectée par bagay la. "Ma maison est fêlée, il y a des fellations partout..." À suivre les politiciens ayisien, on peut effectivement penser que certains sont fêlés !

mardi 27 avril 2010

Je ne comprends rien


Pour une personne athée comme je suis, les questions touchant la religion et ses différentes manifestations sont toujours intéressantes. D'un point de vue anthropologique j'entends. On me questionne sur ma propre vie de couple qui existe depuis plus de 16 ans sans la bénédiction d'une instance suprême. On me rappelle tous les jours que la rencontre de demain aura lieu 'si Dye vle' (si Dieu le veut), ou que la vie va bien 'grasaDye' (grâce à Dieu). Un peu fascinant pour un québécois qui a vu les églises être transformées en condos de luxe, de voir des églises haïtiennes toujours bondées. D'entendre des champs religieux plusieurs soirs par semaine. D'écouter des postes de radio où des preachers crachent sur tout ce que Satan aurait apporté sur cette terre, sexe, argent, doute, criminalité, … J'ai même entendu aujourd'hui un preacher de radio nous rappeler que la société souffrait des 'opinions individuelles', que ces fameuses opinions nous recentrent trop sur nous mêmes, pas assez sur les enseignements de Dieu. Difficile pour moi de ne pas faire le parallèle entre ce qui se passe ici, et la noirceur qui a servi de lumière au Québec jusque dans les années 50 et qui a participé à étouffer une population. En Ayiti, la théologie de la libération a perdu la guerre contre les disciples de la congrégation pour la doctrine de la foi… 'Tu ne comprends rien Labadie, on tire justement toute notre force de la religion !' me disait une collègue. Le preacher continuait à crier à la radio que le doute et la dimension probabiliste du discours des sismologues étaient inspirés par Satan pour créer de l'insécurité dans le coeur des fidèles, que seule la foi pouvait protéger contre le prochain bagay la. 'Un jour tu vas comprendre, mais d'ici là, on t'aime quand même.' J'ai effectivement peur de ne rien comprendre.

lundi 26 avril 2010

On les garde pour nous


J’ai survolé Ayiti la semaine dernière. Vus des airs, tous les pays se ressemblent. Moins on y regarde de haut toutefois, plus les nuances sont frappantes. Je vole sur Tortugair et par un phénomène naturel (la chaleur emmagasinée par la terre durant la journée s’échappe quand le soleil se fait moins intense), le vol de fin de journée a été assez turbulant. 20 minutes en vol à se faire brasser, un espèce de goudou-goudou aérien. Goudou-goudou est une des appellations (avec bagay la et l’artiste) du tremblement de terre du 12 janvier. On a donc eu un peu chaud, des débarbouillettes essuyaient des fronts perlant, ma voisine levait les bras dans les airs pour appeler Jésus, moins haut que d’habitude il faut dire, on s’en était quand même rapproché un peu. L’autre en avant essayait de faire circuler de l’air dans son décolté, il y avait un peu trop de chaleur dans le corsage. J’arrivais du nord, le prochain coin du pays à être touché par un tremblement de terre selon les sismologues-d’estrades du pays. En plus, on y attend un vaste tsunami qui devrait se rendre jusqu’à Miami en faisant des escales en Jamaïques et à Cuba entre autres. Ça faisait trois mois que je n’y avais pas mis les pieds alors que depuis le début de mon mandat, je m’y rendais 2 ou 3 fois par mois. Les retrouvailles ont été bien évidement chaleureuses et questionneuses. J’ai enfin pu manger dans mon resto préféré, Chez Gros Bébé. Un poisson en sauce comme vous ne pouvez même pas vous l’imaginer. J’étais bien heureux de revoir la serveuse qui m’appelle ‘chéri’. ‘Jean-François, elle appelle tout le monde chéri, même moi !’ m’a dit ma collègue un peu découragée de ma réaction enjouée aux salutations de la serveuse. Les femmes ne comprennent jamais les émotions masculines, c’est pour ça qu’on les garde pour nous !

dimanche 25 avril 2010

D'une minute 8 secondes à deux minutes 40 secondes

Que dire de plus ! Une image vaut mille mots. Une seule minute de cette vidéo explique des millions de maux. D'une minute 8 secondes à deux minutes 40 secondes. Ce lien (http://vimeo.com/11086636) est terrible à regarder pour nous qui avons vécu, à notre manière bien évidement, bagay la. Ces gens coincés dans le palais national sont comme cette population coincée dans la pauvreté. Quels sont les issues ? Pour le discours du Président, on repassera...

samedi 24 avril 2010

'C'est l'Afrique en Amérique'


C'est ce que m'avait dit mon patron de Montréal pour me dépeindre Haïti de manière caricaturale. On s'attend à être surpris, sonné, même choqué. Après près de 18 mois dans cette Afrique en banlieue de l'Amérique - 4 heures de vol direct de Montréal ou 1h30 de Miami, il faut s'en rappeler - je continue de voir des événements qui me troublent. Cette semaine, je suis dans la cour d'un hôpital à attendre de rencontrer un médecin, on a deux ou trois dossiers à discuter. La porte de son bureau s'ouvre et en sort une femme d'une quarantaine d'années. Toute jeune quoi ! Une infirmière vient la rejoindre avec un petit gobelet vide. La dame prendra le gobelet, se cachera sur le côté du mur, lèvera sa jupe, s'accroupira et écartera la fourche de sa petite culotte pour remplir le gobelet de ce liquide à tester. Aussi simplement que ça. Hier soir en revenant du bureau, des kidlib se battent en pleine rue Delmas. Ces timoun abandonnés (5 à 10 ans d'âge) qui errent dans les rues à la recherche d'un peu de cash pour manger, ou pour donner à un souteneur qui les surveille sur le bord de la rue. Ils se tiennent sur les quelques coins de rue de PAP où il y a des feux de circulation et se mettent à dépoussiérer les voitures avec des torchons sales de poussière. Souvent, Jo leur donne des barres-tendres, je ne suis pas sûr que leur souteneur en soit très heureux. Cinq gars assis bien collés qui regardent passer les filles. Ils le feront toute la journée, demain et après-demain aussi. Rien à faire, pas de travail et pas de kob. À moins que ce ne soit l'inverse. Cette odeur répulsive qui entoure les camps dans lesquels près d'un million de personnes ont maintenant pris l'habitude de vivre. Par habitude sûrement. Ces cochons qui circulent sur les tas de vidanges près des marchés ou des camps. Ils récupèrent ce qui reste de mangeable. Est-ce qu'il y a des cochons en Afrique ?

