mardi 30 novembre 2010

Du cinéma

Ce matin, je regardais le pouce noirci d'une collègue noire (l'encre qu'on appose sur le pouce des gens qui ont voté pour éviter que la même personne ne vote deux fois), une de celle qui a bravé tous les risques pour aller voter.
- On dirait un hématome ?
- Ouais … on s'est effectivement fait coincé le doigt dans cette machine ...
Les dindons d'une farce, plate, mais d'une farce quand même. En fait, le seul sujet de conversation depuis dimanche concerne les élections. Arriver à vous raconter comment les gens sont découragés du cirque pré et post électoral, ce serait impossible. Du cirque de cette communauté internationale qui courre tous les micros pour dire que tout s'est déroulé normalement, comme dans le meilleur des mondes ! Je tentais de deviner à quel genre de film on assistait. Pas un drame d'horreur, mais en fonction de certains événements… Sûrement pas une comédie romantique même si on peut penser que l'escapade Martelly-Manigat pourrait faire couler des larmes et en même temps accrocher un sourire aux cinéphiles. À certains égards, le film pourrait être une comédie satirique, mais la satire peut elle aussi dévoiler un mauvais goût que tout le monde reconnaitrait. Un drame social ? Trop faible comme description. Un film de série B ? Avec un budget de 30 millions… Comédie humoristique aurait été une bonne venue, mais quand on pense aux conséquences, on n'est davantage dans le drame psychologique. C'est ça, un drame psychologique. À voir la déprime de mes collègues haïtiens et la honte désespérée de certains expats que je côtoie, on est vraiment dans un drame psychologique. Un espèce d'Orange mécanique où les victimes se comptent par millions, alors que les coupables restent insaisissables.

lundi 29 novembre 2010

Marcher sur la peinture fraîche


Un de mes ex-patrons m'a raconté que Jean Chrétien mentionnait qu'un politicien qui s'est peinturé dans le coin, doit apprendre à marcher sur la peinture fraîche, celle même qu'il vient lui-même d'étendre. Tacher ses semelles est toujours moins pire que de perdre la face. Heu… À moins que perdre la face implique de tacher ses semelles…. Hier quand la majorité des candidats à la présidence se sont présentés à la conférence de presse pour demander l'annulation des élections (et cela avant la fin de la période de vote !?), je me suis posé des questions sur leur lecture stratégique de la situation. Se peinturer dans le coin, même à 12, c'est se peinturer dans le coin. C'est comme si on n'avait mis une deuxième et une troisième couches de peinture sans savoir si la première avait eu le temps de sécher. 'Labadie, il va falloir un jour que tu comprennes que la politique ici, c'est n'importe quoi !' En ce jour d'un très grand calme à Potopwins, Manigat et Martelly (première et troisième dans les sondages) ont marché sur la peinture fraîche. Les trois couches même ! Manigat explique qu'elle a été surprise d'être associée à un texte qui demandait l'annulation (article), Martelly raconte quant à lui que même s'il a demandé l'annulation du vote, il respectera les résultats que le CEP publiera si ceux-ci resprésentent la volonté de la majorité (article). Bien évidement, il sait ce qu'est la volonté de la majorité…
- Labadie, tu ne comprends vraiment rien. Les premières informations sur les résultats confirmeraient que Martelly et Manigat vont passer au deuxième tour. Ils n'ont plus intérêt à ce que les élections soient annulées. La communauté internationale négocierait actuellement avec Préval pour qu'il donne du 'slack' au processus (avec son candidat) et laisse le deuxième tour de danse se faire entre Manigat et Martelly.
-Méchant couple !
-Ils se marcheront sur les pieds.

dimanche 28 novembre 2010

Soirée de première


Première tristesse. J'avoue, la première vraie tristesse de ce périple ayisien. La tristesse et la colère étant de proche parentes … Bagay la avec ces centaines de milliers de vies brisées est pour toujours une tristesse sans nom dans mon petit sac-à-dos, celui que je porterai toute ma vie. Une tristesse où l'espoir avait toujours réussi à se pointer le bout du nez. Une tristesse où il y avait toujours la vie. Ce soir, c'est le désert. Les histoires de magouilles se comptent par centaines alors que le CEP continue de nous dire que ces centaines de magouilles doivent êtres mises dans la même équation que les milliers de déroulement normaux. Mathématiquement, on suit. Politiquement ou socialement maintenant … Douze candidats réunis pour demander le report des élections supposément maquillées par l'Inite. Les rues sont pleines de moun en colère, ou payés pour l'être. Tout le monde demande le départ de Préval. Le demandera demain et après-demain… Un tremblement de terre politique dont les secousses vont continuer de nous hanter pour des mois. Des mois d'actions politiques qui continueront de moisir les conditions de vie de 9 millions de personnes. Et il y a cette Minustah qui nous avait annoncé que tout est en place et allait se dérouler dans le calme, correctement. Ayiti n'avait jamais été aussi bien préparée. Wow ! Des organisations internationales déjà éclopées qui continueront d'avoir pour les prochains mois des partenaires de danse désarticulés. Je suis en colère pour tous ces ayisien qui se sont fait noircir le pouce malgré la peur. Peut-être pour rien… Je suis en colère contre tout ce désespoir, désespéré de toute cette colère.

Ne quittez pas votre appareil...

Plus rien à comprendre, les événements se bousculent et je ne sais plus quoi penser ....

En continue

Ceux qui veulent suivre le déroulement des élections en continue, allez sur ce site : http://www.haitielections2010.com/. Haïti Press Network donne aussi des informations en continue : http://hpnhaiti.com/site/. Bonne journée !!

samedi 27 novembre 2010

Je me souviens


'Je me souviens' de la fébrilité du 29 octobre 1995. Le jour qui précédait le deuxième vote référendaire sur l'indépendance politique du Québec. 'Je me souviens' de cette journée légère et grave où en masse, les québécois se sont déplacés pour aller voter. Depuis des années, Jacques Parizeau avait préparé ce moment, on arrivait enfin à la fin de la troisième période d'une longue game. La photofinish avait départagé les vainqueurs des vaincus, on connait la suite. Je tente de me mettre dans la peau de mes collègues et amis ayisien qui vont aller voter demain. Un vote important dans ce petit pays aux deux cents dernières années troublées. Un jour, il faudra passer de ce 'Haïti n'existe pas', à un Haïti qui existe. Que les séquelles d'un accouchement difficile arrêtent de meurtrir cet État 'prématuré'. L'atmosphère est un mélange de fébrilité, de peur et de scepticisme. Tout le monde reconnaît l'importance de l'enjeu, bagay la n'ayant fait que révéler le vide béant dans lequel ce pays politique existe. Le choléra, mem bagay. Vide que tant de gens ont tenté de remplir aux cours dernières décennies. Millions de $ après millions de $, le vide est toujours … vide. Les autorités nationales et internationales se disent confiantes du déroulement du scrutin de demain. On se félicite d'avoir réussi à organiser des élections dans un tel contexte. Aujourd'hui, les rues sont vides, calmes. Anormalement vides et calmes. L'ambassade nous conseille très fortement de rester à la maison dimanche, de manger des chips en regardant des DVD. Des organisations internationales ont quitté pour la République Dominicaine depuis mercredi ou jeudi dernier, pour ne revenir que lorsque le climat politique post-électoral se sera calmé. Entendrons-nous toute la nuit et dans la matinée de demain, ces pétarades de coups de feu qui ne servent qu'à effrayer davantage les gens, à limiter la participation au scrutin ? Est-ce que la population affirmera une fois de plus son courage en défiant toutes les violences et la magouilles annoncées ? Qui gagnera dans la course à la contestation des résultats ? 'Je me souviens' de mon contentement le 30 octobre 1995, faire la queue avec tant d'autres, dire oui, sortir de l'isoloir et déposer le bulletin dans l'urne. Le retour à la maison avait été léger, satisfait d'avoir joué mon rôle dans cet exercice démocratique important. Des amis haïtiens passeront dîner à la maison demain après avoir joué leur rôle. J'espère qu'ils seront enfin légers de satisfaction.

