mercredi 30 mai 2012

Publier ou ne pas publier, provisoire ou permanent


Il y a maintenant plus d’une année, dans la semaine qui a précédé le 14 mai, le jour où l’assermentation de Martelly a eu lieu, les parlementaires ont travaillé en urgence sur une réforme constitutionnelle. Pas une petite affaire, des dizaines d’articles ont été revus à la hâte. Tout devait être fait avant le départ de Préval pour que cette nouvelle constitution puisse s’appliquer pour la prochaine présidence, Martelly en l’occurrence. Entre le moment où les parlementaires ont voté et signé les nouveaux textes, et le passage à la publication officielle, il y a eu un peu de cafouillage. On parlait à l’époque d’erreurs matérielles. Une fois sorti du parlement, le texte passe à la présidence qui a la responsabilité d’en assurer la diffusion dans Le Moniteur (journal officiel de l’État haïtien). Une fois publié dans Le Moniteur, le texte devient effectif. Il y aurait donc eu dans le bureau de l’ex présidence transformation de la loi mère, transformations qui serviraient bien les intérêts d’un président sortant et de son parti. Il y a sur cette éventualité toutes les interprétations politiciennes imaginables, bien évidemment … Une chose est certaine toutefois, c’est que personne ici n’est en mesure de proposer une version qui serait reconnue valide par tous. Tout ce qu’il y a de constitutionnalistes et d ,avocats dans le pays (ou presque) proposent au président actuel (qui a toujours le droit de publier cette nouvelle constitution) de ne rien publier et de relancer une démarche pour refaire le travail. On trouve quelques haïtiens qui voudraient bien voir le président publier la nouvelle constitution, mais la pression reste tout de même forte pour que la présidence publie. Une pression de qui vous me direz ? Une pression de ceux qui financeront (ou pas) les prochaines élections (à prévoir pour l’automne). C’est que dans ces amendements transformés dans le rush de la fin d’un régime, il y a la création d’un Comité électoral permanent (CEP). Terminé l’existence d’un comité électoral provisoire (appelé CEP li mèm tou !!!), porteur, selon certains, de tous les malaises électoraux des 25 dernières années. Je suis sûrement trop parano, mais je reste avec un petit doute sur le fait que ce changement d’appellation (CEP pour CEP en passant !!) règlera les difficultés observées dans les derniers processus électoraux. Que ce nouveau CEP pourra plus facilement se soustraire aux pressions politiciennes !? Au moins un petit doute, je vous jure. J’espère donc que les pays amis qui veulent financer les élections laisseront tomber leur exigence de publication de la nouvelle constitution. Si non, ils vont nous lancer dans une crise constitutionnelle éventuellement pire que pourrait l’être une crise électorale. Surtout que cette dernière crise, ils peuvent plus aisément en gérer les contours.

lundi 28 mai 2012

Triste paradoxe

En Haïti hier, c’était la fête des mères. Très tôt dans les rues de Pétion-Ville, les vendeurs de fleurs se battaient pour trouver les fils/conjoints procrastinateurs. À la boulangerie, c’était aussi la cohue. Jo et moi sommes allés voir les enfants de l’orphelinat, question de leur mettre un peu de nourriture dans le ventre, un peu de joie dans le coeur. Ils nous ont remerciés - surtout Johanne - en chantant une chanson de circonstance. Imaginez-vous des ti-culs ‘pas de mère’ chanter une chanson pour leur mère à la fête des mères... Triste paradoxe. Jo a été tellement touchée, qu’elle leur a demandé de recommencer. De retour à la maison, elle réécoute la chanson.

