samedi 30 janvier 2010

Plus besoin de PROZAC


On tient le fort, mais on ne l’est pas toujours. Fort je veux dire ! Il nous arrive d’avoir le caquet bas, un peu découragé par l’ampleur du défi, celui de maintenant comme celui de demain. À chaque fois que nous sommes dans cet état de fatigue-découragée, il se passe toujours on ti bagay (un petit quelque chose) pour nous transmettre une énergie nouvelle. Aujourd’hui, on a eu droit au genre de scène qui te booste de PROZAC pour la prochaine semaine au moins. En passant devant le camp de déplacés sied sur le terrain de soccer du parc Ste-Thérèse, on entend un chant. La bagnole s’est arrêtée toute seule. Elle s’est même stationnée toute seule ! Mon kodak m’a sauté au cou et je suis descendu entre les choristes et les danseurs. Une centaine de campeurs obligés chantaient et dansaient. Je faisais des photos pendant que Jo filmait le party et naturellement, sans savoir pourquoi et sans gêne de danser comme un 2X4, mon corps s’est déchaîné. J’exagère juste un peu, c’est pour l’effet. Mes voisins de piste de danse se sont mis à rire du blanc qui danse mal (désolé pour le pléonasme) et m’ont encouragé à continuer. Tout le monde a redoublé d’ardeur, petit moment de bonheur.

vendredi 29 janvier 2010

La mort n’arrive pas à se faire oublier


Se termine aujourd’hui une deuxième semaine complète après le brouhaha. Un peu partout, la vie trouve le moyen de sortir des décombres. Presque toute l’économie informelle a repris son pignon sur la rue ; marchandes de bouffe, de linge usagé ou de charbon, cireurs de chaussures, cordonniers, kawoutchou man, chiens jambés (les restaurateurs de coin de rue), taps-taps, … Même chose pour l’économie formelle. Au bureau, on accueille des équipes du Ministère de la santé et de l’Université d’État. Des gens qui recommencent à travailler, du moins à essayer. Ils ne sont que quatre fous (comme moi !) à travailler à l’intérieur de la maison. Toutes les autres moun (plus d’une vingtaine) travaillent dans le jardin, pas question de mettre sa tête sous un toit, même inspecté par une firme d’ingénieur. L’expertise scientifique et rationnelle d’un ingénieur ne pèse pas lourd contre un cœur shaké ! Même si les choses reprennent un semblant de normalité, la mort se rappelle toujours à nous. Une partenaire du Ministère vient de recevoir un téléphone, on a trouvé le corps de son jeune frère dans les décombres d’une des facultés détruites. Tous les jours comme ça, on croise une personne pas vue depuis le tremblement de terre qui nous fait la liste des pertes humaines dans sa famille, proche ou lointaine. Une autre pour te dire qu’elle est sans nouvelle de sa cousine qui travaillait dans l’édifice X et qui a l’allure d’un mille-feuille aujourd’hui ; ‘Elle venait de commencer à y travailler, c’était sa deuxième journée’. J’imagine qu’un jour, la mort ne fera plus partie de notre quotidien…

jeudi 28 janvier 2010

Le style colonial a tenu les secousses


Avec la Doyenne de la Faculté de médecine de l’Université d’État, on descend en bagnole vers le centre-ville ravagé. On zigzag entre les amas de béton qui jonchent les rues et on passe devant un édifice de l’époque colonial qui est bien droit sur ses bases. Un deuxième, un troisième, … Construites en bois, ces belles maisons à l’architecture coloniales ont mieux résistés aux secousses. La Doyenne laisse tomber : ‘Les maisons coloniales ont mieux tenus que les édifices modernes’. Il y a eu un petit silence de 10 secondes et j’ai lancé : ‘Vous parlez de l’architecture ou des structures sociales ?’. Elle s’est mise à rire sachant très bien ce à quoi ma question-blague faisait référence. Plusieurs pensent que le malheur qui s’abat sur le pays depuis plus de deux cents ans serait attribuable à son passage trop rapide dans le giron des pays indépendants. Des yaisien sont choqués de cette fronde à leur statut de première république à s’être libérée du colonialisme, comme si la liberté était toujours d’égale valeur, peu importe le contexte, peu importe l’époque. Un dogme ou quelque chose du genre. Cette idée qu’Ayiti soit devenu libre trop rapidement présuppose que la période coloniale n’aurait pas eu le temps d’instituer des pratiques et des structures sociales qui auraient pu survivre à une révolution. Ajoutez à cette idée le fait que plusieurs dirigeants des cinquante dernières années auraient détruits ce qui aurait pu être naissant, on s’est sûrement débarrassé de la période colonialiste trop rapidement. Les maisons quant à elles sont toujours debout ….

mercredi 27 janvier 2010

Il parait que le pays est au bord du gouffre


Vous pensiez avoir tout vu ! Il en reste encore et pas mal en plus de ça ! Parmi les impacts collatéraux de ce tremblement de terre pour nous, mais directes pour bon nombre de moun, est l’arrêt des activités à la Brasserie nationale d’Haïti. L’usine, remplie de bouteilles mais pas de moun au moment du séisme, s’est écrasée… La Prestige, gagnante du Word Beer Festival 2002, est la bière nationale. Les épiceries sont maintenant presque vides de notre bière préférée depuis un an. Pour dire vrai, c’est la seule mais elle est très bonne. Anpil fret à 36oC, elle fait plus que la job. Jo a réussi à en récupérer une dizaine dans le frigo d’une épicerie aujourd’hui. Elle se sentait un peu mal de vider le trésor national et en a laissé une pour le prochain assoiffé. Je ne sais pas trop comment les haïtiens vont réagir à cette nouvelle hécatombe, Je pense que le pays est au bord du gouffre !