Primaire, secondaire et adultère


Je sais, c'est la deuxième fois que j'utilise ce titre pour un billet (http://jeanfrancoislabadie.blogspot.com/2009/07/primaire-secondaire-et-adultere.html). J'ai pensé vous envoyer vers un excellent article de Gilles Courtemanche publié dans Le Devoir de ce matin. Il dépeint très bien la réalité de l'éducation dans ce pays où des professeurs vendent des programmes adultères aux adultes. Courtemanche m'a toutefois volé mon idée ... l'éducation devrait être la priorité des priorités pour construire Haïti. Trop de timoun prennent conscience trop rapidement dans leur vie que l'avenir ne leur appartiendra pas.

vendredi 23 avril 2010

Prévenir l'annoncé


Pénurie de gaz… De diésel également. Épreuve supplémentaire pour ces chauffeurs de tap-tap, ces taxis-motos. Des rues vides de bagnoles, pleines de moun qui marchent. La seule place où on se confronte à un blokus est dans les alentours des stations services, tout le monde attends son tour pour les quelques goutes qui restent. Le commerce déjà amputé d'une grande partie de ses activités depuis bagay la souffre, li mem tou. Des gens qui perdent la bouffe dans le frigo parce que plus capables de faire fonctionner la génératrice. Pendant ce temps là, un marché clandestin se développe, jusqu'à 10 fois le prix normal pour avoir un gallon de ce liquide devenu précieux. C'est la deuxième expérience du genre depuis notre arrivée ici (http://jeanfrancoislabadie.blogspot.com/2009/01/crise-ptrolire.html). On entends partout les éditorialistes et commentateurs de la vie politique se questionner sur l'incapacité du gouvernement de prévenir ce genre de crise… Imaginez maintenant prévenir les épidémies associées à la saison des pluies ou encore, les dommages humains et matériels associés aux ouragans qui se préparent à nous visiter… Je pense à ces fous qui depuis 50 ans crient sur tous les toits que le réchauffement de la planète pourrait détruire la vie sur cette petite planète et je me me dis qu'au fond, vaut mieux guérir, c'est plus payant.

jeudi 22 avril 2010

Mauvais rêve

Je déjeune seul dans un hôtel en bordure de la mer. Ne vous énervez pas, il manque la plage. C'est quand même la mer, et le soleil se lève intensément, jusqu'à m'aveugler. Je mange une omelette créole et bois un jus de chadek. À la radio, Patrick Normand chante 'Ne laisse pas passer la chance d'être aimé'. Juste après, ce sera Garou et Céline qui chantent 'Sous le vent'. J'ai oublié mes écouteurs à la chambre, j'aurais écouté RAM, du konpa, Bello, ... Il faudra un jour qu'on m'explique comment dans les lieux visités par des 'touristes', on s'amuse à nous faire écouter de la musique que nous avons fuie ?

mercredi 21 avril 2010

L'imbécilité qui me tue

J’entretiens ce blogue en ayant une certaine éthique. Une auto-éthique. Mon statut de blanc m’imposait des limites dans ma façon d’apprécier la vie haïtienne. Je continue de le croire même après 18 mois d’immigration. Mes fonctions, à mi-chemin entre le gouvernement canadien (celui qui verse la subvention qui permet à l’U de M de me payer) et le gouvernement aysisien (celui que j’accompagne) étaient aussi liées à cette auto-imposition d’une éthique. Finalement, il y a toutes ces coopérations que je cotoie au quotidien. Ne mettre personne dans la merde pour éviter de s’y placer soi-même, personne n’y gagnerait. Surtout qu’une opinion, en vaut bien une autre… Au plan de l’écriture, il m’est arrivé d’user des subterfuges pour livrer plus clairement certaines de mes opinions : la citation de collègues. Quelques fois, citée au texte, un peu adaptée ou tout simplement inventée. Ce soir, j’avais toutefois envie de décrier une imbéclité qui me tue et que je ne veux pas passer sous le verbe d’un collègue. Cette pratique que nous, les-bons-blancs-bien-intentionnés, sommes capables de perpétuer à vie. J’ai traversé la moitié du pays ce matin pour venir travailler avec le responsable d’une région sanitaire (un directeur départemental). Il n’était pas au rendez-vous, coincé dans une urgence diplomatique à près de deux heures de ‘brousse’ de son bureau. L’urgence diplomatique : des médecins d’un pays qui refusent de travailler dans un hôpital si des médecins d’un autre pays s’y installent. ‘On plie bagages avec équipe, équipements et médicamens si ces … restent ici !!’ Lors des jours qui ont suivi bagay la, on a vu ces guerres (jusqu’à la claque sur la gueulle !) entre plusieurs équipes nationales et/ou religieuses et/ou organisationnelles. Imaginez-vous deux secondes, un moun bien endormi sur la table, scapel et équipement dans l’abdomen, pis le professionnel de la santé refuse de terminer une chirurgie si ces ‘autres’ ne quittent pas l’hôpital. J’ai l’information de première main… Genre de conflit qui prends une population et des fonctionnaires de l’État en otage pour quelques heures, voir quelques jours. Genre de conflit qui pose bien le problème de la place des intérêts des aysisien dans le ‘marché de l’humanitaire’. Genre de conflit qui nous laisse croire que les organisations internationales se sentent propriétaires de l’île. Genre de conflit qui nous rappelle que l’imbécilité et les humains dorment trop souvent dans le même lit. Ça ne fait pas toujours des enfants forts…