dimanche 27 mai 2012

Je m’ennuie du Québec

Je ne pensais écrire un tel titre de chronique. J’ai quitté mon pays depuis plus de 3 ans et jamais jusqu’ici j’ai eu envie d’y retourner. Pas parce que plus rien ne m’intéresse là-bas, mais parce que le ici continue de me combler. Il arrive bien évidemment que des proches du Qc me manquent, que des effluves de la tonkinoise de chez Phò Bang New York me hantent, ou encore que l’envie d’un espresso du Café Italia me fasse verser dans la nostalgie, mais pas un ennui persistant. Jusqu’à ce que ces concerts de casseroles qui poussent sur l’asphalte qui dégèle au printemps installent leurs racines. Des racines qui ne seront jamais trop profonde, c’est dans la logique d’une crise, les fleurs ont la vie courte. Mais quand même, j’aurais envie d’y être. Je me vois bien dans les rues à frapper de la casserole et à scotcher toutes ces scènes de vie sur mon kodak. Parce que c’est de cette vie que je m’ennuie. Je ne sortirais pas dans les rues contre la loi 78 ou contre l’interdiction de manifester avec un masque. Je ne jouerais pas de la T-Fal contre la hausse des frais de scolarité ni contre le néo-libéralisme ambiant. Non, je manifesterais pour cette expression de la vie démocratique. Parce que ma grande crainte des dernières années (une de mes grandes craintes avec un nouveau séisme) est c’est épuisement de l’existence démocratique. Je me souviens d’avoir lu des chroniqueurs ou entendu des commentaires au printemps dernier se plaindre d’être appelé aux urnes pour une troisième fois en quatre ans !!! On voit ces taux de participation aux élections fondre comme neige au soleil depuis des années. On ne parle pas des élections municipales … Pas besoin de faire le tour de la planète pour comprendre que cette dimension de la vie collective est une denrée rare (dans son existence tout autant que dans sa qualité) et qu’à se titre, on a la responsabilité de bien la traiter et de l’entretenir. Je l’écrivais ici il y a quelques semaines, j’en étais arrivé à penser que seule l’écologie pouvait mobiliser les gens de mon pays (Suroit, Orford, …). Je me mets à rêver à des manifestations populaires pour dire à nos gouvernements qu’on veut Kyoto, que le libre-choix en matière de procréation est un droit, qu’on ne veut pas d’une justice criminelle plus répressive, que l’on veut un positionnement politique plus modéré dans le dossier palestinien, … Si tout ça arrive, je reviens au pays !

samedi 26 mai 2012

Un État faible

Dans le jargon de l’aide internationale, on dit qu’Ayiti est un ‘État faible’. Je n’ai pas cherché de définition formelle de cette appellation, je n’en voyais pas la pertinence. La paresse intellectuelle m’attrape dès que les choses apparaissent trop évidentes. Un État faible, c’est sûrement un État qui n’a ni les moyens ni les pratiques pour assumer ses fonctions, un État débordé par les groupes d’intérêt (propres comme moins propres) et une population qui n’a plus rien à attendre de lui. Mon travail consiste principalement à renforcer cet État, un tout petit morceau, mais un morceau quand même. Dans ce contexte d’État faible aujourd’hui, j’écoutais un reportage radio de la visite du nouveau premier ministre dans la ‘caserne’ de la CIMO (Compagnie d'Intervention et de Maintien de l'Ordre, un espèce de S.W.A.T.). Il voulait souligner la qualité de leur intervention samedi dernier, quand la CIMO a sorti les pseudos-militaires de la base de Lamentin. Le premier ministre soulignait la qualité de leur intervention malgré le manque de moyen de la CIMO. Manque de moyen, ça veut dire des millions de chose : Pas plus de bureau que de chaise, pas d’électricité sauf quelques heures par jour, pas souvent d’essence pour faire rouler les camions, une imprimante sans encre et sans papier (mais pas d’électricité on se fout que l’imprimante manque de papier ou d’encre !!), … On ne parle pas du salaire bien évidemment, les arrérages se comptent souvent en six mois. Un État donc, incapable d’offrir à son corps d’élites (ou à toute la fonction publique) des conditions d’exercice adéquates. J’écoutais ce reportage en revenant de travailler quelques heures avec des partenaires haïtiens. Quelques heures dans leur bureau. Une salle assez grande pour contenir confortablement deux bureaux et deux chaises, mais qui arrive à concrètement à en meubler cinq. Cinq bureaux et cinq chaises auxquels il faut ajouter deux ventilateurs sur pied (pas de clim bien évidemment) et trois classeurs. Le bureau ne compte que deux prises de courants, on retrouve donc ce qu’il faut de multiplicateur de prises pour donner du courant à toutes les bebelles de la place qui fonctionne à l’électricité. Lampes, ordinateurs (il y en a cinq, ce qui veut dire 10 branchements), ventilateurs et chargeurs de téléphones cellulaires (il y en a dix, les haïtiens ayant chacun deux téléphones). Les fils de branchement passent partout et il devient quelques fois plus facile de les faire passer sur les bureaux. La fille avec qui je travaille porte une jupe assez ajustée, trop ajustée pour arriver à passer sa jambe au dessus du fil qui passe sur la table pour bancher l’écran de l’ordinateur qui est derrière nous. On a donc été forcé de débrancher l’écran de notre voisin à plusieurs reprises, ma collègue devant se déplacer pour toutes sortes de bonnes raisons. Le plus fascinant dans l’affaire – et le plus symptomatique éventuellement – est que personne ne s’énerve, même pas notre voisin qui a vu son écran s’éteindre pour une minute tout au long des quatre heures que j’ai passé dans leur bureau…

