lundi 7 octobre 2013

Blanc et noir

Imo a reçu pour sa fête juste assez de cadeaux pour être heureux et assurer une reconnaissance acceptable à tous ceux qui ont été généreux. Un couple d’amis, un couple noir et blanc, a offert un excellent livre d’histoires à Imo. Tous les soirs depuis, je lis à l’héritier une histoire qui le dépose lentement dans les bras de morphé. Deux des histoires concernent la couleur de la peau : Le loup qui veut changer de couleur, le noir de son pelage étant trop triste, et Armande la vache normande qui veut effacer ses taches brunes. À chaque fois, l’histoire a été l’occasion pour Imo de faire référence à notre différence la plus visible : Il est noir (marron comme il le dit) et nous sommes blancs. C’est un sujet quelques fois abordé, entre autres lors du bain où Imo peut, pour nous faire rire, se savonner le corps au complet pour être complètement blanc. Le point d’entrée de la discussion est toujours le même : « Marron c’est beau, tu voudrais toi aussi être marron », moitié affirmateur, moitié interrogateur. La première fois où il abordé la question de notre différence de couleur de peau, Jo et moi lui avions répondu qu’on aimait beaucoup le marron, qu’à la limite, on était un peu jaloux. Il faut vivre en permanence avec des haïtiens et y voir tellement de beautés, qu’on en vient effectivement à trouver que le blanc est un peu … drabe. Chose certaine, notre homme a retenu l’idée et nous la ramène à la première occasion. À la lueur de la lumière de sa veilleuse cette semaine, au moment où Armande la vache normande confrontait les démons des taches sur son cuir, Imo est revenu sur le sujet. Cette fois-ci toutefois en me mentionnant qu’il préfèrerait être blanc. Je ne suis pas arrivé à comprendre cette motivation nouvelle, motivation qui s’est en plus rapidement évanouie. Dans l’ambigüité de la tête d’un enfant de cinq ans, il est souvent difficile de se laisser conduire par un fil. Il a terminé notre échange en me mentionnant qu’il préférait en fait la couleur marron, parce que « ça courre plus rapide ». J’ai essayé de lui faire comprendre que je ne m’aventurerais pas dans ce genre de théorie, et la suite de l’histoire d’Armande la vache normande m’a permis d’éviter des explications un eu trop sophistiquées, surtout qu'il était l'heure de dormir

lundi 9 septembre 2013

Laïcité hypocrite


C’est une mode au Québec depuis quelques semaines, on sent que le gouvernement minoritaire fourbit ses armes pour tenter d’aller récupérer la majorité perdue il y a un an. C’est de bonne guerre diront certains. Ça demeure toutefois un mauvais calcul selon moi, la colonne des pertes risque fort d’être plus lourde que celle des gains. Sur RFI ce matin, on nous parlait de cette nouvelle charte de la laïcité qui est accolée au mur de toutes les écoles françaises. Aucun signe religieux apparent chez les professeurs ou les élèves, et pas de prosélytisme. Ce weekend, Imo me demandait dans la voiture si c’était vrai que Jésus était au ciel et qu’il nous regardait. « T’en penses quoi mon grand ? » lui ai-je répondu. Lui, il pense que ce n’est pas vrai, mais tout le monde à l’école pense l’inverse, la professeure surtout. « Pourquoi tu crois que c’est faux ? » J’ai senti dans la longueur hésitante de sa réponse qu’il ne pouvait pas m’expliquer sa position. Chose certaine, il voulait savoir ce que j’en pensais : « Toi, tu dis comme moi hein, tu dis comme moi ? »  « Il y a des gens qui pensent que Jésus est au ciel et nous regarde, d’autres qui croient que c’est faux. Moi, je suis d’accord avec toi, je pense que c’est faux. Mais tu sais, ce n’est pas grave du tout que tout le monde ne soit pas du même avis. David lui, il croit que Jésus nous regarde du ciel ? » « Oui » m’a répondu l’héritier. « Ca reste ton meilleur ami quand même ? » « Oui, avec Lucas ». Imo a passé à autre chose, il a une fixation maladive sur Psy et son Gangnam style depuis quelques semaines. Comme lui, je souhaite aussi que l’on passe à autre chose. Dans un pays comme Haïti où la religion est partout et interfère dans le quotidien de tout le monde , il y a un très grand respect de la différence. Je travaille avec des chrétiens et la gamme complète des protestants. Jamais personne ne remet en cause l’existence de Dieu, mais jamais personne ne s’est offusqué du fait que je n’y crois pas. Personne n'a voulu imposer ses croyances et tout le monde accepte que telle activité soit déplacée un jour X, Joblo adhérant à telle religion ... De la même manière, je n’ai aucun problème à ce que la professeure qui enseigne à mon fils fasse part de ses croyances ou encore en montre un signe. Je m’attends bien évidement qu’elle intervienne dans la neutralité. Je ne sortirais pas mon garçon d’une classe dirigée par une femme portant un foulard, ou d’une autre portant une croix au cou. Même chose si le médecin qui me soigne porte un turban. De la même manière qu'ils respecteront l'absence de signe religieux chez moi, je ne vois sous quelle logique je pourrais les empêcher de manifester leur croyance. Je comprends dans cette partie d’un Qc qui m’attriste, que l’on souhaite se faire de l’étranger pour gagner des votes, je me dis que le petit Jésus toujours présent au Parlement pardonnera tout cette hypocrisie.