mardi 20 avril 2010

Le fatigant

Il y a de ces tristesses dans une vie professionnelle. Pas une grande tritesse quand même, mais une tristesse, disons … triste. Par exemple, quand un pot s’achète un billet d’avion pour Montréal, aller simplement, pas de vol de retour ! On s’habitue à travailler avec ce quelqu’un, se développe un petit quelque chose d’agréable qui nous rend plus efficaces, lui comme moi, son organisation comme la mienne. Le partenaire haïtien tire ‘davantage d’avantages’ d’une synergie satisfaisante pour tout le monde. Ce québécois qui nous quitte cette semaine a d’autres obligations à Mtl, surtout qu’il devait nous quitter en décembre dernier. En fait, il l’avait fait. En vacances en Europe au moment de bagay la, il s’est dépêché à prendre le premier avion pour venir donner volontairement un coup de pouce aux haïtiens. Au cours des trois derniers mois donc, on avait repris la dynamique là où on l’avait laissée en décembre. Il est un peu fatigant dans la mesure où justement il est infatigable, toujours prêt à passer à l’action, jamais à s’arrêter. Fatigant je vous dis. En réunion la semaine dernière, une collègue haïtienne qui le présentait à des visiteurs faisait référence à son jeune âge et en citant Corneille (‘aux âmes bien nées, la valeur n’attend pas le nombre des années’). J’étais un peu jaloux, ce n’est pas qu’il est vraiment jeune, mais disons qu’il se conserve très bien malgré son début de trentaine. Je vais donc m’ennuyer de lui, de son intelligence, de son entrain et de sa générosité. Il laisse un espèce de vide dans ce qui était devenu mon quotidien. Je sais que je ne suis pas le seul qui serai triste, le genre de gars qui passe dans la vie de tout le monde en laissant une empreinte. Bonne chance Félix, et j’espère qu’il fera frette !!

lundi 19 avril 2010

Le vide


Aujourd'hui, j'ai entendu une longue discussion à la radio - discussion reprise avec des collègues en mangeant une langouste et un lambi grillés - sur la corruption associée au dernier vote du sénat. La semaine dernière, les sénateurs devaient voter la nouvelle loi qui prolonge à 18 mois les mesures d'urgence. Mercredi, on avait pas le quorum et le vote a été déplacé. Finalement, le Président a obtenu tous les droits nécessaires à la reconstruction. Qu'est-ce qui explique le changement de point-de-vue des sénateurs ? 150 000 $. On leur aurait offert 100 000 $ pour leur vote mais en bons négociateurs, ils auraient fait monté les enchères à 250 000 $. Une discussion radiophonique remplie de détails pour expliquer les négociations de coulisse qui auraient duré plus de 24 heures. Des journalistes et commentateurs pour commenter l'affaire. Des auditeurs et des lecteurs pour la reprendre. Je me fous un peu de la véracité de l'histoire, je suis plutôt ébahi par le fait que ce genre de débat puisse avoir lieu sans que personne ne sorte dans les rues pour casser quelques vitres. Bruler des pneus serait plus facile, les vitres n'ayant pas bien passé l'épreuve sismique. Je le sais, vous allez dire que je radote, mais Ayiti me semble confronter à un espace politique complètement asséché. C'est à mon humble avis de 'logue patenté' un des constats les plus importants, une clé pour comprendre l'incompréhensible : Absence d'un espace social de débat et de décision. Il y a plein de postes de radios pour vociférer tout ce que vous voulez entendre, il y a toutes les 'structures' politiques pertinentes à une vie démocratique, mais il n'y a pas cette vie. Il n'y a pas cette culture qui permet à un 'citoyen' de prendre la parole publiquement pour avancer une idée, la défendre. Tout y est mélangé sans pouvoir distinguer la cause de l'effet : Histoire de dictatures, méfiance, individualisme, absence de société civile organisée, démobilisation des électeurs (autour de 2% de participation aux dernières sénatoriales), leader décevant, cynisme ambiant hyper-amplifié, toutes les formes de corruptions, inégalités sociales 'inégalées', État inopérant, … Toutes ces dimensions de la vie politique s'inter-influencent de manière à créer ce vide démocratique. L'agora est vide, complètement vide. Les pauvres ayisien, ceux qui sont pauvres, naviguent dans ce vide.