jeudi 24 mai 2012

L'inacceptable est maintenant possible

Un fait divers qui n’aurait pas pu servir à l’excellente série américaine Six feet under. Un fait divers qui, comme sa fonction l’impose, nous raconte un peu ce qui se passe dans une société. J’ai écrit il y a quelques semaines au sujet de cette jeune fille qui se serait réveillée à la morgue avant d'entrer chez elle. Dans le même ordre d’idée, des funérailles ont viré au calvaire aujourd’hui à Petion-Ville. Le mort saignait toujours et avait subi des blessures importantes qui n’existaient pas au moment où son décès avait été déclaré. On se retrouve donc avec une famille qui veut voir la dépouille et des employés de la morgue qui ne veulent pas ouvrir le cercueil. Le climat monte en intensité jusqu’à ce qu’on force enfin l’ouverture de la boîte. À partir de là, l’intensité atteint un sommet. La PNH et un juge de paix sont appelés sur place et à attendre le reportage radio, je ne sais pas qui du juge de paix ou des membres de la famille était le plus énervé. Le ‘mort’ a été rapidement transféré à l’hôpital où il est … décédé. Enfin pourrions nous dire ! Le bonhomme était aux mains de la cie de pompe funèbre depuis 10 jours. Vous pouvez imaginez son existence ? Quant aux cinq croques-morts, ils ont été prestement installés sous les verrous. Ce genre d’évènement ne serait malheureusement pas si exceptionnelle, la machine à mythes urbains fonctionne à plein. Là où ce fait divers nous donne certaines indications du contexte social, c’est en premier lieu dans cette incapacité de quelconque structure formelle (plus souvent l’État) de confirmer le décès de qui que ce soit. Les morts sont donc généralement ‘déclarés’ sur place par les membres de la famille, les voisins, les passants. Personne ‘compétente’ confirme ce genre de constat, impossible de faire la nuance entre un coma, une perte de connaissance et un décès. Les familles envoient donc des 'vivants' dans les mains des thanatologues. Autre élément révélateur de cet Ayiti cheri, c’est la compétition entre les compagnies de pompes funèbres. De manière générale, le premier arrivé sur les lieux est celui qui se tire avec le corps et signe avec les familles un contrat fort lucratif. À titre d’information, les haïtiens assument en moyenne 150 000 gourdes (plus de 3500$ US) pour enterrer leur mort. 3500$ pour une population dont le revenus de 80% d’entres-eux ne dépasse pas 2$ par jour… Ici, on se vide les poches pour envoyer ses enfants à l’école et pour enterrer ses morts. Si on a un mort à enterrer, les enfants risquent fort de manquer la fin de l’année scolaire. Il faut juste faire le tour des villages pour comprendre que la grosse ‘cabane’ du coin est toujours celle du gars qui gère les morts, mon petit périple entre Port-de-Paix et PAP m’a confirmé une fois de plus ce constat. Il semble donc qu’il y a là un business assez lucrative qui pourrait induire ce genre de barbarie. Le dernier élément, c’est le fameux 15%. Il semble que certaines entreprises offrent ‘en douce’ à un des membres de la famille une ristourne de 15% à la fin des évènements. Pratique assez connue pour que le chauffeur m’en parle avant que l’animatrice aborde cette question. Il semblerait donc que certaines personnes pourraient avoir intérêt à rapidement déclarer le décès d’un proche. Se confondent ici une fois de plus ces relations tordues et complexes entre contexte de pauvreté et respect de certaines valeurs sociales reconnues. L’inacceptable devient possible.