mardi 26 janvier 2010

Plus besoin de planifier la reconstruction


Les aysien ont déjà commencé à reconstruire. Ils n’avaient pas eu besoin des autorités pour se construire n’importe où n’importe comment, ils n’en n’ont pas plus besoin pour lance la reconstruction. On voit donc des gens dans les mornes, relancer la construction de leur maison. La petite usine de bloc de béton à ciel ouvert sur la route qui mène à la maison, a recommencé à produire. Des gens fouillent les décombres pour récupérer feuilles de tôle et autre matériaux leur permettant de se redonner un toit. De la même manière, toute la vie a recommencé. J’ai vu cette voiture (voir la photo) circuler dans les rues de Port-au-Prince hier. Le propriétaire de la bagnole clairement écrasée par un bloc de béton, a des courses à faire, rien ne peut l’en empêcher. Le moteur, les roues et les freins fonctionnent toujours, pa gen pwoblèm !

lundi 25 janvier 2010

Lèd gen on pan kawoutchou


La panne caoutchouc (ou la crevaison) est une réalité haïtienne comme les faux-ongles en plastic sur le boulevard St-Laurent, il y en a partout. Pour le moment, l’aide a fait un ‘flatte’ comme on dit chez nous. Rien ne se rend aux sinistrés. Ni Judaine, Paul, Raymond, Benito, Marie-Carmel ou Thony, des employés de notre projet qui vivent dans des camps, n’ont reçu d’aide de l’État ou des organisations internationales. Nous leur avons assuré un accès minimal à certains produits (pâtes, riz, biscuits secs, fèves, café, conserves de légumes et de sardines), à de l’eau et à de l’argent liquide pour survivre, mais rien pour répondre à leur besoin. Dormir à la belle étoile peut avoir un petit quelque chose de romantique, mais le contexte ne se porte pas vraiment à ce genre de passion. La patience fait vite place au découragement et mes ‘jokes de mononcle’ commencent à perdre leur effet sur le moral des troupes. Il va me falloir des Nations Unies bientôt !

dimanche 24 janvier 2010

De la dignité à la violence


Après presque deux semaines, la vie réussit à se faufiler entre les blocs de béton montés en amas. Du spectacle désolant qui se montre à nos yeux, se dégage une vivacité qui fascine le blanc (étranger) que je suis. Une collègue me raconte que sous les débris de sa maison, on a trouvé sans vie son père, un ami et deux enfants en visite. Grâce à Dieu, elle, son mari et leurs deux filles sont en vie. Gras a die, aussi simplement que ça ! A 32 °C, les espoirs fondent rapidement, il faut donc enterrer la mort et permettre à son antonyme de reprendre une place. Il faut aussi signifier à Dieu qu’on a compris son message et lui rendre grâce pour voir épargné ceux qui l’ont été. On parle beaucoup de la force et de la dignité de ce peuple qui chante sa souffrance dans les campements de déplacés le soir venu. Cette dignité prend le bord quand après 12 jours sans un vrai repas, les services d’aide trébuchent. La violence est assise sur le bout e sa chaise. De la bouffe pour 3000 alors que le camp en compte au moins 5000, des retards de plusieurs heures dans la distribution, des services de sécurité inadéquats, … On voit les grandes difficultés de l’État haïtien à connaître et à contrôler la constitution de ces camps qui ont poussé comme des champignons. Quant aux organisations qui ‘débarquent’ en Haïti, elles n’ont pas nécessairement une connaissance adéquate du terrain pour bien distribuer l’aide. Devinez qui en paie le prix ?

Reconstruire ... l'action publique


La joute des mots - une spécialité haïtienne - est reprise. Doit-on reconstruire Haïti ? Plutôt la redéfinir, la réinventer, … Si Port-au-Prince n’existait plus et que nous reconstruisons le pays autour d'un autre centre, moins proche de l’épicentre ! Les animateurs et commentateurs qui meublent les émissions de radio discutent de tout concernant l’avenir : Que sera notre prochaine Université d’État ? Quel modèle devrions-nous privilégier pour réorganiser les services de santé ? Quelle stratégie de développement économique permettra à la plus grande part de la population d’y être active ? Doit-on repenser le politique, la gouverne ? Dans ce pays remplis d’intellectuels autoproclamés – toutes personnes passées par l’université est un intellectuel, c’est bien connu – on a l’habitude de ce genre de grands débats. Le tremblement de terre n’aura pas ébranlé cette dimension d’une culture du débat publique qui se complait dans le discours et qui au moment de se mettre en action, tombe dans les bonnes vieilles habitudes du marronnage : Bèl parol pa vle di verite pou sa. Je suis sûr que je n’ai pas besoin de traduire… Le seul vrai défi de la communauté internationale est de construire une réelle gouverne de l’action publique. Le peuple a été laissé à lui-même depuis trop longtemps.

samedi 23 janvier 2010

Dormez bien


Plus de 24 heures sans se faire shaker le coeur. Jo a pris cette photo hier en fin de journée. On va bien dormir.