samedi 17 avril 2010

De brouillard à débrouillard


À la mer aujourd'hui, des ayisien réparaient ce vieux voilier. Une bonne trentaine de pieds (10 mètres). On y fait du transport entre tous les ports du pays, gros comme petit. Du charbon de bois ou du sel le plus souvent. Le propriétaire avait 4 planches à changer. On trouve du bois un peu partout, déjà en planche si possible. Si non, le billot fait l'affaire. Deux marteaux, une égouine et quelques clous. Un gars à l'intérieur de la coque s'assurait que le tout 'fitait parfaitement' et s'apprêtait à enduire les planches et leurs joints d'un produit imperméable. On a l'habitude de ce genre de réparation, 'nou te fèt anpil fwa' (on l'a fait souvent). À l'oeil d'un gars qui ne connait rien à la mer - sauf pour ce qui concerne maillot de bain, gougoune et crème solaire - le tout a l'air bric-à-brac, mais le bateau doit reprendre la mer lundi. Comme le reste en Ayiti, 'pa gen pwoblèm'. On nous parle toujours des ayisien comme d'un peuple débrouillard. Ils arrivent effectivement à faire tout avec rien. On répare ce bateau comme on répare les autos sur le bord des routes, comme on répare les maisons fissurées. C'est en même temps le message que le gouvernement lance depuis bagay la concernant la rénovation ou la construction de nouvelles maisons : Utilisez les bons produits et les bonnes techniques. Facile à dire, difficile à payer... Chose certaine, je ne me paierais pas une croisière en haute-mer sur ce voilier, brouillard ou pas !

vendredi 16 avril 2010

Je déteste être haïtien


Il y a de ces semaines d'écoeurite aiguë, ces semaines où la lueur au bout du tunnel est au mieux la dernière lumière avant la noirceur. Celle qui tous les jours se cache. Trois mois après bagay la, la vie est difficile en Ayiti, elle est sale et elle sent mauvais. 'Je déteste être haïtien' m'a dit un collègue aujourd'hui. 'Pa gen dirijen, pa gen espwa'. Li vle quite, partir ailleurs où, à ce qu'on raconte, il y a de la lumière et ça sent bon.

jeudi 15 avril 2010

Trop, c'est comme pas assez !


Il est de bon ton depuis plusieurs semaines de critiquer les ONG, même les hautes autorités du gouvernement ne se gênent plus pour décrier leurs actions. Il semble qu'ils n'en feraient qu'à leur tête, sans coordonner leurs interventions avec les services gouvernementaux, sans compter qu'elles sombreraient plus facilement dans la corruption vu l'absence de transparence de leurs modes de gestion. Tout le monde a sa propre opinion sur le sujet et pour dire simplement, cette dernière est rarement réjouissante. Il y a eu celles qui sont rapidement débarquées pour offrir les soins d'urgence et qui sont déjà reparties, celles qui se sont nouvellement installées pour une plus longue période et celles qui déjà présentes ont pris du poids. Des ONG à saveur religieuse comme des catholiques, des mennonites, des méthodistes, des juives, islamistes et j'en passe. Également certaines organisations ayant à leur tête des vedettes (Georges Clooney Telethon avec 66 millions de $US) ou encore d'ex-politiciens (Bush et Clinton entre autres). Au total, les trente plus grosses ONG seraient arrivées en Ayiti avec près de 980 millions de $US (http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=78976&PubDate=2010-04-15). Un milliard pour faire un chiffre rond... On entend toutes les histoires disons gênantes que vous pouvez imaginer : Location à très gros prix d'écoles pour installer leur personnel privant ainsi plusieurs enfants d'un retour à l'école ; installation complète de services médicaux à deux pas de cliniques médicales les poussant ainsi à la faillite ; évacuation de locataires ne pouvant rivaliser avec la capacité de payer des ayisien ; absence d'implication des 'comités de citoyens' ou des instances locales de concertation dans la distribution de l'aide ; location des autobus ou des plus gros tap-tap diminuant l'accès au transport en commun pour la population ; … De l'autre côté de la clôture, il y a ces gens qui se demandent où en serait la distribution de l'aide si ces ONG n'étaient pas débarquées en bataillons, si la population avait été appelée à ne compter que sur le gouvernement ou les organisations internationales ? Parmi les commentaires les plus virulents que j'ai entendus, il y a l'idée que ces 'charognards' de l'aide accourent autour des victimes afin de ce remplir 'goulûment' les poches. Il y aura toujours des biologistes pour nous expliquer que les charognards font oeuvre utile, mais un groupe de militants de la société civile (www.haitiaidwatchdog.org) s'est tout de même donné comme mandat de suivre à la trace les ONG et n'hésitent pas à questionner leurs actions et leur gestion. Il me semble difficile de se faire une opinion simple face à une situation où les nuances de gris sont innombrables, mais je demeure convaincu que la galerie est pleine. Cinq minutes après bagay la, la coordination de l'aide a commencé à être un fiasco et si une certaine régulation semble s'être installée après maintenant trois mois, il me semblerait incongru de laisser d'autres joueurs influencer des règles du jeu très fragiles. Trop, c'est comme pas assez !

mercredi 14 avril 2010

Il pleut

Ce soir, comme lors des dernières soirées, il pleut à vous rincer un camps de déplacés. La saison des pluies est venue même si personne ne l'a invitée. Le genre de visite qui colle quelques semaines. J'ai enregistré quinze secondes de pluie, juste pour que vous vous imaginiez plusieurs heures. Désolé !