mercredi 23 mai 2012

Pauvre vie de coq

Je viens de traverser le pays assis dans un 4X4 confortable … qui roule sur une route tout à fait inconfortable. De PAP à Port-de-Paix, c’est une trentaine de minutes d’avion ou 6 heures de machine. Bad luck, il n’y avait plus de place sur l’oiseau volant de Tortugair. J’ai donc été forcé d’échanger ma peur de mourir en avion pour ma déception de perdre presque une journée complète à me faire brasser (la moitié du trajet). À me faire brasser sur une route qui n’a la qualité de route que par le fait qu’elle permet à une machine de se rendre d’un point A à un point B. Pour le reste, ce n’est pas tut à fait une route. Ok, j’ai vu du pays, un coin que je ne connaissais pas en plus. Je venais en fait de compléter mon tour des 10 départements du pays. Je ne peux même pas en dire autant de mon pays … Arrivé à mon chic hôtel de Port-de-Paix, la clameur d’une foule proche m’a interpelé. Un gagè, encore une première (je parle d’un vrai gagè organisé). Les batailles de coq organisées dans une vraie petite arène, plein d'hommes autour qui gagent, qui crient et surtout, qui propulsent des tics vocaux et moteurs à faire peur. Mon voisin se mangeait frénétiquement les doigts dans un rythme défini par les sauts et attaques d’un des deux gladiateurs. Pauvres gladiateurs. Outre l’intérêt anthropologique de participer à cette activité, il y a … bof, un peu d'incrédulité. Cruel vous pensez ? Les coqs finissent effectivement leur spectacle en mauvais état, passablement déplumés. Mon anthropomorphisme primaire m’amenait à imaginer ces deux coqs en train d'échanger : « À quel cirque on participe là ? On se bat pourquoi en fait ? Il n’y a même pas de poules !! Pourquoi ces gens crient comme ça autour nous ? C'est fou !!! Pauvre vie de coq… »

lundi 21 mai 2012

Il y a vendre son âme, et vendre son âme !

Carrefour est à la sortie sud de PAP. On traverse Carrefour pour se rendre à Jacmel ou aux Cayes. Depuis plusieurs semaines, la sécurité de la coopération canadienne nos inonde de messages pour nous dire que la route de Carrefour est fermée ou le centre de tensions sociales importantes. On nous invite au maximum à la prudence, au mieux d’éviter complètement le secteur. À Carrefour, il y a la base militaire de Lamentin. Là où les soldats démobilisés se sont installés. Là aussi où on trouverait le groupe le plus décidé à ne pas bouger. Le gouvernement avait réussi au cours des dernières semaines à sortir ces milices des anciennes bases en rouvrant entre autres le dossier de l’arrérage salarial des ex-soldats. Il semble que ce sur ce point les avancées aient été assez bonnes et que des gens ont commencé à toucher leur chèque. Bien évidemment, ces milices ne seraient pas composées uniquement d’ex-militaires, mais de jeunes hommes éventuellement intéressés à entrer dans le nouveau service militaire annoncé par Martelly (ça veut entre autres dire un salaire !!), ou encore d’autres intéressés par on ne sait quoi. Les militaires (dont des femmes) de Lamentin, ont donc décidé de rester en place et d’eux-mêmes, faire respecter la constitution en remobilisant l’armée. Vraiment, la constitution dans ce pays, ça sert à n’importe quoi et à son contraire !! Vendredi, pour la fête nationale du drapeau, la PNH (appuyée de la Minustah) a décidé de vider la place. Une fois de plus, Carrefour a été fermé et on a eu droit à une petite bataille qui a duré assez longtemps pour les messages de la coopération canadienne pour lever les inquiétudes n’est arrivé que ce matin. Un weekend intense (des blessés et deux morts selon certains médias) qui s’est entre autre soldés par l’arrestation de 50 personnes. 50 personnes dont deux américains et un canadien installés chez les ‘petits bonhommes verts’ comme certains aiment les appeler. À la radio cette après-midi, il y avait bien quelques nationalistes pour nous raconter que c’était une honte que les autorités aient profité de la journée commémorative du drapeau pour intervenir, et une double-honte nationale que ces mêmes autorités aient fait intervenir une armée étrangère pour réaliser le sale boulot. Il y a vendre son âme et vendre son âme, quand même ! Un long weekend qui n’a pas été un congé pour plusieurs, et qui lance un nouveau message dans l’arène politique. Ceux qui voyaient la présidence comme commanditaire de cette milice vont éventuellement revoir leurs positions.