Le défi


Imaginez une minute que vous deviez rénover votre maison et qu’en 2 jours, une bonne quinzaine d’entrepreneurs débarquent avec ouvriers et équipements. Tout en même temps bien évidement. Pas de contrat - ils ont décidé qu’ils n’en avaient pas besoin pour vous aider - et surtout pas de plan. Des électriciens, charpentiers, plombiers, … Pour compliquer les affaires, ces entrepreneurs ne parlent pas votre langue. J’ai participé hier en fin de journée au genre de meeting auquel vous auriez eu droit dans votre jardin. Une centaine de personnes dans une grande tente dans les quartiers des Nations Unies aux abords de l’aéroport. La chaleur ne voulait pas nous foutre patience (il fait encore 32 !) et la rencontre est ponctuée de pauses 'silence' au 3 minutes, des avions collent et décollent (à moins que ce ne soit atterrissent et désatérissent !). Il y a des gens de partout venu aider, tout le monde a sa spécialité, ses équipements, son hôpital, son secteur de la ville ou du pays. Les gens des nations Nations Unies tentent de coordonner l’incoordonable (j’ai décidé qu’en temps de crise, on a le droit d’inventer des mots !). Des organisations non gouvernementales (ONG), des gouvernements, des armées, des organisations religieuses, tout ce beau monde bien intentionné et compétent courent au plus urgent. Dans la pagaille et même dans le conflit. Coopération internationale peut aussi vouloir dire compétition internationale… L’acteur clé, présent mais impuissant, est l’État haïtien. Celui qui pourrait diriger cet orchestre improvisé, qui aurait un portrait détaillé du problème et des zones les plus touchées, qui pourrait définir ses besoins et son plan pour l’actuel et la suite. Il n’a ni les moyens ni les compétences pour diriger ces musiciens et c’est à mon avis le prochain grand défi de la communauté internationale. Les lui donner.

vendredi 22 janvier 2010

La ru se salon pep la

J’ai déjà écrit sur ce blogue que les haïtiens vivent dehors : ‘la ru se salon pep la’. La rue c’est le salon de la population. Avec les campements improvisés partout, disons que l’image et la réalité se confondent. On voit donc toutes les scènes de la vie quotidienne en pleine rue. Ce matin j’ai vu une famille se doucher juste où, normalement, les artistes vendent des tableaux aux abords de la Place Saint-Pierre. Une femme nue assise sur un bloc de bois, un ti moun de quelques mois sur les genoux, et un père les fesses à l’air en train de les arroser avec une chaudière. Le ti moun pleurait le diable alors que ses parents riaient. Le savon blanc qui coulait sur leur peau noir. Tout y était pour une photo, mais le voyeurisme de mon objectif a eu une petite gêne.

Et l'État haïtien dans l'affaire ?


Le Captain Carol a été très coopératif, il a installé un barbelé (trop court mais quand même, c’était le dernier qu’ils avaient !) sur notre défunte clôture pour éviter les débordements. Débordements qui avaient commencé à se faire sentir en plein milieu de journée. Pendant que je l’attendais, j’ai eu droit à une scène digne d’un film américain, style An Officer and a Gentleman. Un soldat se faire postillonner à trois pouces du visage par un supérieur qui parlait en mode Spray sur une bouteille de Windex. Un bon cinq minutes de douche et je n’imagine pas l’haleine… Je me suis dit que le pauvre soldat rincé venait de faire un commentaire désobligeant sur la population qu’il appuyait. Une engueulade anti-raciste en règle qui aurait même émue le président américain. Pendant ce temps-là, les partenaires haïtiens avec qui on papote confirmaient les propos de leur premier ministre devant les journaux du monde : peut-on tenir compte de l’État haïtien dans tout ce qui se passe ? Comme si les pompiers volontaires de Saint-Wenceslas du Canton d’Aston voyaient filer sur leur tête un avion amphibie de Bombardier pour éteindre les braises de la grande de Ti-Bert ! Je comprends, on ne parle pas de la grande de Ti-Bert. Mais la question de fond est de savoir ce que pourra faire l’État haïtien au moment de la reconstruction. Quand l’international sera parti ailleurs ? Probablement comme dans les Gonaïves en mars dernier où la revue The Economist relatait les propos de secouristes quittant pour la deuxième fois la région inondée (ils y étaient en 2004) annonçaient leur retour pour l’année rochaine (http://jeanfrancoislabadie.blogspot.com/2009/03/journee-de-premiere.html). Désolé pour l’auto-citation ! Je croise beaucoup de partenaires sur le bord du désengagement, comme si on ne reconnaissait pas leur apport, comme si on le plaçait sur une voie de garage. Ajoutez à cela trois bonnes répliques dans la journée, la famille qui couche dehors depuis plus d’une semaine, et vous obtenez quelques signes très clairs de découragement. Vive les lunettes fumées…