vendredi 26 juillet 2013

La tête sous l'eau


Il faut bien être canadien et ne jamais avoir vu les fameuses chutes Niagara autrement que sur des clichés. Trop cliché justement, jamais eu envie d’aller y prendre une douche. C’est un peu cette fâcheuse habitude que je voulais chasser quand le weekend dernier, nous avons mis le cap sur Sodo (Saut-d’Eau en français). Cette chute où une fois de plus se confondent vaudouisme et catholicisme, les croyants y viennent se baigner pour la chance et pour prier la Lwa Erzulie (esprit de l’amour), celle que peut également servir à personnifier la Vierge Marie. Insaisissable Haïti… Autour de moi dans l’eau, des gens se lavent et prient. Je n’ai toutefois pas compris la pratique qui consiste à enlever ses petites culottes après la baignade pour les laisser suivre le courant !? On a aménagé le tout pour les croyants et les touristes et le résultat est pas mal. Comme à l’habitude dans ce genre d’attractions touristiques, on reste coincé par l’arbitraire du gars qui nous accueille, le prix d’entrée semblant varier en fonction de … la couleur de la peau peut-être ? La tête sous l’eau, je me suis engagé à me débarrasser de ce fâcheux préjugé qui m’empêche de courir les zones touristiques trop publicisées.