** Pour les lecteurs français, 'Je me souviens' est la devise du Québec.

vendredi 26 novembre 2010

On verra bien


Ti-culs, mes frères et moi attendions avec fébrilité le début de la Lutte Grand-Prix à la télévision. En pyjama transformé pour l’occasion en costume de lutteur, un de mes frères se faisait un masque avec des bobettes … propres. Complètement chavirés par Édouard Carpentier, malheureusement décédé il y a quelques semaines. Toujours la même histoire. Ma mère laissait les choses aller jusqu’au débordement, la fin de l’émission étant sonnée quand l’un des trois (le plus jeune bien évidement) se mettait à pleurer ‘pour vrai’. Je n’y étais toujours pour rien, c’était mon grand frère le responsable … J’écoute parler mes collègues ayisien depuis quelques semaines, et ces images d’enfance me remontent à l’esprit. Tout le monde attend avec fébrilité une bataille que l’on sait truquée et qui se terminera lundi par de vrais dégâts. Aujourd’hui, les écoles ont été fermées, les gens craignant les débordements. Pour les mêmes raisons, elles le seront lundi aussi. Tout le monde à qui je donne rendez-vous pour lundi prochain reste dubitatif : Tu penses travailler lundi ? ‘On verra bien, mais généralement, ça se passe mal le lendemain des élections’ me dira une collègue. On verra bien !

jeudi 25 novembre 2010

Aussi simplement que ça


Ce matin sur la route du bureau, j’attendais au feu rouge. Il y en pas beaucoup, raison de plus pour les respecter. Sur le coin de la rue, il y a cet homme, début de la quarantaine et probablement au chômage comme tant d’autres, qui s’étire vers un filet d’eau qui descend de la toiture d’un immeuble. Il se lave les mains, récupère de l’eau dans ses deux mains pour se rafraîchir le visage, se remplit la bouche de l’eau qui tombe et se brosse les dents avec son index. Ils sont des milliers, des dizaines ou des centaines de milliers, à faire ce geste anodin tous les jours. En ville comme à la campagne, sur toutes les sources d’eau qui se pointent la goutte. Peu importe ce qui se passe en amont, qu’une femme ait vidé sa vessie, que la couche d’un timoun ait été nettoyée, … Pour un peuple qui évolue continuellement en regardant en amont de son histoire, c’est un beau paradoxe. C’est le lot des pays pauvres, des conditions de vie qui offrent un terrain fertile à la transmission de féco-orale. Pas besoin de dessin ... ? On parle du choléra maintenant parce que la crise en est à ses premières poussées et qu’elle est foudroyante, mais les haïtiens confrontent beaucoup d’autres maladies de cette nature. Il y a bien de ces enfants de ce pays qui sont morts de déshydratation et qui vont continuer d’en mourir, des maladies technologiquement si facilement à éradiquer. Faire entrer de l’eau propre dans une maison et s’assurer que l’eau sale en sorte, aussi simplement que ça. Les ingénieurs civils sont des sauveurs. Avant la sortie du choléra, on avait vu depuis dans la dernière année des jeunes mourir de la typhoïde. Le retour d’une maladie que les médecins croyaient enrayés depuis plusieurs années. ‘On n’avance pas, on recule’ m’avait dit un collègue pédiatre suite au décès d’un jeune de 8 ans. Le choléra vient donc s’agglomérer à une série d’autres maladies qui se propagent par l’incapacité à gérer les eaux sales et les eaux propres. Aussi simplement que ça.

mercredi 24 novembre 2010

Tout goûte le clorox


J'ai écrit un billet sur le H1N1 en Ayiti l'année dernière (http://jeanfrancoislabadie.blogspot.com/2009/08/h1n1.html). J'y écrivais plusieurs niaiseries, mais surtout je relatais comment les Ayatollahs de la santé publique auraient des boutons à voir les ayisien se toucher en période d'épidémie. Se toucher en Ayiti,tenir la main du gars avec qui tu parles, c'est comme pour les québécois parler de la température. Tous les jours, plusieurs fois par jour. Pour le choléra, mem bagay ! Pire en fait. Pire parce que la crise est si importante (des spécialistes vous diront dans le creux de l'oriel que les chiffres sous-estiment la réalité) que la population est en mode panique. On passe la journée à se laver les mains. On 'javelise' tout, tout goûte le clorox. Les marchandes de pistaches ou d'oranges qui colorent les rues de PAP perdent leur clientèle. Plus personne ne veut prendre de risque. Malgré tout, on se touche, on s'embrasse. La chaleur est trop grande dans ce pays des caraïbes.

mardi 23 novembre 2010

Pas cette fois-ci ?


Impossible pour moi de ne pas faire de parallèle entre ce qui se passe actuellement au Québec et la réalité politique haïtienne. Pour les français qui lisent ce blogue, disons que la vie politique québécoise est secouée par une multitude d’histoires de corruptions. Politiciens municipaux et provinciaux, mafia, industrie de la construction, collusions, enveloppes brunes, … Une belle soupe Habitant. C’est tellement intense comme crise que j’imagine la nécessité d’une psychanalyse collective pour sortir de ce trauma politique. Dans cette nébuleuse malodorante, il y a des élections partielles où le ton monterait entre les deux principaux partis, et ce dans un comté peinturé rouge depuis 25 ans. Il y aurait eu intimidation et vandalisme selon les belligérants. Deux des ingrédients de la soupe politique québécoise sont en action ici : Corruption et bisbilles électorales. À un degré autre bien évidement, mais rien n’est comparable. Depuis deux jours ici, on ne compte plus les histories de listes de superviseurs d’élections trafiquées, de manifestations, de distribution ‘anarchique’ de cartes électorales, de vandalisme contre les affiches des ennemis, de l’intimidation, de pneus qui brûlent et, malheureusement, de morts ou de blessés par balles. Se gravman grav, ça veut dire que c’est grave ! C’est la route normale vers la démocratie me dira Asefi. Bof ! Normal, qu’est-ce que ça veut dire ? Ici, ça veut dire habituel. Aristide a été élu en 2000 avec 93% des appuis, alors que seulement 5% des adultes s’étaient déplacées aux urnes. Le climat de terreur était tel que les gens ne sont pas allés voter. La terreur, ça fait peur. Le même genre de contexte est en train de s’installer et on pourrait croire que l’augmentation de cette tension paralyse la population le jour du vote. Peut-être que mon flair n’est pas très bon, mais j’ai le sentiment que cette fois-ci, la population voudra se lever, se mettre beau et aller voter. Autour de moi, des gens qui n’avaient pas voté aux deux derniers tours des sénatoriales (printemps 20009) et me disaient il y a un mois qu’ils ne voteraient toujours pas encore cette fois-ci, ils ont changé d’idée. Ils veulent se lever dimanche matin et se rendre dans un bureau de vote afin qu’on leur trempe le doigt dans l’encre, la preuve qu’ils ont fait un choix. Trempez vos doigts dans l’encre, il faut faire une tache dans l’histoire.