jeudi 21 janvier 2010

On est en guerre


En fin de compte, on a quand même réussi à bien dormir. La journée risque encore une fois d’être assez remplie. Plein de bébelles à finaliser pour l’accueil d’équipes du Ministère de la santé et d’une équipe de Médecin du monde. Parmi les choses à faire, une discussion à terminer avec Captain Carol. Les marines américains ont installé leur principal camp sur le terrain du centre sportif voisin de nos bureaux. Des Hummer comme vous en avez jamais vus, des hélicoptères qui nous font shaker la maison. On est en guerre !!! Le bug avec mes nouveaux voisins, et c’est un peu paradoxal, c’est la sécurité. Le mur qui ceinture notre bureau est tombé lors du séisme du 12, les gens peuvent donc entrer sur notre terrain (on a du diésel et de la bouffe en réserve, des ordinateurs, …) sans trop de difficulté. Jusqu’à l’arrivée des marines américains, nous n’étions pas trop inquiets pour la sécurité : le bureau est situé au bout d’une impasse bien surveillée, le voisin d’en face étant l’ambassadeur américain… La nouveauté est qu’ils souhaitent installer une clinique médicale sur leur base et que cette nouvelle clinique va faire circuler anpil moun (beaucoup de personnes) autour de nos bureaux. Le premier marine avec qui je discute de la sécurité de notre édifice advenant des attroupements devant la barrière du centre sportif, me dit qu’il assure la sécurité à l’intérieur du camp, pas à l’extérieur. Genre de réponse de fonctionnaire que j’adore… Assez intelligent quand même pour comprendre que nous risquons effectivement d’être envahis par les haïtiens venus chercher des soins, il me propose de rencontrer un de ses patrons pour vérifier s’ils ne pourraient pas élargir leur zone de surveillance d’une cinquantaine de pieds !! Son premier patron m’a dirigé vers un deuxième qui a fait la même chose vers un troisième. Si un jour on me raconte que la gestion type ‘militaire’ porte l’avantage d’établir des liens d’autorité clairs, je me ferais un petit sourire. Le Captain Carol a lui aussi compris que leur idée généreuse pouvait nous causer des petits soucis devait me revenir avec une solution dans la journée. On n’a pas eu le temps de se reparler, on va donc régler ça aujourd’hui.

mercredi 20 janvier 2010

Essayez ça pour voir !

Dormir habillé (ou en tenue respectable pour les voisins au cas où...) près de la porte de sortie, avoir ses souliers, ses pièces, un peu de bouffe et ses clés sur le bord du lit, donc sur le bord de la porte. Se coucher en se préparant à se lever en plein milieu de la nuit pour sortir en courant. Essayez ça pour voir, vous allez voir, on dort bien.... À demain !

La bouchée est trop grosse


J’ai vu la bête craquer, cet haïtien fort et sans peur, plus charmeur que rieur. La secousse du matin a frappé dans les genoux. Comme le but égalisateur en fin de troisième. Le genre de claque sur le nez qui laisse plus de marque dans le cerveau que sur l’épiderme. Elle fut courte et moins dévastatrice que la première (tout en terminant le travail inachevé par sa prédécesseur). Dans la tête toutefois, elle a fait sa marque ; tout le monde sait qu’elle peut encore frapper. Des partenaires découragés, au bord des larmes, des ‘toujours présents’ qui songent à quitter le bateau pour la campagne, question de protéger femme et enfants. Épuisés de vivre dehors, sans espoir de voir un toit les accueillir pour les prochaines semaines, si ce n’est les prochains mois, plusieurs manifestent des signes de découragement. Il faut sûrement se questionner sur la fuite des cerveaux. Depuis un an, je rencontre de ces hurluberlus amoureux de leur pays qui ont toute leur vie refusé de gagner plus et mieux leur vie en France, au Canada ou aux USA. Là où ils sont allés faire une spécialité ou des études supérieures. Ils ont accepté de passer par la période trouble du départ d’Aristide, de naviguer quotidiennement dans l’insécurité ou de sortir les bottes de pluies pendant les ouragans, mais là, la bouchée apparait trop grosse. Aujourd’hui en tout cas !

Bonne journée quand même

Le niveau de fébrilité a fait un bond depuis 6h00 du mat. Je viens de parler avec un partenaire du Ministère de la santé et la coupe est pas mal pleine. Vivre dehors depuis une semaine, se demander comment on va trouver l'argent pour reconstruire la maison. Où ? Quand ? La scolarisation des enfants ? Ça rentre dans le corps... On revient après la pause !

Et la terre re-trembla

Six heures du mat, le pommier recommence à shaker ! On a eu une secousse en milieu de matinée hier et une autre plus significative ce matin. Nous qui avions commencé à bien dormir à l'étage, je pense que nous allons retransformer notre salon en dortoir !

Bonne nuit

L’écoute du frottement de pattes des grillons et le comptage des étoiles devraient remplacer les somnifères. Les stress liés à l’intensité des journées se dématérialisent en quelques minutes de ce remède. Même plus besoin de Barbancourt…

mardi 19 janvier 2010

Voir des gens qui n'ont rien perdre tout


En arrivant au bureau ce matin, Raymond et Jean-Joseph mangeaient du mange blan (de la bouffe d’étranger). Une grande cuillère en plastique pour fouiller dans une enveloppe métallique à l’effigie des USA. Raymond en était à son premier vrai repas depuis presqu’une semaine. Sa fille a été blessée et ils campent dans le jardin de l’Hôpital du Canapé-Vert depuis mardi soir dernier. Jean-Joseph quant à lui s’en sort mieux. La maison s’est fissurée mais est toujours debout. La femme et les deux filles quittent pour la province aujourd’hui. Jean-Claude ‘snifera’ l’enveloppe de ses deux collègues sans être inspiré par la gastronomie américaine. Faut dire qu’il ne mange que du poulet ! Joel arrivera trop tard pour profiter du festin. En fait, les boys avaient besoin d’énergie, il fallait faire le ménage du bureau. Rien de grave dans la structure du bâtiment (selon mon œil d’ingénieur en bâtiment novice), mais les bibliothèques, les ordinateurs, le photocopieur et les imprimantes se sont payés tout un set carré. Un bon trois heures à faire des jokes de gars en déménageant des meubles, ça fait du bien. Il fallait rendre la place accueillante pour un groupe de médecins de Montréal qui arrive demain, et un comité du Ministère de la Santé qui installe son QG chez nous. Avec Jean-Claude, on a pu passer voir Paul avant la fin de la journée. Il nous a fait une grande accolade virile, c’est la nouvelle mode après les poignées de main qui durent vingt minutes… Il était fier de nous présenter toute sa famille et leur campement. Malgré tous les sourires, c’est dur de voir des gens qui n’ont rien, perdre tout. On finira la journée à l’Hôpital universitaire où les marines américains ont pris le contrôle. J’allais rejoindre le directeur des ressources humaines du Ministère qui y a ses bureaux pour comprendre qu’il ne pouvait résister aux mitraillettes à lunette électronique américaines.