Pour ne pas se faire oublier


On ne parle que de la réplique Préval, celle qu'il a semée lundi et qui a été reprise par tout le monde depuis hier. Vous vous rappelez, c'était mon billet d'hier ! Les radios, les journaux, les gens que tu rencontres, tout le monde a son opinion. Une bourde pour les uns, une nouvelle confirmation de son incompétence crasse pour d'autres, une stratégie de déstabilisation de la population pour les troisièmes et finalement, l'intérêt de créer une diversion politique de plus pour les derniers. Une chose est certaine, un débat est lancé. Le géologue du Bureau des mines et de l'énergie d'Haïti que j'entendais à la radio travaillait fort pour dire ce qu'il faut dire sans ré-inscrire la population dans une trop grande panique. Tous les détails sont connus : 75% de la faille n'a pas bougé le 12 janvier dernier, la partie qui concentre le plus d'énergie n'a pas encore bougé, cette section se trouve en plein dans des zones densément peuplées de PAP et de ses banlieues et on sait que ça va sauter à nouveau mais personne ne peut prédire le moment. On a été dans l'estimation du nombre de morts à PAP lors de la prochaine secousse jusqu'à l'éventualité d'un tsunami pour les autres villes côtières du pays dont le Cap-Haïtien. Pauvre expert, pas facile de se dépatouiller 'simplement' dans des dimensions plus ou moins complexes, mais sûrement très compliquées. La joute politique s'est vite emballée. Il faut dire sur ce dernier point que la joute politique en Ayiti à l'emballement facile, pour l'emballage, faudra malheureusement repasser ! Forcer les sénateurs récalcitrants à accepter de voter la loi sur les mesures d'urgence avant qu'une autre catastrophe ne survienne. Faire accepter plus facilement par la population les prochaines mesures 'extraordinaires' que la nouvelle loi sur la prolongation des mesures d'urgence lui permettra de mettre application. Mettre le capuchon sur la marmite des manifestations contre cette nouvelle loi. Comme me disait un collègue : "On avait pris l'habitude de ne jamais l'entendre dans les moments importants, il fallait qu'il se rappelle à son bon peuple".

mardi 13 avril 2010

Une réplique de trop


Ce matin, dans les journaux et en boucle à la radio, le Président Préval a lancé une phrase qui a semé une petite panique. Après avoir rencontré des sismologues afin de bien comprendre la situation géologique du pays et les risques qui y sont associés, Préval a laissé tomber la phrase suivante aux journalistes, "Comme les experts, je ne sais pas quand mais on sait que cela se produira et mieux vaut se préparer…". La première surprise dans cette sortie du Président, c'est de réaliser qu'il ait pu prendre trois mois pour rencontrer ces experts, on peut s'imaginer qu'il y avait des urgences… La panique générée dans la population constitue la deuxième surprise. On peut se poser des questions sur la pertinence de la sortie du Président au plan de la gestion de la crise, mais ce qu'il a dit est d'une très grande rigueur au plan des connaissances scientifiques : On se sait assis sur une poudrière sans que personne ne soit en mesure de prédire le moment où la mèche sera allumée, encore moins sa longueur. Il n'en fallait pas plus pour relancer une bonne frousse sous les abris, surtout que depuis une semaine, la fréquence des répliques semble avoir augmenté. Mon partenaire du Ministère a organisé une rencontre avec tous les employés de sa direction demain matin afin de 'clamer' les esprits, toute la journée les gens n'ont parlé que du prochain bagay la et se sont tenus sur le bord de la porte, parés pour sortir. Tout le monde supplie Jésus ou son père de les laisser tranquilles pour un bout. Au plan psychologique, disons simplement que la population n'avait pas besoin de cette nouvelle réplique. Avoir raison ne règle malheureusement rien ...

lundi 12 avril 2010

Le scénario parfait


Peut-on déshumaniser des humains ? À moins que ce ne soit le propre de l'humain de se déshumaniser, comme un fruit qui pourrit lentement sur le comptoir, aidé ou non pas des insectes. L'humain, ou sa compagne l'humaine, a cette force de pouvoir être faible. Comme les odeurs de merde qui se dégagent des camps, des histoires d'horreur s'y extirpent. Je le sais, rien n'est typiquement aysien dans ce genre d'affaires, on a déjà vu horreurs pareilles partout dans le monde avant, on les verra partout dans le monde plus tard. C'est comme si la catastrophe et la promiscuité qui s'ensuivent amenaient des individus qui vivent dans la boue à agir comme des salauds. On parle des viols bien évidement. On parle des réseaux de vol et de revente (en échange de faveurs sexuelles) des tickets pour les rations. On parle de ces petits propriétaires de plusieurs 'places' dans les camps qui louent leurs espaces ou qui exigent d'être payés par les dons de nourritures que les locataires arrivent à soutirer de la communauté internationale. On pense à ces personnes qui 'vendent' faussement de meilleures places dans de meilleurs camps. Au moins deux collègues vivent dans la crainte de ce climat mafieux qui prévaut dans certains camps. Le scénario parfait : Des 'faibles' affaiblis par bagay la et ses conséquences, et des 'forts' renforcés par un service policier absent, pour ne pas dire complice diraient certains. L'arnaque est sans fin, surtout quand des gens qui n'ont rien tentent par tous les moyens d'en avoir un peu plus.

dimanche 11 avril 2010

Un premier vrai test


Un collègue me disait récemment que 'ça fait trois mois que la fête est terminée'. Il faisait référence au fait que bagay la avait été 'LE' signal à la nation pour qu'Ayiti arrête de tergiverser, de procrastiner, de farnienter (je le sais, ce n'est pas un verbe mais…). Comme si les centaines d'ouragans et les troubles politiques qui ont jalonné l'histoire de ce pays n'avaient jamais eu pour effet de le 'réveiller' politiquement et socialement de manière à améliorer la qualité de vie de tout un peuple. Ce goudougoudou (autre appellation pour bagay la) sera la chance ultime, la dernière. En fait, mon analyse est que le pays est encore un peu - pour ne pas dire pas mal - 'freeze', comme si au lieu de réveiller, le dernier grand coup l'avait plutôt sonné. Gelé par une peur toujours aussi intense, la terre nous rappelant régulièrement qu'elle peut trembler. En fait, à part la terre, on ne sent pas grand chose bouger ! Cette semaine, peut-être verrons-nous les choses changer. L'État commence à déplacer les gens vers des camps toujours temporaires, mais plus permanents… Plus sécuritaires et mieux encadrés surtout, la question des pluies (on a peur à des inondations ou à des glissements de terrains pour certains camps) et le problème des violences sociales (vol, trafic de coupons pour les rations, viol, …) commencent à en inquiéter plus d'un. Ces nouveaux camps seront mieux équipés (douches, sanitaires, poubelles, …) et les enfants pourront entre autres y recommencer l'école. Pour le moment, il semble que les gens ne veulent pas quitter les camps dans lesquels ils se sont installés depuis trois mois. Peur de se faire voler sa place, de ne plus recevoir d'aide, de s'éloigner de sa maison qu'il faut toujours surveiller, … Mais surtout, les gens n'ont aucune confiance en cet État qui n'aurait jamais rien fait pour eux. Depuis le bagay la et avant. Il faudra voir ici la capacité des autorités à orchestrer adéquatement ce grand déménagement, comme un premier vrai test.

vendredi 9 avril 2010

La présidence, bof...