lundi 22 novembre 2010

Bonne semaine


Le premier matin de notre captivité dans un hôtel (confortable) du Cap la semaine dernière, il y avait ce timoun qui nous attendait. Il venait nous souhaiter une bonne journée. Le soleil était toujours à l'horizontale et illuminait son parapluie. La ville dans laquelle il vit était en 'guerre', mais son sourire et son oeil borgne charmaient tout le monde. Il jouait dans la rue avec ces petites voitures que les enfants ayisien se confectionnent avec des bouteilles de plastique. Depuis deux ans, mon coeur de ti-cul est chaviré par ces bagnoles. Un jour, je sais que je vais avoir l'indécence de proposer à un de ce timoun de me vendre son jouet-oeuvre-d'art à un prix mirobolant. Je me retiens depuis mon arrivée ici mais je sais que ma capacité de résister va fondre sous la chaleur de ce soleil et ces sourires. Je n'y pourrai rien, je le sais et reconnais à l'avance ma culpabilité. Ce timoun n'ira pas voter dimanche prochain, mais il faut juste souhaiter que celui qui sera élu le mettra au centre des intérêts de l'État ! Bonne semaine, elle sera chaude.

samedi 20 novembre 2010

Bonne idée !


Le mode ‘trouble’ s’est mis à la mode. La vague va-t-elle déferler sur l’ensemble du pays ou seules certaines villes vont s’embraser ? Pour le moment, les tensions semblaient s’estomper au Cap-Haïtien alors que pour Hinche et PAP, rien n’est encore joué. On entend parler de Mirebalais, de Ouanaminthe, des Gonaïves… Une chose est certaine, les policiers de la Minustah avec qui j’ai parlé dans les derniers jours sont sur les dents. La prochaine semaine risque de ressembler à une boîte à surprise. Je discutais avec Cetout de la situation des élections en le questionnant sur cette idée très forte que tout ce qui se déroule actuellement est orchestrée par la classe politique qui ne veut pas d’une élection qu’elle semble en voie de perdre.
- Ça me semble un peu simpliste comme analyse. Cette hypothèse est sur toutes les lèvres, charnues comme émaciées. Comme si l’évidence était tellement forte, qu’aucune autre idée ne pouvait se pointer dans la tête des gens.
- Depuis 20 ans, c’est la même ‘classe politique’. Celle qui profite de la situation du pays pour s’en mettre plein les poches. Là, je parle des politiciens corrompus, des trafiquants de drogues et de quelques familles riches du pays. Ces gens là paniquent actuellement. Leur poulain ne passe pas du tout dans les sondages et celle qui est bien assise en première place dans les sondages des dernières semaines, Madame Manigat, n’a jamais mangé dans leur main. Elle parle de ‘rupture’ avec l’ancien régime alors que Célestin se présente comme le candidat de la continuité.
- Cette analyse est aussi logique que séduisante, ça n’en fait pas pour autant une vérité transcendante !
- On a vu dans notre histoire récente ce genre de manœuvres. On arme des groupes criminalisés ou des jeunes un peu désœuvrés, tu ajoutes un peu de kob et du klerin (alcool) et hop, la situation s’embrase. Du temps d’Aristide, on parlait des chimères. As-tu remarqué que les accusations de distribution d’armes n’ont jamais été démenties ? En fait, tout le monde connait très bien la suite de l’histoire, ils ont vu la pièce à quelques reprises.
- Le chef de la Minustah mentionnait également que d’anciens militaires faisaient partie de ces manifestants.
- Eux, ils attendent leur tour depuis que les américains les ont écrasés pour réinstaller Aristide en 1994. Ils sont là, toujours près à reprendre du service. Pour le moment, ils se battent avec les chimères contre la Minustah, mais si jamais la Minustah plie bagage, les militaires et les chimères se feront la guerre. Les soldats sont de la clic duvaliériste, et ceux qui financent les chimères sont des aristidiens. Si la Minustah lève les pieds, bienvenue dans ta première guerre civile.
- Air-Canada a toujours des vols, ne t’inquiète pas !
- Ce qui est nouveau cette fois-ci, c’est que la communauté internationale semble tenir son bout. On voit des prises de position assez fortes des UN, de la France et des États-Unis pour le maintien des élections. Tout le monde imagine que Préval et ses amis ont maintenant deux bâtons dans les roues. Une population qui semble vouloir se mobiliser derrière Manigat et des acteurs internationaux moins complices.
- Je te dirais que la Minustah a également assez mal géré le dossier du choléra. Le fait de se dépêcher à nier toute responsabilité dans l’affaire offre une très belle opportunité à ceux qui avaient besoin d’un prétexte pour tout faire sauter.
- Donc tu penses que c'est vrai cette histoire que des soldats de la Minustah sont responsables de l’épidémie de choléra.
- Ce n’est pas mon point. Pour le moment, tout concourt à pointer du doigt les soldats Népalais installés à Mirebalais mais dans le contexte politique actuel, c’est un faux enjeu. Ceux de la classe politique qui veulent annuler les élections se sont fait offrir sur un plateau d’argent une occasion de mobiliser les manifestants. Imagine que les UN, au lieu de rapidement nier toute responsabilité, avaient plutôt dit qu’ils allaient étudier en détail la question et rapidement mettre en place dans toutes leurs casernes les dispositifs pour éviter toute contamination possible. Qu’ils allaient évaluer l’état de santé de toutes leurs troupes et que tout porteur sain allait être rapatrié dans son pays, et qu’ils s’engageaient en cas de responsabilité prouvée à dédommager la population haïtienne. Et que dans l’immédiat, ils allaient mobiliser des équipes pour soutenir la distribution des médicaments et équipements nécessaires aux populations touchées. Aujourd’hui, au lieu de se battre contre la population, ils distribueraient des caisses de sérum et d’antibiotiques… Disons qu’au plan de la stratégie de communication, on a déjà vu mieux.
Cetout m’écoutait sans broncher avant de reprendre la balle au bond.
- Du point de vue de la stratégie de communication, c’est effectivement une catastrophe. Au plan politique, c’est encore pire. Ils se sont offerts en cible à ceux qui ne veulent pas d’élection et qui ont les moyens de les perturber. Maintenant, il ne leur reste qu’à continuer à téléguider les manifestants. Ou on en arrivera tous à la conclusion que la situation est tellement dégradée qu’il faille annuler les élections, ou le climat de terreur imposera une participation tellement faible aux élections que ce sera plus facile de magouiller les résultats.
- Peut-être que t’es en train de leur donner une idée …
- Ne t’inquiète pas, ils n’ont pas besoin de moi pour avoir ce genre d’idée.