Y'est quelle heure ?


Il y a deux semaines, je mangeais au resto avec deux collègues haïtiens. Carine, une anesthésiste qui travaille sans arrêt depuis le tremblement de terre et avec qui je me promets de prendre un rhum dès que possible, me demandait qu’est-ce que je n’aimais pas du pays. On eu une longue discussion à partir de ma réponse qui identifiait trois dimensions de la vie haïtienne qu’il serait trop long et non pertinent de décrire ici. Un jour j’y reviendrai. Ce matin à 6h00, m’est arrivé une quatrième bebelle qui me tombe sur les nerfs avec mes nouveaux amis, les … de téléphone en pleine nuit. Je sais, la nuit, comme la famille, est un concept relatif ; ce qui est la nuit pour moi ne l’est pas pour tout le monde. Je trimbale le téléphone d’une collègue canadienne d’origine haïtienne qui est retournée à Mtl dans les jours qui ont suivi. Disons simplement que pour elle, le tremblement de terre a généré et continue de générer des secousses. On voulait offrir une réponse à nos collègues et partenaires (et à ses amis) qui tenteraient de la rejoindre. Un ‘pas de réponse’ dans le contexte actuel prends toutes sortes d’interprétations… J’ai donc son téléphone qui sonne pas mal, pis souvent aux petites heures du matin. Troisième fois en quatre jours que je me fais réveiller vers 5h15 par un ami d’Arnelle ou un employé haïtien qui veut de ses nouvelles ou qui se demande s’il peut passer au bureau récupérer une clé USB… J’ai quand même bien dormi, un cinq heures intense. Dans quelques minutes je vais ouvrir le bureau à mon ‘réveil matin’ pour qu’il récupère sa clé USB.

Sixième lendemain : 2


La vie s’est bien déroulée aujourd’hui. Très bien même. On a pu prendre contact avec la dixième et dernière employée du projet, une de plus qui te dit ‘tout va bien mais je n’ai plus de maison’ ! La famille est en vie, c’est ce qui compte. La famille, drôle de concept en Ayiti. Dans nos préparatifs pour tenter de rapatrier certains employés vers le bureau, on a rapidement ralenti nos élans humanitaires. Pour un chauffeur du projet, amener la famille vivre dans nos bureaux voulait dire 46 personnes. Pour un autre, une vingtaine. 16 a été la réponse d’un des garçons de cour à qui je demandais combien il avait de ti-moun. Avec trois employés, on approchait 100 personnes. Penser logistique (bouffe, eau, sanitaire et médicaments) devenait impossible. On a donc opté pour soutenir ces employés sans-maison à l’intérieur des camps où ils sont et enligner les services d’aide pour que les ressources leur soient distribuées. On va donc faire la circulation entre les différents lieux au cours des prochains jours afin de stabiliser le plus possible la situation de nos employés. Je suis également passé voir les partenaires du Ministère de la santé qui était en réunion … dehors ! Plus de bâtiments assez solides pour gagner leur confiance. Comme avec les employés, les premières accolades ont été sérieuses. Sérieuses comme dans intenses et concertées. J’ai même réussi à faire des accolades à 20 pieds de distance ! Tu regardes de loin ton collègue, dans le sourire et le regard se dégagent une compréhension réciproque : on s’est inquiété l’un pour l’autre et on est heureux de voir que les dégâts ne sont pas trop tragiques. Des instants qui s’installent dans une mémoire.

lundi 18 janvier 2010

Sixième lendemain : 1

Je pars en forme pour une nouvelle journée de travail. La journée d'hier a été tout en sommeil et en calme. On a évité les zones plus troubles et avons fait un bon dodo du dimanche après-midi. De plus, on en est à une deuxième nuit sans secousses, c'est bon pour la santé mentale...

dimanche 17 janvier 2010

Cinquième lendemain : 2

Endimanché comme tous les dimanches, Jean-Claude s’est présenté à la maison ce matin vers 8h00. Il allait à la messe et voulait qu’on l’accompagne. Une cérémonie de l’Église Baptiste conservatrice à la quelle Jean-Claude et sa famille adhèrent. Une petite église construite de quatre murs et d’un plafond de tôle épargnée par le séisme des derniers jours. La salle se remplira tranquillement jusqu’à être bondée. Des prières, des chants et des témoignages se sont succédés. L’intensité était palpable, j’imagine encore plus grande que normalement. Les gens qui ont témoigné racontaient les événements tragiques auxquels ils ont été confrontés lors du tremblement de terre de mardi. Jo et moi aurions pu avoir l’air d’extraterrestres dans cette petite chapelle baptiste remplie de noirs, mais on a senti toute l’acceptation de notre présence. Jean-Claude qui a vécu le tremblement de terre avec moi était visiblement heureux de nous voir près de lui lors de cette cérémonie. Moi aussi. Au-delà du spectre de la compréhension que l’on peut avoir d’un phénomène comme celui qui nous a touché ce mardi – d’un simple mouvement de plaque tectonique jusqu’à la volonté directe d’un Dieu qui cherche à nous ramener dans le bon chemin – il y a la communion de deux humains dans le contexte d’une expérience intense. Jean-Claude n’a pas eu plus ou moins peur de mourir que moi, j’étais aussi anxieux de retrouver Jo que lui de retrouver sa femme et ses trois filles.