mercredi 16 mai 2012

Les faux et les vrais

J’ai discuté avec Cetout et Asefi un peu plus tôt cette semaine des changements perceptibles dans la vie haïtienne depuis l’installation de Martelly. Les opinions divergent, c’est normal, c’est leur fonction première. La chose qui a le plus changé selon moi est la circulation des voitures ‘officielles’, ou aux allures officielles. Le président et ses proches ont pris l’habitude de sortir en convois hautement visibles et audibles. Quelques policiers à moto en avant, quelques 4X4 remplis de 3 ou 4 ‘monsieur muscle’ fortement armés (le truc étant de laisser sortir du véhicule le canon de l’affaire), une ou deux voiture noire aux vitres ombragées, quelques 4X4 remplis de 3 ou 4 ‘monsieur … et finalement, quelques policiers à moto. Les sirènes font la compétition au klaxons et ‘tasse-toi mononcle’, le convoi fait son chemin. Quand on pense que Preval pouvait conduire lui même son véhicule dans les rues de PAP… Outre cette grande fanfare présidentielle que je ne croise heureusement pas tous les jours, il y a ces quelques centaines (sûrement un millier) de véhicules arborant une plaque de l’État (OF pour officiel ou SE pour service de l’État) à qui on a ajouté des petits gyrophares et feux stroboscopiques et une sirène. Ils sont partout et la tendance à la mode chez certains hauts fonctionnaires, est de faire équiper son véhicule de ces gadgets de police, question de passer moins de temps dans les blokus. Et finalement, s’ajoutent les ‘parvenus’ (l’expression est d’Asefi), des privés qui ont fait équiper leur voiture du kit de police, question eux-aussi de ne pas perdre leur précieux temps dans les embouteillages. Il y aurait un racket (encore une rumeur) de ces équipements contrôlés par les proches de la présidence, comme pour marquer son appartenance au clan. Même de grands criminels seraient équipés de ces gadgets ! Tous les jours (et même plusieurs fois par jour), on se coince donc sur le bord de la route pour laisser passer soit un officiel, ou un membre du clan. Ces voitures aux vitres ombragées qui poussent tout le monde sur leur chemin, ça flirte avec des odeurs de violence et de corruption. Je n’imagine pas une minute que les autorités vont s’attaquer à ce qui me semble être un problème, ils ont d’autres chats à fouetter.

mardi 15 mai 2012

Cri du coeur

Michaëlle Jean lance un cri du coeur. Un long cri du coeur pour son Ayiti chéri (le lien). À lire. La médiocrité affichée lui fait honte.

lundi 14 mai 2012

La leçon du président

Cetout est un peu jaloux. Il trouve que je parle trop souvent des opinions de sa sœur sur mon blogue, moins souvent des siennes.
-C’est que je trouve qu’elle est plus jolie que t’es beau. Et puis en terme d’opinion, on est forcé de constater que la beauté à une certaine importance.
-T’es con Labadie !!
-J’avoue que ça m’arrive.
-En lisant les commentaires d’Asefi sur ton dernier billet, je me disais que ma chère apparentée avait oublié une dimension importante dans son analyse.
-C’est à dire ?
-Le positionnement de Martelly face à la communauté internationale. Préval avait eu cette habitude de jouer le duo Venezuela/Cuba contre les américains pour en tirer les meilleurs avantages pour Ayiti. Martelly me semble assurer une meilleure prestation que Preval dans ce domaine. Son engagement dans l’ALBA (Aliance Bolivarienne pour les Amériques). Il semble même que ton premier ministre soit revenu du dernier Sommet des Amériques un peu troublé par la dynamique qui s’installe dans ce coin des Amériques.
-C’est clair que l’implication grandissante des pays émergeants dans ce que l’on appelle la coopération sud-sud change les rapports de force qui colorent la coopération internationale. En plus qu’Haïti en a profité pour mentionner que son meilleur ami était Cuba … Une bonne douche d’eau froide pour les États-Unis, et donc pour le Canada itou. Mais concrètement, on reste dans la chorégraphie politico-médiatique, je ne vois pas concrètement de changement.
-Et pour l’armée ? Ton pays et les États-Unis ont bien mentionné qu’ils n’en financeraient rien. Peut-être que le Venezuela ou le Brésil pourraient lui donner un petit coup de pouce au président.
-J’imagine mal les américains se laisser damer le pion par Chavez sur le dossier de l’armée.
-Tu vois Labadie, c’est peut-être au plan des relations internationales que Martelly est en train de faire la leçon à tous.