vendredi 19 novembre 2010

Restons calmes


À part les chiens qui jappent et les coqs qui s'étirent le gosier pour crier, notre coin de la ville est calme. Tout le monde est sur ses gardes, la rumeur (toujours celle-là !!) nous annonce une grande annonce pour les prochaines heures. Les élections seront-elles annulées ? Et ce même si la communauté internationale travaille dans le sens contraire. Restons calmes, il y a assez de monde pour s'énerver.

jeudi 18 novembre 2010

La Bataille de Vertières


Notre sortie du Cap-Haïtien a été une belle aventure… heureuse du moins. Mardi matin, on n'avait fait une première tentative de quitter la ville tôt en matinée mais la réalité des barricades et des manifestants s'était réinstallée. À Vertières, à la sortie du Cap, on a rebroussé chemin pour reprendre nos chambres à l'hôtel. Hier matin, on a eu plus de chance. Encore plus tôt cette fois-ci, on a sauté sur l'occasion offerte par l'escouade SWAT de la PNH. Les policiers de l'UDMO (Unité départementale de maintien de l'ordre) se préparaient à faire une ronde jusqu'à la sortie de la ville, deux camions de transport de troupes et deux douzaines d'hommes équipés nous offraient leur escorte. En moins de deux secondes, les valises étaient bouclées, les dents brossées. Fallait être beau pour cette sortie!! Encadrés de deux véhicules, nous sommes sortis lentement avant que les manifestants aient le temps de réinstaller les barricades enlevées durant la nuit. Il fallait qu'on rejoigne PAP par la route du département du Centre, la route nationale (qui passe en Artibonite, qui est plus courte et en meilleure condition) étant le champ de bataille principal entre le Cap et Limbé. Avant de se mettre définitivement sur la route, on n'a fait un détour par la douane de Ouanaminthe, le temps qu'une collègue canadienne puisse prendre un vol sur Montréal via Santiago (République Dominicaine). Le temps étant ce qu'il est dans un pays comme Ayiti, on est arrivé en soirée sur Hinche pour pouvoir s'étendre dans un hôtel afin de reprendre la route pour PAP dès la levée du soleil. La situation ne devrait pas s'améliorer pour aujourd'hui, c'est jour de la Bataille de Vertières. En fait, en plein coeur de la bataille actuelle, là où les ayisien affrontent les UN depuis lundi. Là où le 18 novembre 1803, Dessalines a mené la bataille qui a permis à Ayiti de naître le premier janvier 1804. On s'imagine que ceux qui nous ont sortis de la ville travaillent fort en ce congé férié !

Enfin libre

On a pu sortir hier du Cap-Haïtien et de retour à la maison ce matin. Je donnerai davantage de détails plus tard aujourd'hui. J'ai aussi fait quelques photos...

mardi 16 novembre 2010

C’est vrai que c’est faux

21h45, bien allongé sur le lit, je regarde la seule chaîne que la télé est capable de retransmettre. C’est de la lutte, 3 femmes en rouge contre 3 femmes en blanc. Émission britannique retransmise par les français. Artifices et imbécilités habituelles. Tout le monde sait que c’est vrai que c’est faux. Des amis qui deviennent des ennemis, des ennemis qui deviennent des alliés. Je pense à ces gens qui se battent dans les rues de la ville depuis deux jours. Des soldats de partout dans le monde envoyés ici et qui sur le fond, n’ont rien contre les haïtiens. Des haïtiens qui n’ont rien contre les chiliens qui sont là devant eux, mais plutôt contre la nébuleuse ‘communauté internationale’. Des discussions avec des autorités nationales arrivées à l’hôtel pour la nuit ou avec des policiers québécois qui appuient la PNH, on m’explique que des politiciens instrumentalisent le choléra pour perturber le déroulement des élections, pour les annuler. On finance et on arme des groupes de jeunes qui foutent le bordel. Cette hypothèse est sur les lèvres de tout le monde. C’est tellement un lieu commun que personne ne la remet en cause, c’est une explication générique, on la sert à toutes les causes dans ce pays. Que tout ce qui se passe depuis deux jours est de la frime. Comme un match de lutte, tout le monde sait que c’est vrai que c’est faux. Si les motifs sont faux, les balles sont vraies … Les dégâts aussi.
On attend des nouvelles pour avoir une occasion de sortir de ce merdier dès demain matin. retourner à PAP. Il semble qu’une trêve ait été négociée durant la journée et qu’on permettra à l’aéroport de rouvrir demain afin que soit rapatrié sur PAP ceux qui ont à l’être. On continue de passer ce moment en toute sécurité, pas vraiment d’inquiétude pour nous, mais on a quand même hâte de rentrer chez nous.

Ça se calmerait ...

À l'hôtel, on a passé une partie de la soirée avec deux photographes français arrivés ici pour le choléra et, disons simplement, que les troubles actuels ont offert un autre 'sujet'. Ils quittaient l'hôtel en même temps que nous ce matin pour aller travailler à l'intérieur des barricades. Ils viennent tout juste de revenir parce que la situation s'est nettement calmée, assez pour penser que ce n'est plus intéressant pour eux... C'est fou que ce qui est intéressant pour les uns, peut l'être moins pour les autres !

Toujours coincé au Cap-Haitien

Ce matin tôt, on s’est rendu au poste de police pour avoir des informations sur la fin de la journée d’hier et la dernière nuit. Les routes avaient été déblayées et l’aéroport resterait fermé. On s’assure que les villes entre le Cap et PAP ne sont pas elles aussi empêtrées dans les manifestations et on décide de prendre la route. On passera par le haut de la ville pour sorti du Cap-Haïtien une chance, le chauffeur est du coin et connaît les ruelles moins achalandées. Au sortir de la ville, on a déjà croisé quelques petits groupes qui se préparent à une autre journée de manifestations mais sans plus. En mettant les 4 roues sur la route nationale, on se voit bloquer le chemin par un groupe nettement plus nombreux. On nous fait comprendre que la meilleure solution est de retourner au Cap, que nous ne pourrons nous rendre à Port-au-Prince. On s’installe con à l’hôtel pour attendre la fin d el ajournée. Des contacts ont été faits avec l’ambassade et avec des policiers canadiens qui travaillent ici au Cap. Pour le moment, on est en sécurité à l’hôtel et on attend la suite des choses pour connaître nos meilleures options. Le moral reste bon, surtout qu’il reste du rhum. Les autorités haïtiennes arrivent en ville ce matin pour calmer le jeu. On reste branché sur les informations …

lundi 15 novembre 2010

Bagay yo chofe (ça chauffe )