Cinquième lendemain : 1

J’ai vu un ti-moun faire sa crotte dans une assiette. Pas de blague !! En marchant aux abords du camp de sinistrés de la Place St-Pierre, un ti-moun d’à peu près trois ans, le cul nu-tête, était bien accroupi au dessus d’une assiette de styromousse que son père venait de lui installer. Le plus simplement du monde, il agrémentait sa production d’une discussion avec une petite fille à peine plus vieille. J’imagine que son père voulait s’assurer que le billot soit placé à l’abri des quelques milliers de gougounes à orteils qui circulent dans le voisinage. Ce genre d’images pullulent aux abords des camps de sinistrés. Des douches publiques en plein air, des petits BBQ improvisés pour nourrir les proches, des enfants qui jouent à la cachette, des hommes qui se mesurent au domino, du linge propre qui sèche sur une corde… la vie normale quoi. Il semble même que des chorales s’improvisent le soir venu. Les sinistrés de la Place St-Pierre reçoivent de l’eau et des vivres depuis deux jours. On a même réussi à installer quelques toilettes ‘chimiques’. La vie est très loin d’être confortable, mais l’ambiance générale est plutôt positive. Même le voyeurisme de l’objectif de mon kodak est bienvenue. On trouve des gens pour venir nous demander si notre famille se porte bien, si notre kay est toujours debout. Vous ai-je déjà dit que la force de la paix avait été inscrite dans le code génétique de cette population ?

samedi 16 janvier 2010

Quatrième lendemain : 3


23 heure 55 : J’ai pu parler pour la première fois à plusieurs de mes collègues et de mes partenaires aujourd'hui. Certains ont perdu des proches, mais au total, plus de bonnes nouvelles que de mauvaises ; drôle de comptabilité… Plusieurs d’entre eux dorment depuis mardi dernier dans des parcs de fortune et pour dire honnêtement, je ne vois pas quand et comment ils pourront se reconstruire une maison. Cette question là se pose pour l’État au complet. Plus de bureau du Ministère de la santé, plus de Faculté de médecine, plus de Palais de justice, plus de Palais national, … la liste n’en finit plus. Dans toutes ces histoires, se dégage encore une fois la grande humanité de cette population. Pour les cinq scènes de violence que les médias nous montrent en boucle, il y a 3000 démonstrations de courage et de sollicitude. On était tombé amoureux des haïtiens dès notre arrivée, leur force nous émeut aux larmes maintenant. Je me suis fait qualifier de bon neg aujourd’hui, l’accolade valait tout.

Quatrième lendemain : 2

7 heure 30 : Allez lire le texte de Chantal Guy, la journaliste que nous avons hébergée le soir du séisme. Arrivée à Port-a-Prince avec un photographe (Ivanoe Demers) pour couvrir des activités de Dany Laferrière qui était à PAP pour un festival de littérature. La littérature, c'est son bag, pas les tremblements de terre. Vous ressentirez ce que nous ressentons depuis un an. Chantal l'a eu en comprimé extra-fort. Un petit bijou. (http://www.cyberpresse.ca/international/amerique-latine/seisme-en-haiti/la-presse-en-haiti/201001/15/01-939777-ny-allez-pas-quils-disaient.php)

Quatrième lendemain : 1


Il est 4 heure du matin et je ne dors plus. Côté secousse, on a enfin eu la paix. On s’est couché tôt hier et dans le contexte adrénaliniste (après un tremblement de terre, on a le droit d’inventer des mots !) qui est le nôtre depuis mardi 16h50, 5 heures de sommeil ‘est ben en masse’. Je suis assis sur la terrasse et tente de compter les étoiles, comme d’autres les morts. Au loin, on entend des prières. C’est le temps de parler à Dieu, il parait que même s’il est partout, il serait de passage dans le coin cette semaine. Je sais que ça ressemble à hier, mais la prochaine journée sera intense. Je dois tenter d’organiser le bureau pour que nous puissions accueillir des collègues et leur famille qui dorment dehors depuis mardi soir. Il nous reste à trouver de l’information concernant deux employés mais les cellulaires ont montré quelques de reprise hier soir, je pense que ça va nous faciliter la vie.

vendredi 15 janvier 2010

Troisième lendemain : 2


18 heures 20. On commence à être fatigués. Les nuits sont courtes, parsemées de vraies secousses, ou d’inventées. La radio s’est mise en mode solution ; on informe les gens sur les maladies, les risques d’effondrement, l’enterrement des cadavres, … Des gens appellent des gens et on raconte des histoires qui feront la une de tous les médias. La plus sympathique est celle d’un petit camion téléguidé qui s’est mis à bouger aux pieds de parents anxieux devant les restes de leur maison. Ils venaient de comprendre que leur fils n’était pas décédé sous les décombres. J’espère qu’ils trouveront le timoun avant que les batteries ne meurent. La journée a quand même été bonne. J’ai réussi à obtenir des informations positives sur plusieurs personnes associées à notre projet. Des maisons détruites mais des familles intactes.