Mon statut de blanc m'interdit (dans le formel et l'informel) de discourir sur la politique haïtienne. J'ai la chance innommable d'avoir des collègues qui le font pour moi, ça m'offre la citation comme stratégie d'écriture… Cette semaine, c'est un éditorialiste qu'on écoute le matin qui me servira de porte-voix. À la radio, il s'étonnait de l'absence de chevaux pour la course à la présidence malgré les engagements répétés du Président actuel pour des élections 'constitutionnelles' en novembre prochain. Personne encore ne semble se mettre sur 36 pour attirer des partisans. Ou des amis, c'est selon. Lors de la dernière élection présidentielle (2004), 21 ayisien s'étaient présentés pour le job. Rien que 21 ! Des petites tergiversations mathématiques ont permis à Préval de passer 48% à 51% des suffrages dès le premier tour, plus besoin de deuxième. Il semble que 85 000 bulletins retrouvés dans une décharge aient fait basculer le président actuel vers une majorité. On va mettre Normand Lester sur le dossier… L'éditorialiste se questionnait : Comment se fait-il que personne ne se manifeste pour une course qui devrait débuter en juin ? Même les personnes attendues ou annoncées restent cachées. Ce silence d'éventuels concurrents étaient pour lui une nouvelle dimension de la vie politique du pays. La politique politicienne serait-elle morte ? Coincée dans l'effondrement du Palais national ou par la mort d'une certaine façon de faire la politique, comme si bagay la avait eu également l'effet d'un électro-choc sur les hommes et femmes qui font la politique de cet Ayiti chérie. Sa réponse était un peu plus pragmatique : D'une manière définitive, l'État ayisien a montré à la face du monde son incapacité à prendre en main la destinée du pays, personne ne veut être celui ou celle qui va continuer à faire semblant. Le 'n'importe quoi' tirerait à sa fin, surtout avec une commission mixte qui s'intéressera de près à la suite des choses, et surtout aux milliards qui devraient pleuvoir sur l'île. Il semble donc que le job soit moins intéressant.

jeudi 8 avril 2010

Renouveau ou fin


Les bulldozers s'attaquent au Palais depuis aujourd'hui. Des militaires français géraient la circulation plus tôt ce matin autour du Palais, le chum de Carla s'étant engagé au nom du pays qu'il préside à le reconstruire (le Palais, pas le pays). Les haïtiens autour de nous (mon appareil et moi) s'obstinaient : On reconstruit ou finit de détruire le Palais ? Grande question. Est-ce que le tremblement de terre (je l'ai écris enfin !) a terminé la longue destruction du pays, ou à l'inverse, il sonne sa reconstruction ? Il y a de ces questions que même avec un bon rhum, on n'arrive pas à répondre...

mercredi 7 avril 2010

Journée de fous


Avant de partir, tout le monde te dit qu'Ayiti ne pardonne pas. On en tombe amoureux fou ou à l'inverse, on déteste à vouloir s'en sauver à la nage. Je vous laisse deviner de quel côté nous sommes tombés, celui de la psychiatrie ou de la natation ? Récemment, on a passé une journée plus qu'agréable avec une gang de fous, autochtones ceux-là. Des gens qui ont plusieurs fois dans leur vie décidé de rester sur leur île natale, d'y fonder famille et entreprise. Je dis bien 'décidé' dans la mesure où l'option de migrer était et est toujours grande ouverte. J'ai également bien écrit 'plusieurs fois' parce que la vie sociale haïtienne des 30 dernières années n'a pas été rose. Dictature et sortie de dictature, guerre civile, renversement politique, élections empreintes de violence, menace directe d'enlèvement contre les enfants, ouragans et bagay la ont été au menus. Des fous je vous dis, des vrais fous. Assez fous pour réfléchir pendant quelques heures aux meilleurs moyens de reconstruire leur pays. 'Désolé, faudrait plutôt parler de le 'construire'' lancera un des fous. On a donc joué au Président. Un jeu pleinement ayisien dans la mesure où tout le monde est président à son tour. Il n'y a pas plus de 140 partis politiques pour rien dans ce pays, la devise ici est chaque aysien est son propre chef ! Tous les fous y sont allés de leurs priorités. C'est rafraîchissant des fous, ça fait du bien à l'optimisme. Il y avait assez d'intelligence et de pertinence dans cette gang de fous qu'on se met à espérer qu'ils se lancent en politique et que l'un ou l'une du groupe prenne le pouvoir. L'épidémie de folie nous rattrape, Jo et moi recommençons à rêver coloré, à sombrer nous aussi dans la folie.