Vu du ciel, le ciel bleu était très beau. Assis dans cette machine à voler, on se dirige calmement vers la piste d’atterrissage de l’aéroport du Cap-Haitien. Il fait beau et le vol est calme, à moins que ce ne soit il fait beau ‘parce que’ le vol est calme. En sortant de l’aéroport, je cherche le chauffeur qui devait m’attendre. Pas là. Pas son style ?? Je le rejoins au téléphone pour apprendre qu’il est terré au Cap, impossible de sortir de la ville pour venir nous cueillir. Des manifestants et la Minustah s’affrontent. Coups de feu, pneus qui brulent, gaz lacrymogène barricades. Impossible de quitter le centre-ville. Impossible également pour les gens de Fort-Liberté (Département du Nord-Est) où on avait réunion puissent venir nous rejoindre. Les rues sont bloquées. Il est 8h15 du matin et on s’installe dans l’aéroport pour attendre. Entre 10h00 et 12h00, les troubles se déplaceront autour de l’aéroport. Nos oreilles entendront plusieurs coups de feu et on respirera un peu de vapeur de gaz lacrymogène. Toutes les hypothèses sont sur la table, je l’ai écrit des centaines de fois sur ce blogue Haïti pays de rumeurs. La plus rapide à se manifester est que le parti au pouvoir vient de lancer des troubles dans tout le pays, les sondages ne déroulant pas le tapis rouge pour son candidat, vaut mieux tout mettre en place pour annuler le scrutin du 28 novembre. Selon une autre source, seule la ville du Cap est concernée par ces troubles ‘soudains’. L’autre explication veut que la population du Cap se soit révoltée à la vue ce matin du corps d’une jeune fille de 16 ans morte du choléra. On en voudrait à ce gouvernement qui dépense de millions pour la campagne de son poulain au lieu de prévenir le choléra et soigner les gens. Dans une dernière hypothèse (‘dernière’ hypothèse est présomptueux !!), la population en veut à la Minustah qui aurait apporté cette fichue bactérie dans le pays. C’est toutes ces réponses de me dire Asefi en lisant par dessus mon épaule. À 12h30 c’est confirmé, on ne quittera pas le Cap aujourd’hui et on ne sait toujours pas si on sera forcé de passer la nuit sur les confortables banquettes de l’aéroport… 14h45, l’aéroport s’est presque totalement vidé. Le chauffeur est toujours coincé au Cap et ne peut venir nous chercher, la fumée noire des pneus qui brulent se fait voir à plusieurs endroits entre la ville et l’aéroport. Un ingénieur de l’EDH qui patientait avec nous depuis le début de la journée a réussi à rejoindre de ses collègues qui viendront à pied nous chercher. On allait donc devoir se rendre à l’hôtel à pied. En passant pas des petites rues que seul un local peut connaître, on prendra près d’une heure pour se retrouver en sécurité à l’hôtel. Drôle de voyage dans cette ville tourmentée. Disons simplement que notre passage sera hautement remarqué, en matière de discrétion il nous en reste beaucoup à apprendre...

samedi 13 novembre 2010

La cause


En me levant ce matin, je me suis branché sur le net pour accompagner l'espresso des nouvelles du jour. De la veille en fait. Sur la page d'accueil de Cyberpresse, la photo affolante d'une haïtienne brulée à l'acide par son mari avec en titre d'article, 'La violence conjugale en Haïti : Le fléau caché' (L'article). L'article raconte l'histoire de deux femmes victimes de la violence de leur conjoint. Deux haïtiennes qui interviennent auprès des victimes et militent dans des groupes de défense des droits des femmes commentent la situation. Le patron de La Presse publie lui aussi un article de mise en garde. Se disant conscient que la photo de la Une allait être bouleversante. Tout commentaires serait inutile … On comprend dans l'article du patron que l'équipe a pris le temps de bien réfléchir à ce qu'elle s'apprêtait à publier et que suite aux échanges, ils ont cru pertinent de frapper fort : 'Car à la fin, nous avons décidé de mettre cette photo telle quelle à la une pour une raison: nous pensons qu'il est de notre devoir de sensibiliser la population québécoise et canadienne ainsi que l'opinion publique mondiale face à une situation révoltante, celle des femmes victimes de violence en Haïti.' Depuis ce matin, tourne dans ma tête le même fichu questionnement : Qu'est-ce qui dans la violence conjugale haïtienne est si 'révoltant' qu'il faille en informer la planète, et l'informer de cette manière ? Je veux dire la photo, le texte et le texte de mise en garde. J'ai relu l'article principal à plusieurs reprises et, je dois l'avouer, je n'arrive pas à comprendre le traitement journalistique donné à l'affaire. Je ne vois pas 'l'histoire' comme j'entendais les journalistes le dire lors de leur passage chez-nous en janvier dernier. Pas d'évidence qu'il y aurait en Haïti davantage de conjoints violents qu'ailleurs sur la planète. Que les femmes haïtiennes seraient plus violemment battues que les autres femmes sur cette même planète. Que cette réalité serait davantage cachée ici en Haïti qu'elle ne le serait au Québec, en Italie, en Australie ou en Tunisie. Que la culture 'machiste' serait ici plus forte qu'ailleurs dans le monde. J'avoue, je ne comprends toujours pas ni l'intérêt ni la pertinence d'un tel traitement pour une réalité aussi tragique.
Dans les premiers jours de notre arrivée ici, Jo et moi sommes allés à la messe, pur intérêt anthropologique. Le curé du haut de sa chaire rappelait aux femmes dans l'église la teneur de leur rôle au sien de la famille, en gros : Soyez soumises. Cette 'culture' nous crève les yeux tous les jours, on entend des histoires de gifles, de meurtres ou de conjoints contrôlants. On en parle également à tous les jours, l'affaire est l'objet de campagnes médiatiques continues, les grandes organisations internationales en font une priorité, le gouvernement aborde clairement la question entre autres sous la férule d'un Ministère de la condition féminine très dynamique. Les journalistes ont fait des dizaines de topos sur cette question depuis qu'un million de personnes vivent sous des abris temporaires. Des centaines d'ONG impliquées dans les camps interviennent relativement à la prévention de cette violence. De lire que ce fléau est 'caché' ne ressemble pas à la réalité que j'observe. Je ne dis pas qu'on en parle assez, je ne dis pas non plus que les groupes n'ont pas à se battre pour faire diffuser les informations relatives à cette violence, je ne dis pas que le débat est pleinement ouvert, mais je dis qu'on en parle. Pour la suite, on devrait tenter de comprendre comment le cadre légal protège les femmes, mariées comme celles qui sont en situation de 'petit-ménage' ? Comment, les juges et le policiers sont formés sur ces questions ? Quelles sont les positions des églises ? Comment on est ou non en mesure d'aider les femmes et leurs bourreaux ? Comment les positions des différentes ONG (souvent religieuses) s'intègrent à la réalité locale ? Comment la photo de la Une sert-elle la cause de toutes ces femmes sur la planète qui sont victimes de leur conjoint ?