Troisième lendemain : 1


6 heure 30 : La nuit n’a pas été parfaite. On dort tout habillé près de la porte de sortie depuis maintenant trois nuits. Il ne nous faut qu’un petit mouvement pour qu’une panique injustifiée nous monte au cœur. On a connu une dernière ‘vraie secousse’ hier soir, mais le problème, c’est que notre corps et notre tête en vivent plusieurs. On sait qu’elles sont vraies quand au moins trois des quatre personnes l’on ressenties en même temps. Les deux journalistes que nous hébergeons depuis mardi soir ont été rejoints hier soir par trois nouveaux collègues. On est donc rendu 7 personnes dans l’aventure. Le salon a l’air d’une petite salle de rédaction, tout le monde sur son portable à gérer des photos ou écrire des textes. Pourvu que l’internet ne nous lâche pas ! La journée sera encore longue. Je dois repartir vers le bas de la ville pour récupérer une collègue et l’amener vers l’ambassade. Elle sera des prochains rapatriés. Il faudra également passer au bureau et tenter de trouver les employés haïtiens du projet, informer et s’informer des partenaires du Ministère de la santé et de l’Université d’État, des étudiants et des consultants locaux. À moins que les cellulaires ne recommencent à fonctionner, la tâche risque d’être pénible. Difficile de mesurer véritablement l’ampleur de la catastrophe. La question simpliste qui me trotte dans la tête depuis deux jours est ‘Par où commencer ?’ Tout est dévastation, comme si des issues n’existaient plus ! On peut sûrement se fier sur les haïtiens pour repartir la machine à bonheur.

jeudi 14 janvier 2010

Deuxième lendemain : 4


21 heure 45 : Les ... de secousses continuent de se rappeler à nous. On aura encore une nuit un peu stressante.

Deuxième lendemain : 3

18 heure 45 : La journée a encore été intense. À l’émotion de ce que nos yeux nous transmettent depuis deux jours, s’ajoute ce que notre nez distingue. Les corps qui recouvrent les trottoirs font les frais d’une chaleur caribéenne et les camps de fortune créés ’naturellement’ un peu partout ont les services d’aisance que vous pouvez imaginer. La vie refait quand même surface, comme si les 32 coups d’état et les quelques centaines de cyclones qui sont passés sur l’île depuis 200 ans, avaient entraîné cette population à faire face à tout. À n’importe quoi. Les marchandes ont recommencé leur commerce dans certains secteurs de la ville. On a pu s’approvisionner auprès de nos marchandes préférées : Un gros melon d’eau et des citrons. Demain elles seront encore là, on aura le temps de se faire des provisions. Demain toutefois, il faudra que les secours se montrent plus visibles. Manque d’eau, d’essence et de nourriture vont bientôt se mélanger à l’émotion de la perte et la frustration de vivre dans la rue. Le genre de cockatil que les haïtiens n’ont pas besoin de gérer dans le contexte !

Deuxième lendemain : 2

Une autre journée à se trimbaler dans cette tragédie. Aller chercher des collègues pas mal plus mal pris que nous et les amener à l’ambassade. Un 40 minutes en temps normal, on devrait prendre un bon 4 heures. Avec la probabilité assez forte de faire un bout à pied. Le moral reste très bon même si les … de secousses, si petites ou insignifiantes qu’elles soient, génèrent un stress très intense.

Deuxième lendemain : 1


7 heure 00 : Cette femme me hante. Réveillé tôt ce matin, je me suis branché sur les sites Internet des journaux du Qc. La fille en pleine une du Soleil me hante. Mardi soir lorsque tout a shaké, on s’est longuement croisé du regard, elle marchait angoissée vers le market Karibean d’où je sortais. Hier, sur le même site, nous nous sommes encore une fois croisés. Je ne sais pas si elle m’a ‘replacé’, mais pour moi c’était claire, la même fille angoissée de la veille qui avait passé la nuit à attendre une voix connue sortir des décombre. Je la retrouve ce matin sur la une du Soleil. La vie dans son regard me hante.