Jane Birkin


Jane Birkin, vous avez bien vu. Un jour, comme des millions de personnes, on pourra dire 'j'étais là à PAP le 12 janvier 2010'. Une autre fois, comme une petite poignée de deux cent personnes, on pourra également raconter qu'on était là au Café des arts pour entendre chanter Jane Birkin, un mardi 6 avril 2010 en plein coeur de Pétion-Ville. Dans un petit bar où tu peux te faire mouiller si la pluie décide de s'inviter à la fête, la Jane Birkin, la même qui dans sa robe rouge aussi belle qu'elle nous avait émus au Cabaret La Tullippe il y a quelques années avec son Arabesque. La même artiste dans ce petit espace mal éclairé, la même richesse, la même humanité. Elle voulait venir chanter pour Ayiti. Dire aux ayisien qu'elle et des milliers de personnes pensent à eux, ne les oubliaient pas. Nou mem tou, Jane Birkin, nap pa blye ou !

mardi 6 avril 2010

Fatalisme


Une publicité qui circule à la radio depuis quelques jours rappelle aux ayisien que bagay la n'est pas une fatalité, qu'ils peuvent se prémunir contre les conséquences d'un autre grand chambardement. Le Chili il y a quelques semaines et le Mexique hier sont de bons exemples. L'idée toute psychologique derrière ce message est celle de convaincre les ayisien qu'ils ne sont pas sans défense face à un séisme. Surtout qu'Ayiti est maintenant le pays sur la planète avec la plus forte proportion de sismologues par tête de pipe. Comme les coachs d'estrade du CH, chaque ayisien se veut maintenant sismologue en chef de la nation. 'T'en penses quoi Lundi (Lundi est un prénom) de cette affaire là de fatalité ?' 'Tu sais Labadie, c'est peut-être une histoire de plaques tectoniques, mais c'est quand même Dieu qui les a créées ces fameuses plaques. Il ne faut pas que tu oublies qu'il y a un plan et que nous les humains n'y pourront rien. Quand ce sera l'heure de concrétisation du plan, aucune maison antisismique ne résistera.' Le fameux Si dye vle de mes nouveaux amis. Même l'antisismique ne résistera pas au fatalisme !

lundi 5 avril 2010

Pauvre riches


Le titre a l'air d'une mauvaise blague, mais c'est platement sérieux. On ne reviendra pas ici sur la relativité de la notion de richesse, surtout dans le cadre spécifique dans lequel l'auteur que vous lisez actuellement vit depuis plus d'un an. Cette richesse 'contextuelle' n'est pas encore totalement apprivoisée, demeurent encore plusieurs malaises. Les riches ont donc quelques petits problèmes depuis bagay la. Un de leur problème (donc un des miens !) est l'accès aux services de santé. La participation des hôpitaux privés à l'effort humanitaire des premières semaines et l'accès gratuit aux services offerts par les ONG poussent à la faillite (ou sur le bord) les hôpitaux privés de PAP. Deux de ces hôpitaux (les deux plus importants) vivraient une situation économique passablement difficile selon certaines rumeurs. Dès les premières heures et pour les semaines qui ont suivies (jusqu'à la semaine dernière dans au moins un des cas), ils ont rendu disponible tout ce qu'ils avaient : Salles d'opération, équipements, médicaments, stationnements (tu couches pas mal plus de blessés dans un stationnement que dans un corridor d'urgence, ça pourrait donner des idées aux hôpitaux du Qc) et ressources humaines. Ces dépenses n'ont bien évidement jamais été compensées. Le manque à gagner est grand pour ces organisations qui doivent également débourser des montants très importants pour réparer et sécuriser leurs bâtiments. Financièrement en fait, plus beaucoup d'intérêt à rester en business : On s'est vidé les poches à faire dans l'humanitaire depuis près de trois mois et les ONG nous siphonnent une grande partie de la clientèle potentielle. Ces hôpitaux n'avaient bien évidement rien à voir avec les hôpitaux publics. Équipés des nouvelles technologies médicales et de ressources humaines 'présentes', on y trouvait entre autres de l'eau courante et de l'électricité ! Surpris ? De l'eau courante et de l'électricité effectivement. Dans une salle d'opération, c'est relativement pratique ! La situation des hôpitaux publics est bien évidement désastreuse : Manque complet d'équipement, de médicament, absence de toutes les commodités dites de base (eau, électricité, toilettes, lingerie, nourriture, …) et des problèmes des ressources humaines assez importants (mobilisation, présence, compétences, …). Il faut visiter certaines salles de chirurgie où une table rouillée attends un patient qui se sera rendu dans la cours de l'hôpital pour acheter à un revendeur le matériel (bistouris, tampons et le reste) et les médicaments nécessaires à sa propre chirurgie. Ainsi, dès que les gens ont un peu d'argent, ils se dirigent vers des hôpitaux privés pour y recevoir des services. Les limites de mon ouverture d'esprit m'ont toujours appelé à éviter les hôpitaux publics, pour y recevoir des soins du moins. J'y côtoie plusieurs cliniciens à qui je ferais pleinement confiance, mais on ne pourrait m'y amener pour des soins que si j'étais désespéré ou inconscient. J'aimerais bien voir les choses autrement, mais il n'y a pas meilleur place pour devenir malade que dans un hôpital et disons qu'à cet effet, certains hôpitaux sont meilleurs que d'autres. La pratique médicale des ONG ressemble en bonne partie à la médecine de guerre et ce fait dans hôpitaux publics, les équipements médicaux ayant servi dans les premières semaines sont repartis avec les équipes d'urgence. Dans plusieurs cas, tout se fait sous la tente : Urgences, hospitalisation, cliniques externes, salle d'accouchement, chirurgie ... On entend donc des histoires de malaises cardiaques ou de péritonites qui tournent mal pour une partie de la clientèle qui fréquenterait habituellement les hôpitaux privés. Je ne parle pas ici de ceux qui peuvent se rendre à Miami en moins de 24 heures (location de jet privé ou achat d'un billet de dernière minute sur American Airlines), mais des autres assez riches pour débourser un gros 40$ pour une consultation médicale et des tests de laboratoire. Il faut se rappeler que 40$ équivaut à 8 jours de travail au salaire minimum ou à 20 jours de revenus pour 80% de la population… En fait, on retrouve donc une classe moyenne qui actuellement se retrouve dans un on man's land en matière d'accès aux soins de santé. Vous me direz que de se questionner sur la situation de cette population n'est pas trop pertinent dans le contexte. Vous avez sûrement raison, oubliez mon idée...

dimanche 4 avril 2010

Des règlements en béton !