vendredi 12 novembre 2010

Je ne commente jamais les sondages

Comme un bon ’futur’ politicien, je ne commente jamais les sondages. Il faut rester dans le dur, ne pas tomber dans le mou. Chez nous, les boîtes de sondage ont une réputation de neutralité qui facilite de manière générale l’adhésion de tous aux conclusions du coup de sonde. On peut toujours critiquer certains aspects de la méthodologie (surtout la formulation des questions), mais bof, ça donne la température ambiante. C’est tellement vrai, que les résultats publiés par plusieurs boîtes au cours d’une même période électorale vont sensiblement dans la même direction. Ici, je ne suis pas certain que nous puissions parler de ‘boîte de sondage’. Il y a bien évidement des problèmes importants (très importants) en lien avec la base de sondage (la population de laquelle on tire l’échantillon) et la capacité plus ou moins équivalente de rejoindre tout le monde, mais bof, ça donne la température ambiante. Depuis le début de la période BRIDES (Bureau de recherche en informatique et en développement économique) publient des sondages. Disons que pour une fois, il semble y avoir un sens, une compréhension simple et logique. Dans les résultats publiés hier, Madame Manigat domine toujours et conforte même son avance (de 23% en début de campagne à 32% aujourd’hui) alors que le deuxième Jude Célestin, stagne autour de 22%. Le mouvement catastrophiste entourant les élections se nourrie de ces sondages et l’idée est simple : Si la tendance continue de se confirmer, le pouvoir en place ne pourra pas faire gagner son poulain sans créer des problèmes sociaux importants. C’est dans cette logique que plusieurs personnes craignent les débordements violents (les rumeurs sur la distribution des armes par le parti du Président vont dans ce sens) puissent forcer l’annulation des élections. Ou toujours dans cette même logique que les rumeurs font dire au Président qu’il souhaite le report des élections en lien avec le choléra. Notez à ce sujet que le CEP continue de dire qu’il n’a reçu aucune demande en ce sens de la part du Président mais que les autorités compétentes (le Ministère de la santé …) seraient appelés à donner leur avis si jamais une telle requête lui était adressée. Mettre dans la même phrase les termes ‘évidence’ et ‘culture politique haïtienne’ est sûrement utopique, mais disons simplement que certaines tendances semblent se dessiner pour que les deux dernières semaines de campagne soient riches en rebondissements. Restez branché !

jeudi 11 novembre 2010

Secousse annoncée

Vous devinerez pas, encore une petite secousse. Assez importante pour que les gens du Ministère avec qui je travaille refuse de retourner travailler à leur bureau. On s'installe dans l'entrée de l'édifice au rez-de-chaussée et on recommence à travailler. À mon arrivée à l'hôpital, j'ai tenté de les convaincre qu'on avait plus de chance d’attraper le choléra en restant sur la cour de l'Hôpital universitaire que de mourir dans un tremblement de terre. Mais rien n'à faire, bagay la fait plus peur que le choléra. Surtout que circule depuis plus de deux semaines sur le net (plus rapidement que l'épidémie de choléra) un courriel annonçant un autre tremblement de terre pour ... imaginez ... le 11 novembre. Le prochain est prévu pour jeudi prochain, le 18. La fin du monde pour le 12 janvier 2012. Rien à faire pour se sortir du catastrophisme ambiant.

mercredi 10 novembre 2010

Le chien et son os


Insaisissable. C’est à cause de ce foutu marronnage, comme une course au cochon graissé… Cette incapacité que j’ai à comprendre réellement ce qui se déroule sous mes yeux depuis deux ans. Le créole a beau avancer, je continue de piétiner dans le noir. La réalité demeure insaisissable, imaginez maintenant la vérité !? Prenez les candidats à la présidence par exemple, rien à comprendre. Ce que j’entends ou je lis, c’est que derrière les 19 candidats, il y en aurait en fait que deux, Aristide et Duvalier. Une quinzaine seraient de la mouvance aristidienne, 3 ou 4 seraient duvaliéristes. La gauche et la droite qui me vient naïvement à l’esprit :
- Tu ne comprends rien Labadie, rien ne se passe dans cette forme de polarisation politique en Ayiti, me répond Asefi.
- Tu vas essayer de me faire croire qu’il y a quelque chose à comprendre dans cette analyse aristidoduvaliériste ?
- J’avoue que pour ça … peut-être que je ne suis pas certaine de bien comprendre !
- Ça veut dire quoi une mouvance aristidienne si ils sont 15 à la représenter et à s’affronter en même temps ?
- Là, tu parles des divisions internes à la mouvance.
- Sérieusement, à 15 candidats à la présidence sous la même mouvance, plus le parti d’Aristide qui boycotte les élections !! On ne parle plus de division, mais de décomposition.
- Pourquoi tu penses qu’on a plus de 150 partis politiques ? Chen ki gen zo pa gen zanmi (le chien qui a un os n’a pas d’amis).
- Difficile de ne pas tirer la conclusion que ça ressemble à un cirque ! Et je n’arrive même pas à distinguer les chiens savants de ceux qui les domptent ?
- Effectivement, personne ne distingue le chien de son maître dans cette galère. C’est une confusion entretenue dans le seul objectif de maintenir l’opacité nécessaire à la corruption. Personne ne comprend rien mais quelques-uns en tirent avantage. C’est cette obscurité rend impossible une l’implication constructive d’une société civile, ou un rôle critique des journalistes.
Asefi est restée silencieuse 10 secondes pour reprendre, "en fait c’est faux, le problème est plus important."
- C'est-à-dire ?
- Ce flou divise, permet à chaque haïtien de se faire sa propre idée, sans qu’une vision commune émerge, ou du moins que quelques-unes puissent émerger et fédérer les partis politique, la population. Autant de vérités que de personnes qui votent. L’espace solidaire insaisissable d'un pays qui ne peut exister.
- ... tu frappes fort, 'qui ne peut exister'.
- Attrappe-le et on en reparlera !

La camomille


Pierre-Louis Opont est le Président du CEP (Conseil électoral provisoire, provisoire depuis plus de 20 ans, mais conseil quand même !). Hier il a jugé bon de prendre la parole publiquement afin d'inviter les candidats à calmer le jeu. Brasse-camarades dans des assemblées, coups de feu sur des gens ou des résidences, voiture incendiée, main coupée à la machette, intimidations, ... Les élections commencent à se corser dans certains secteurs du pays. Tout cela dans un contexte où Préval a lancé un ballon médiatique en pensant tout haut à l'annulation des élections à cause du choléra et de Tomas. Tout cela également dans le contexte où les rumeurs concernant la distribution d'armes dans la population (distribuées par le parti au pouvoir) se multiplient. Pierre-Louis Opont invite tous les candidats à une grande réunion afin de faire le point, j'espère qu'il va servir de la tisane à la camomille !

mardi 9 novembre 2010

Les rapports nord-sud


Voici comment on amène une voiture à la dernière étape de sa vie utile. Après au moins trois vies en Amérique du Nord ou en France, elle a atterri ici pour finir ses jours. Les ayisien qui arrivent à faire un peu de kob circulent dans ces vieilles voitures qui viennent remplir les dépotoirs ou le bord des rues. La fabuleuse capacité des haïtiens de transformer 1$ en 10 offre à ces voitures une vie après la mort, on n'imagine pas ce qu'ils peuvent arriver à monnayer. Pour plusieurs, ce genre de transfert du nord vers le sud correspond à une bonne façon pour les pays riches de se débarrasser de leurs déchets. C'est drôle, les jeunes haïtiens qui ont étudié font le chemin inverse !