vendredi 19 juillet 2013

Des élections, un mort et des grandes folles


Chantal soufflait dans le nez de l’avion qui nous ramenait de Montréal il y a deux mercredis. Rien de trop décoiffant pour Haïti heureusement. Le retour à la maison est toujours le même : Souhaité et déprimé. Souhaité parce que du Québec où la vie est propre et rangée, on s’ennuie de l’indomptée vie haïtienne. Déprimé parce qu’en mettant les pieds en Haïti, on croise rapidement ces camps oubliés où s’entassent des milliers d’oubliés (encore près de 320 000 personnes dans les camps selon le dernier rapport d’OCCHA, juin 2013) de ce pays tout autant oublié qu'amnésique. Je n’avais pas suivi les nouvelles d’ici à partir de Montréal, décrochage oblige. On se fait toutefois rapidement rattraper. En premier lieu, l’ambassadeur canadien qui prend la parole pour rappeler aux haïtiens que l’échéance électorale (le tiers du sénat et les municipales) est toujours fixée pour 2013, et que si les choses ne bougent pas d’ci la fin du mois de juillet, la possibilité ‘matérielle’ de tenir cette consultation (il faut appeler un chat un chat !) avant 2014 est nulle. Le Canada assumerait le tiers des dépenses de la prochaine élection selon les informations glanées auprès de collègues ‘canadians’. On n’a pas entendu la menace, mais on pouvait la sentir … On avait surtout le sentiment que l’ambassadeur canadien avait été envoyé en mission commandée par les autres acteurs de la communauté internationale. L’élection étant comprise comme une dimension essentielle d’une structure constitutionnelle fragile et à risque de s’écrouler, on tente de faire comprendre à ceux qui ont de l’influence dans ce processus qu’il y a eu assez d’effondrements en Haïti, il serait peut-être préférable d’éviter celui-ci. De plus, cette situation pousse actuellement plusieurs acteurs internationaux à retenir leurs engagements et dans la mesure où 'il faut décaisser', ça commence à poser des contraintes internes. L’autre grande nouvelle des derniers jours est le décès d’un juge qui enquêtait sur de présumés magouilles de la femme et d’un fils du président. Cette enquête du juge a suivi la plainte de corruption déposée par un citoyen contre les deux Martelly. Dans ce dossier encore une fois, impossible de savoir qui dit la vérité et son inverse, qui ment. C’est un constat après près de 5 ans à naviguer dans l’étang haïtien : tout, et vraiment tout, demeure insaisissable. Au début du mois de juillet, le juge avait annoncé son intention de convoquer le premier ministre et quelques ministres pour les interroger. Des proches du juge mort dans la nuit de samedi à dimanche (un AVC selon la direction de l’hôpital) affirment que ce dernier se serait plaint de fortes pressions de la part de l’exécutif et du gouvernement afin qu’il laisse tomber son enquête. Ces pressions auraient culminé jeudi dernier dans une rencontre avec entre le juge, le PM, le président et quelques autres autorités du monde juridique. Du côté de l’exécutif et du gouvernement, on mentionne que cette fameuse rencontre n’a jamais eu lieu et aucune pression n’a été faite à l’encontre du juge. Les proches du juge persistent et le parlement enquêtera sur l'affaire. Une mort donc qui demeure suspecte (le juge en question n’aurait pas eu de problème de santé préalable à un ACV selon certaines sources) mais qui devrait alimenter le monde politique pour les prochaines semaines. Et puis aujourd’hui, des Protestants réunissent des milliers de personnes pour dire au gouvernement de ne pas mettre son nez dans le dossier du mariage pour conjoints du même sexe… Depuis quelques semaines, le dossier de l’homosexualité en Haïti (une homosexualité cachée sauf pour les ‘grandes folles’ qui font partie du folklore de plusieurs grandes fêtes) surgit ça et là dans les médias. Je pose l’hypothèse que c’est un contrecoup du débat houleux qui a eu lieu en France parce qu'ici, absolument rien n’indique que l’agenda politique fera une place à ce dossier pour les prochaines années. Mais il faut dire que dans un pays où l'un des sports nationaux est de se perdre dans de longs débats inutiles ... On parlera des élections plus tard !

vendredi 7 juin 2013

Qui est responsable de l'épidémie de choléra ?