Premier lendemain : 2


23 heure 45. Journée de fou. Circuler dans les rues de Port-au-Prince pendant près de 6 heures entre l’Ambassade canadienne, le bureau, l’Hôtel Montana, d’autres bureaux canadiens et l’hôtel Karibe. Le bas du quartier de Musseau est complètement démoli. Les maisons construites les unes sur les autres sont maintenant empilées les unes sur les autres. Le quartier du Canapé-Vert donne les mêmes allures. Nous sommes allés voir le market qui s’est effondré sous mes yeux. La dévastation ressemble à un gros château de carte, les étages confortés les uns sur les autres, bien collés. Les jeunes avaient déjà commencé à circuler entre les morceaux de béton pour piller des téléphones cellulaires ou des cannes de conserve. Les images sont celles que vous voyez à la télé à la différence que la même ne nous est pas présentée 1000 fois. En fait, les 1000 images différentes se ressemblent, la désolation a une limite. Les haïtiens sont partout dans les rues, des campings de fortune dans les jardins de la primature, sur des terrains de soccer ou sur tout endroit laissant un espace dépourvu de toiture. Ils se préparent à y passer une deuxième nuit. L’entrée de l’hôtel Villa Créole qui sert d’hôpital ou plus de cent moun attendant des soins, les premiers comme les derniers. Les trottoirs sont été remplis de moun, vivants comme morts. Les morts bien enveloppés dans des draps, les vivants dans leur résignation. Si les rues ayisiene débordent de sourires et de bruits de manière générale, on a senti toute la journée un profond silence déambuler sur les trottoirs. La sérénité d’une population sur qui la chance ne s’est jamais fait un siège un tant soit peu confortable. On a le sentiment qu’intérieurement, ils crient : « Crisser nous patience trente seconde ! ». C’est ce que j’ai crié pour eux toute la journée.
L’internet ne dérougit pas. Plusieurs dizaines de courriels sont entrés, d’amis inquiets et d’inconnus qui veulent que nous retracions leur sœur, leur frère ou n’importe qui de proche. Mon blogue normalement visité par une quinzaine de personnes par jour a reçu plus de 3500 visites aujourd’hui ! Des journalistes de la France et du Québec veulent m’interviewer pour m’entendre dire que j’ai eu peur, que des morts jonchent les trottoirs, que les buildings se sont effondrés. Tout ce que tout le monde sait déjà ! Drôle de commerce.
La soirée a été ponctuée de répliques. Petites mais vicieuses. Notre niveau d’anxiété (ajouter la fatigue) est tel que le moindre mouvement nous place en alerte. Injustifiée mais efficace comme stress. L’enjeu pour les prochains jours concerne premièrement les ressources : les gens auront-ils assez d’eau, de diesel (génératrice et voiture) et de bouffe. Notre inquiétude personnel est tout à fait gérable, on peut penser que les activités économiques auront recommencé à exister au cours des prochains jours dans notre quartier moins affecté. Pour le reste de la population, la réflexion prend la forme d’une urgence.
On se couche fatigué et un peu anxieux, on souhaite que les répliques « nous crissent la paix pour quelques heures ! »

mercredi 13 janvier 2010

Premier lendemain : 1

9 heures 45 : Une première nuit sans anicroche. On a dormi un peu inquiet, mais on se lève quand même reposé. On a de la visite depuis hier soir. Les deux journalistes qui ont fait la une de La Presse aujourd’hui sont chez nous. Notre voisin de Mtl, responsable des pages internationales de La Presse, nous a contactés sur Skype pour que nous tentions de les rejoindre. Nous nous sommes rendus à leur hôtel et les avons trouvés dans le stationnement, ils s’apprêtaient à passer la nuit dehors, la Villa Créole ayant été dévastée. Dans une noirceur totale, les rues étaient pleines de moun (encore plus que d’habitude ! - qui s’apprêtaient à passer la nuit dehors. Il régnait un calme désarmant… Les deux journalistes ont fait leur texte et transférer leurs photos dans la soirée et vers 1h00, tout le monde se couchait. Je ne comprends pas pourquoi, mais notre Internet fonctionne à merveille, seul moyen de communiquer pour le moment. On se prépare ce matin à quitter la maison pour aller vérifier où en sont des canadiens avec qui nous travaillons Johanne et moi, les trois personnes était à l’Hôtel Montana, celui qui a été gravement touché.

Premier tremblement de terre, xième secousses

Minuit 30 : Il faut absolument souhaiter que ce soit le dernier… Très sérieusement, ne jamais vivre deux fois… Vers 16h45, avec le chauffeur, on entre dans le stationnement du Karibean, le gros market de Pétion-Ville. Comme à l’habitude, l’entrée est ralentie par le blokus continu de Delmas. En montant la pente de l’entrée, la Patrol s’est mise à danser. J’imaginais trois ou quatre boys debout sur le bumper en train de zigner la machine. En avant de nous, le sol du stationnement bougeait comme les vagues de Wahoo Bay. L’édifice du Karibean s’est mis à danser et en 3 secondes s’est complètement effondré. Un nuage blanc a envahi le stationnement et on voyait apparaître des zombies blancs de poussière complètement affolés. Une fois la poussière retombée – l’expression a quelque chose de prématuré – l’amas de béton du building haut de quatre étages me semble ne laisser aucun survivant. La folie s’est emparée des passants qui cherchent à se réfugier dans la Patrol pendant que les gardes de sécurité – dont un gravement blessé – ferment la barrière derrière nous. Le chauffeur qui avait compris plus rapidement que moi ce qui se passait s’est investi totalement dans ses prières. Il hurle ses incantations, les bras dans les airs. Au lieu de me percer les tympans, il me calme. Il donne un sens à cette folie qui se déroule sous nos yeux. Après cinq minutes de torpeur, les quelques automobilistes en mesure de reprendre le chemin de la maison forcent les gardiens à ouvrir la barrière haute de 15 pieds. Le spectacle de Delmas est désolant, ahurissant. On roulera pendant près d’une heure entre des buildings effondrés, des gens qui courent, pleurent et hurlent leur foi en Jésus en l’appelant des bras, des têtes blanchies par la poussière aux yeux ébahis, des blessés, des cadavres ou leurs bouts, … Jean-Claude continue de chanter énergiquement sa foi pendant le trajet. Mon athéisme est bercé par l’enthousiasme religieux de mon collègue. Les scènes déroulent comme dans un film mille fois vus. Je réussis même à diminuer mon anxiété d’être incapable de rejoindre Johanne en constatant que les buildings d’un seul étage ont tenu les secousses. Je la prendrai dans mes bras avant qu’elle ne comprenne l’ampleur du désastre, les choses s’étant mieux déroulées dans son secteur de la ville. On se prépare à notre première nuit à craindre les secousses qui ont meublé notre soirée. Notre propriétaire-architecte a toute notre confiance. À plus tard.

mardi 12 janvier 2010