dimanche 7 novembre 2010

La peur


Drôle de phénomène que la peur. Elle s'agrippe comme il faut et s'acharne à s'immiscer dans tous les recoins de l'être humain. Ceux qui, comme moi, ont vécu ce foutu tremblement de terre ont ouvert dans leur esprit un autoroute à la peur. Elle y circule en continue. Le choléra génère le même genre de sentiment et vient simplement augmenter le flot des véhicules sur ce même boulevard. Les annonces entourant le passage de Tomas n'ont en fait que pousser un peu plus loin la densité de la peur. Bien branché à la radio vendredi matin, j'entendais les reporters qui circulaient un peu partout dans le pays pour témoigner de ce qui s'y passait. De ce que les gens faisaient ou ne faisaient pas. J'ai été frappé par cette femme de PAP qui refusait de quitter sa tente, Tomas ou non, elle n'allait pas abandonner ce qui lui restait. Elle avait bien évidement peur de celui qui avait repris ses habits d'ouragan, mais elle avait davantage peur de perdre sa place. Le petit bout de ce pays où elle est chez elle, le petit commerce informel qui y est rattaché et qui assure la portion quotidienne de riz national. Mais surtout, elle avait peur au prochain bagay la, celui qui devrait frapper bientôt. Plus jamais elle ne sera dans une maison qui pourrait lui tomber sur la tête, la tente lui assure passablement moins de dommage. Je me rappelais l'info diffusée dans les médias il y a deux ou trois semaines où une étude américaine venait confirmer que le mouvement terrestre du 12 janvier n'était pas celui que les spécialistes annonçaient depuis des années. Que le 'big one', pour reprendre une expression bien connue, était toujours à nos portes. Sous nos pieds en fait. J'entendais donc ce journaliste qui questionnait la dame au sujet du passage de Tomas alors qu'elle n'en n'avait que pour le prochain tremblement de terre, celui qui serait imminent. Merde !! Des trémolos dans la voix, l'animateur était chahuté par cette quasi paralysie. 'Comment en sommes-nous arriver à pousser des humains à un tel état de désespoir ? Comment notre société peut-elle avoir aussi lamentablement échoué à rassurer cette femme et les millions d'autres ayisien qui vivent dans la même situation qu'elle ?' C'est l'autoroute de la peur justement, li gen blokus (il y a embouteillage).

samedi 6 novembre 2010

Évacuez


Depuis trois semaines, le Président Préval est partout. Il a pris en main le dossier de la lutte contre le choléra et il s'est évertué à traverser le pays en deux jours pour diminuer la catastrophe de l'arrivée de Tomas. Cetout n'en revient pas ! 'C'est presque indécent !!' qu'il tempête.
- On ne l'a pas vu depuis 5 ans, au moment du tremblement de terre il a pris quatre jours avant de parler à la population pour venir nous dire : ' My palace collapsed.' On ne l'a pas vu pendant des mois et là, bang, il réapparaît. Le calcul politique et l'indécence s'abreuvent à la même mamelle.
- C'est vrai que tout le monde avait fait ce constat. Absent, complètement absent.
- Là, on le voit partout. Tous les jours à la télé pour venir enfin assumer sa responsabilité de chef d'État, trois mois avant la fin de son mandat.
- C'est trois mois avant la fin de son mandat, ou c'est un mois avant l'élection présidentielle ?
- Ouais, peut-être bien. C'est vrai que par la bande, cette forte présence médiatique et cette implication soudaine participent au discours principal de son dauphin, la continuité et la stabilité politique.
- Ce qui est particulier, c'est que ce changement de façon de faire n'impose pas vraiment un nouveau discours.
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- En fait, on l'entend depuis trois semaines donner des conseils au gens sur la façon de bien se laver les mains ou de mieux fixer les feuilles de tôle ondulée à la structure de la maison, mais il continue de répéter également que l'État ne peut pas faire grand chose pour eux.
- C'est vrai qu'il répète que l'État n'a pas les moyens d'aider la population et qu'il s'en remet encore une fois à la communauté internationale pour offrir l'aide et les services à la population. Mais la chose qui a changé, et de ce point de vue là il gagne sûrement des points, c'est qu'il réussit à donner l'impression que cette fois-ci, c'est l'État haïtien qui gère les crises. On le voit à la télé animer une réunion de la cellule nationale responsable de la gestion des urgences, avec les dirigeants de la sécurité civile, avec des ministres … Que des haïtiens ou presque. Alors que dans les faits, 98% de l'aide et des services sont assurés par la communauté internationale. C'est elle qui gère tout.
- Au plan de l'image de la responsabilité d'un chef d'État, c'est quand même nettement mieux que ce qui s'est passé dans les suites de bagay la !
- Effectivement, c'est nettement mieux au plan de la fonction. C'était quand même assez absurde dans le derniers jours de l'entendre répéter à tous 'd'évacuer', d'évacuer les abris temporaires, d'évacuer les maisons trop proches des ravines ou des rivières. Où pensait-il que les gens pouvaient aller ?? Ça me fait toujours rire ce genre de discours simpliste, pour ne pas dire imbécile, où on répète aux gens pauvres qu'ils n'ont qu'à se sortir de la pauvreté. 'Aussi simple que ça mon homme, deviens riche !' Faut peut-être se consoler, on a maintenant un Président dans la forme. Pour le contenu, il ne faut sûrement pas être trop impatient.
- La patience, c'est vous qui l'avez inventée.
- Labadie, tu t'en viens un peu trop diplomate.

vendredi 5 novembre 2010

Plus de peur que de mal


Ouf, il semble que le danger soit passé. Il resterait des plaies à panser dans le sud du pays, mais pour PAP, une pluie soutenue et c'est tout. Même pas de vent !! Des villes au sud de PAP seraient toujours dans la tourmente des inondations, Léogane et Jérémie entre autres. J'écris 'seraient' parce que les informations varient passablement selon les sources ... Même jusqu'à ce midi, des médias nous disaient que PAP allait être touchée en milieu d'après-midi, alors que selon d'autres, Tomas était déjà passé. Rien à comprendre ??? J'imagine que nous aurons l'heure juste au cours des prochains jours.

Une petite vite !


J'ai un accès internet pour quelques minutes ... PAP est rincée par la pluie depuis hier 15h00 mais rien de trop grave pour le moment. Sur la radio, on nous donne des nouvelles du Sud (Jérémie, Jacmel et les Cayes) qui y goutent pas mal. On parle de villes inondées, routes détruites, glisements de terrain et, bien évidement, de personnes décédées... Tomas arrive sur nous dans quelques heures, le vent est les pluies torentielles. On devrait en avoir jusqu'à demain matin avec ce brouhaha. Je suis passé dans deux camps ce matin, je n'ose même pas imaginer leurs prochaines heures.

jeudi 4 novembre 2010

Êtes-vous écoeuré d’entendre parler de nous ?