Je lisais dans les médias haïtiens cette semaine que des parlementaires américains s’impatientent de voir les Nations Unies (UN) reconnaître leur responsabilité dans le dossier du choléra en Haïti. Ou encore que Ban Ki-moon cherche un million par année pour gérer l’épidémie de choléra en Haïti. Le président Martelly jonglerait avec l’idée de poursuivre les Nations Unies, alors que plus de 500 personnes auraient déjà entrepris des démarches. La semaine dernière, des gens ont bloqué une partie du centre-ville pour que réparation soit faite et que la Minustah fasse ses valises. Sur ce dernier point, ils sont plusieurs demandeurs. J’ai toujours pensé que la Minustah avait joué à l’imbécile dans ce dossier, au plan des communications du moins (lire ce billet), en s’inscrivant sottement au centre de la cible. Le contexte pré-électoral aidant, il deviendra payant d’instrumentaliser la grogne contre les UN et leur rôle dans l’épidémie du choléra, mais les haïtiens sont-ils sur du solide dans ce dossier ? Il est probable que l’établissement d’une responsabilité unique dans cette triste et lente catastrophe (je vous rappelle qu’en date du 28 mai dernier, le choléra a infecté près de 700 000 personnes, fait presque 3000 morts) ne sera pas une mince affaire. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que la Minustah est responsable d’avoir amené la bibitte dans le pays. Les UN étire au risible certains concepts techniques (scientifico-juridiques) pour éviter de se mettre la tête sur le billot, mais c’est peine perdue. Considérant ce que l’on savait sur la situation de l’épidémie dans certains pays (le Népal pour ne pas le nommer), il aurait été plus prudent de la part des UN de s’assurer que les soldats qui débarquaient en terrain vierge ne soient pas infectés de la bibitte. Dans ce sens, je comprends que ces mêmes UN se sont depuis données de nouvelles règles pour l’affectation des casques bleus afin d’éviter à nouveau ce genre de situation. Peut-être le début d’un aveux ? Mais au plan de l’épidémie qui a suivi l’introduction de la bactérie Vibrio cholerae, quel a été le rôle de l’État haïtien ? Je me suis laissé raconter par des proches des hautes autorités politiques  (ils sont beaucoup à se donner le titre de proche de …) et des acteurs des organisations internationales, que le pays avait merdé dans ce dossier (et ce n’est pas une tentative de blague !). Entre les heures qui ont suivi l’identification du premier cas le lundi en fin de journée et le résultat du premier test (le mercredi matin suivant), les UN ont mobilisé une équipe d’experts internationaux (qui était sur place le jeudi), proposé un intervention rapide (sur un délai de 4 jours) qui aurait permis au gouvernement de circonscrire l’épidémie en isolant et nettoyant la souche. Dès les premières heures, la fameuse base de la Minustah aux abords de la rivière Artibonite avait été identifiée comme l’éventuelle souche de l’infection et on savait comment limiter rapidement les dégâts. Les UN avaient également rendu le cash disponible pour toute cette opération. L’idée bien évidemment était d’éviter que la bibitte commence son long périple dans toutes les zones du pays. Toujours selon mes ‘sources’, cette proposition serait restée trop longtemps sans réponse du gouvernement haïtien (certains parlent d’un mois) avant de devenir caduque, non pertinente. Des effluves nationalistes anti-UN (exacerbées en contexte post séisme) et la faiblesse de l’État seraient les causes de ce délai. Pour certains plus cyniques, on serait une fois de plus face à une action de sabotage, question de faire entrer encore davantage d’argent dans le pays !! Après quelques semaines, l’équipe d’experts a plié bagages pour laisser toute la place à ces centaines d’ONG qui ont implanté des services pour soigner tout ce beau monde, et déployer des programmes de prévention. Il en ont profité pour vider les institutions sanitaires du pays en offrant au personnel clinique des salaires mirobolants, mais ça, c’est un autre problème… Après moins d’un an, ces ONG avaient épuisé les fonds et ont eux aussi plié bagages. L’État maintient toujours ses efforts pour prendre en charge l’épidémie, mais en cette saison pluvieuse (et celle des ouragans qui nous attend au détour), les organisations internationales (l’OMS et OCCHA entre autres) tirent toujours la sonnette d’alarme sans toutefois réussir à lever les fonds nécessaires pour gérer les conséquences. À cette étape de la courte histoire du choléra en Haïti, ils sont plusieurs haïtiens à questionner l’intérêt de lancer le pays dans une démarche de reconnaissance de responsabilité de la part des Nations Unies. L’affrontement n’est probablement pas la meilleure tactique même si elle peut attirer des sympathies populaires dans le contexte pré-électoral actuel. Si j’étais à la place du gouvernement haïtien, j’inviterais les Nations Unies à redonner un peu de lustre au bleu de leurs casques et négocierais les appuis nécessaires pour aider le pays à faire face à cette maladie qui pourrait continuer d’affliger la population pour encore quelques décennies. Des UN opportunistes pourraient profiter de cette occasion pour se donner ne nouvelle façon de communiquer avec les haïtiens. Tout le monde en sortirait gagnants.