Il y a quelques années, des criminels utilsaient l’assemblage sac-de-couchage-béton pour régler des petits problèmes d’intendance dans leurs activités. C’était du bon béton. En ayiti depuis bagay la, tout le monde questionne la qualité du béton utilisé pour la construction. Je ne suis pas ingénieur du tout, mais on nous explique des choses assez simples à comprendre (c’est toujours mieux pour moi), à savoir que le béton utilisé en Haïti est généralement de très mauvaise qualité. On réduit sur la proportion de ciment dans le mélange (la composante qui est la plus dispendieuse), on utilise une eau qui ne serait pas assez propre et finalement, un sable qui ne serait pas approprié (qui ne serait même pas du sable !). Près de chez moi, il y a deux producteurs ‘artisanaux’ de blocs de béton, ces blocs qui servent pour la construction. Sur le bord de la route, ils font leur mélange de ciment à même le sol et coule le tout dans un moule. Toute la journée, les blocs poussent sur le bord de la route. Le sable utilisé est retiré de grandes carrières de roche blanche. Au début février, le gouvernement fermait officiellement toutes ces carrières qui, en plus de fournir un matériau inadéquat pour la construction, étaient un cimetière pour les travailleurs. J’exagère juste un peu. Depuis notre arrivée ici, on est informé d’accidents dans ces carrières aux techniques d’excavation d’un autre temps, et plusieurs personnes demandent l’arrêt de ce genre de travaux. À l’automne dernier, dans la carrière de La Boulle tout près de la maison, plus d’une dizaine de morts dans l’éboulement d’une partie de la falaise. Même Fred Caillou aurait refusé d’y travailler ! Aujourd’hui, j’ai fait une petite escapade photo dans l’une de ces carrières. Si ce n’était pas qu’au loin on voit le vert et le bleu de la mer, on se penserait sur une autre planète. Un environnement presque complètement blanc de montages à-demi grugées, on marche dans une poussière qui recouvre les espadrilles. Les camions (malgré l’interdiction du gouvernement) circulaient sans arrêt. Il faut bien rapporter ce sable en ville, ils ont annoncé des milliards à NY cette semaine pour reconstruire le pays ! Est-ce que je vous ai entendu dire ; même béton, même règlement ?

vendredi 2 avril 2010

Onzième station

C'est Pâques en Haïti, comme à pas mal de places sur la planète. Les chrétiens fêtent pâques, catholiques comme protestants. Ici, vous aurez deviné que c'est très important. Je suis nettement inculte dans le domaine et ne connais donc pas toutes les cérémonies qui ponctuent cette semaine, mais on voit des familles habillées en dimanche depuis mercredi. Aujourd'hui, c'était la grande journée, tout est fermé sauf les églises pis les marchandes, toutes croyantes mais pas le temps de ne pas travailler. En descendant Canapé-Vert à la recherche d'événements religieux à glaner, je suis arrivé par hasard à la onzième station. Le groupe 'Étoile du matin' de la paroisse Saint-Louis a eu la responsabilité de préparer la scène de la crucifixion de Jésus. Tout y était : Jésus, les deux malfrats qui le clouaient sur la croix et Marie bien évidement. Enveloppée dans son drap blanc, elle était immaculée. S'en venaient au loin près d'un millier de marcheurs précédés par un prêtre qui allait expliquer la scène aux fidèles, entamer prières et chants. Les liens avec bagay la sont évidents, plusieurs personnes pleurent intensément, d'autres sont profondément bercées dans leurs prières. Mon kodak a pris trop de belles photos… Le tout durera une bonne vingtaine de minutes avant que la foule se déplace vers la douzième station. Tu peux baigner dans une telle scène avec le regard d'anthropologue en t'intéressant aux dimensions culturelles ou sociales qui se transposent dans ce genre de rites, et surtout dans la ferveur des ayisien. J'aurais eu ce genre de fascination l'année dernière. Cette année, j'ai été ému. Je voyais ces gens profondément touchés par la mise en scène, une communion d'humains qui ont subi ou subissent encore bagay la. Mwen mem tou, mwen te la !

jeudi 1 avril 2010

Les queues


On voit deux genres de queue dans les rues de PAP depuis bagay la. Une première remplie de gens qui attendent la livraison de denrées ou de matériel pour survivre dans cette nouvelle vie de campeur forcés (le ‘s’ à forcés est délibéré, ‘la nouvelle vie’ et ‘la vie de campeurs’ sont forcés…). L’autre queue est saturée de moun qui souhaitent qu’on leur offre un job. Bien installés dans leur nouveau bureau-container, des employeurs (privés ou des organisations internationales) distribuent du travail comme d’autres distribuent des sacs de riz. Comme les murs des bâtiments, le marché du travail a été fortement secoué par bagay la. 85% de l’activité économique de Port-au-Prince serait sur le cul… En écrivant ce billet, je me disais qu’il y avait une troisième queue formée par les suites de bagay la, les embouteillages ! Des rues sont complètement bloquées pendant des heures quand on fait la distribution de denrées ou de jobs, ou encore quand on commence à déblayer le béton des maisons écrasées.