Ayiti sera encore le sujet médiatique de choix pour les prochains jours. Tomas s’en vient et on ne sait pas s’il portera ses habits de tempête tropicale ou d’ouragan. Ici, tout le monde est en mode ‘préparatif’. À Montréal, Bob avait l’habitude de me téléphoner pour m’informer de la venue d’une tempête de neige, c’est un adepte de Météo-Media. Ici, c’est le Président qui fait le tour du pays depuis deux jours pour avertir tout le monde de se préparer et surtout, de ne pas trop compter sur l’État, il n’a pas les moyens… Les enfants ont congé d’école. J’entendais jouer les jumeaux de la voisine ce matin en déjeunant et je me rappelais le bonheur des jours de congé pour tempête de neige. Il y a de ces souvenirs de ti-cul … Un petit quelque chose d’impossible à décrire mais que tout le monde partage. On devrait fermer le bureau en début d’après-midi, question que les gens puissent bien se préparer à souffrir la tempête. Tomas est donc à 200 milles d’Ayiti et passera sur l’extrême est de Cuba. On se retrouvera dès ce soir dans son onde de choc. Une collègue, irréductible haïtienne, est convaincue que Tomas changera d’idée ou décidera de passer sur le bout des pieds. En fait, que tout le monde s’énerve pour rien. Déjà ce matin, le temps était au nuage, le vent défaisait ma mise en plis. Je publie ce billet sans trop savoir quand je pourrais me rebrancher sur le web pour donner des nouvelles. Dès ce soir, on risque de perdre téléphone et réseau internet pour quelques jours, il semble que c’est toujours la même chose. On sera donc dans le noir des communications pour quelques temps. Merci à ceux qui croient de prier pour nous, et pour les autres, gardez une place dans vos pensées pour les ayisien. On se pince le nez et on plonge pour quelques jours. À la prochaine !!

mardi 2 novembre 2010

Ayiti est comme un trou dans la mer


Il semble que Tomas sera le premier ouragan a faire un passage sur Ayiti cette année. Ces frère et ses soeur avaient évité de passer nous dire bonjour depuis le début de la période. Il y a de cette visite qui comprend que vous êtes en pleine rénovation et qu'il n'est pas nécessaire d'arrêter dire bonjour. J'entends Hélène dire à Bob : 'On repassera quand ils seront installés, là, on dérangerait'. À qui le dites-vous ! Donc, selon le NHC (http://www.nhc.noaa.gov/), Tomas, à l'instar des électeurs américains (aujourd'hui même), tournera sur sa droite pour traverser Ayiti du sud vers le nord. En passant par l'Artibonite, la région siège du choléra... On se prépare, comme on peut, mais on se prépare quand même. Je ne parle pas de nous, Jo et moi, mais du million de personnes qui vivent dans les camps ici à PAP. Des abris de fortune faites de bâches, tentes, feuilles de tôle ondulée, feuilles de plywood, portes, du matériel qui facilement prend le vent, se met à la mode. Les affiches de Jude Célestin et de ses comparses à la présidence du pays sont-elles 'hurricanes proof' ? Devra-t-on annuler les élections ? Ce qui s'en vient est comme un trou dans la mer, impossible à saisir, qui se remplit de son vide.

Erratum


J'ai écrit samedi dernier que les villageois de Labadie n'avaient pas accès à l'électricité, c'est faux. Erreur du pitcher ! La route ne s'y rend pas, mais l'EDH a fait des efforts. J'imagine bien que les propriétaires des grosses cabanes cossues qui surplombent la mer autour du village sont bien, disons, 'connectés'. Au bout de cette route qui se termine, on prend un bateau-taxi qui nous amène au village. Comme à Montréal, le chauffeur du taxi est un haïtien … Un petit hôtel fort sympathique, six chambres. Norm's Place, du nom d'un texan qui s'y est installé il y a plusieurs années. Il est tombé amoureux en même temps du village et d'une villageoise. Une série de vieux bâtiments en pierre parfaitement aménagés, des fleurs partout, le charme et le confort se sont mariés chez Norm's Place. Au réveil, la vue de a baie est bouchée par ce gros paquebot (photo du blog de samedi). Royal Carribean y amène 4 ou 5 jours par semaine, un bateau pouvant contenir entre 5000 et 10 000 touristes. Ils ont tout pour s'amuser pendant les quelques heures que dure l'escale. Quant à nous, on reprend le bateau taxi pour aller juste à côté, à la Plage Paradis (ou Cadras). Snorkeler, dormir, lire, écouter de la musique, se baigner, tout ça en boucle. Tout seul au monde, ou presque. Une cinquantaine des 5000 croisiéristes sont amenés sur ce petit bout de plage désert. Un petit aménagement pour eux comprend entre autres une excursion de 20 minutes dans un 'vrai village' haïtien. Tout y est framé : joueurs de tam-tam, fabriquant de kassav, joueurs de domino, ménagères, … Ils repartiront avec quelques échantillons de l'artisanat local. En revenant au village en fin de journée, il y a eu embouteillage sur le petit quai de Norm's Place, le pêcheur de langoustes arrivait en même temps que nous. Quelques heures plus tard, sa cargaison était dans notre assiette. Du riz national, des bananes pesées et du pikliz. Je ne vous raconte pas. Les deux petit-culs qui nous ont servi de taxi durant le week-end ont été bien impressionnés par mon nom. Il semble qu'il y a un autre Jean François Labadie dans le village et ils avaient promis de me le présenter, mais les promesses, vous savez… Les sentiers qui sillonnent les maisons du village sont très étroits. Tout le monde vit dans sa cour et chacun écoute son poste de radio. Il y règne une cacophonie continuelle. Des timoun jouent partout, les femmes font la lessive ou coiffent les voisines, les hommes parlementent ou jouent au domino, les jeunes adultes se lancent des défis sur la place du village, les filles se faisant belles alors que les gars tentent de se faire forts. Tout va bien. Un bailleur a eu la bonne idée de construire un sous-commissariat de la PNH dans le village, mais il est vide. Aucun policier au village. À moins que ce ne soit pour sécuriser la Royal Carribean ? On voit ce genre d'absurdité dans certains coins où une organisation internationale construit des centres de santé sans réfléchir à la capacité du Ministère d'y installer des travailleurs. Un problème à la fois est la devise des organisations d'aide. On se confronte tous les jours aux extraordinaires disparités riches-pauvres dans ce pays. Labadie ne fait pas exception. Vient se poser tous les jours aux abords du village ces immenses bateaux qui déversent un flot humain de divertissements, de kodak, de crème solaire, de tyrolienne, ou de moto-marine. Se dépense en quelques heures sur cette plage haïtienne assez d'argent pour faire vivre chaque villageois pendant au moins une année. La communauté du village demeure exclue de toute cette activité économique, sauf pour quelques chanceux qui ont la badge de sécurité au cou qui leur permet d'entrer dans la zone sécurisée. Un chanson du populaire haïtien Topicana chante 'Labadie se paradi', une chanson que tous les ayisien connaissent. Disons que le paradis, comme tout le reste, c'est relatif.