samedi 12 mai 2012

L'avenir n'est pas rose

L’année dernière presqu’à la même date, j’usurpais le statut de photographe professionnel pour me rendre à la cérémonie d’investiture de Martelly. Équipé d’un kit de photographe et surtout accompagné d’une collègue journaliste (une vraie, elle !), j’ai pu hériter d’un laisser-passer de presse que je conserve toujours jalousement. Dans le jardin du palais (de ce qui en reste du moins), il y avait des centaines de journalistes venus couvrir ce qui s’annonçait comme un renouveau pour ce pays qui depuis 1804, ne serait jamais arrivé à se relever. Ce n’est pas moi qui le dit, mais Asefi.
- Et puis Asefi, comment tu évalues la première année de ton nouveau président ?
- Bof !
- … Comme analyse, c’est d’une pertinence et d’une justesse. C’est presque chavirant.
- Tu veux que je te dise quoi ? On a une présidence qui n’a en rien renié le cadre de la musique populaire d’où il origine, une présidence qui danse. Et généralement, quand tu danses, tu n’avances pas, même si tout le monde aime te voir danser. Après un mouvement vers l’avant, t’en fais un vers la gauche ou la droite avant de reculer. Et si le président n’avance pas, le pays fait de même.
- L’éducation quand même !
- Ok, peut-être. On a plus de timoun à l’école mais on sait également tous que les chiffres ont été gonflés et que les écoles borlèt sont toujours aussi borlèt, pleines ou vides de timoun. N’oublie pas de plus qu’un scandale couvre lentement dans ce dossier. La fondation qui gère les millions de $ de ce programme en parallèle et en dehors du ministère de l’éducation nationale devrait commencer à laisser dégager des effluves nauséabondes. Mais à part ce dossier de l’éducation, qu’est-ce qu’il y a de nouveau ?
- Les camp se vident.
- Les camps avaient commencé à se vider avant qu’il n’arrive, c’est un mouvement inexorable. En plus, c’est la communauté internationale qui vide les camps, pas le gouvernement haïtien. Personne n’est dupe. La première constance de cette première année, c’est la guerre larvée que se livrent la présidence et les parlementaires. Et c’est dans cette guerre qui pousse à l’inertie qu’on voit la vraie dimension politique de notre président.
- C’est-à-dire ? - Incapable de faire avancer sa politique. On a passé huit des douze derniers mois sans gouvernement ! On en est au quatrième candidat au poste de premier ministre et il semble y avoir encore une fois plus de sable que de lubrifiant dans l’engrenage. Sérieusement, le président n’a démontré aucune qualité pour naviguer de manière constructive dans l’espace politique.
- Les parlementaires ne sont quand même pas faciles.
- Raison de plus de mieux jouer ses cartes, de s’élever un peu ! Il fonce dans le mur le pied au fond. Regarde le dossier de sa nationalité, il le joue pour le perdre ou encore pour le faire perdurer tout au long de son mandat. Justement ce que souhaitent les parlementaires et leur silence des dernières semaines ne veut pas dire que le problème est réglé. Ils ont la carte dans leur poche et la sortiront dès que ça leur sera nécessaire.
Elle s’arrête un peu question de siroter sa Prestige, et se relance.
- Son deuxième problème est son incapacité à contrôler son impulsivité. Ses réactions sont trop primaires, le gars manque clairement de recul. Tu regardes ses réactions face au PM ou aux parlementaires, on saisit que Martelly perd complètement de vue le concept de séparation des pouvoirs. Même logique avec les médias. Pas pour rien que le dictature revient dans l’esprit de chacun depuis un an. Le gars peut faire peur.
- As-tu le sentiment qu’il joue avec cette idée qu’il puisse faire peur ?
- Effectivement. Les rumeurs entretenues et en partie confirmées par les américains à l’effet que des trafiquants font partie de sa garde proche, ainsi que cette histoire habilement entretenue autour des milices roses, tout ça nous ramène à des bouts de notre histoire qui se sont terminés dans la violence. L’avenir n’est pas rose, sans faire de jeu de mot.

jeudi 10 mai 2012

Aide ou développement

Ce matin à la radio, j’écoutais une représentante de OCHA (le ‘bureau’ des Nations Unies responsable de la coordination de l’aide humanitaire) répondre aux questions d’un journaliste. Fort intéressant, j’ai entre autres appris qu’il reste près de 435 000 ‘vrais campeurs’ répartis dans un peu plus de 400 camps répertoriés. Plus de deux ans après l’évènement, on serait passé de 1,5 millions de déplacés à 400 000. J’imagine que c’est un peu comme pour marathon, ce sont les derniers kilomètres qui sont les plus difficiles ! Le premier défi d’OCHA actuellement concerne les préparatifs à la saison des ouragans, surtout que la période des pluies est aussi précoce qu’intense (on compte 22 morts en mars et avril). Près de 10% des camps seraient dans des zones inondables, les gens ayant installé leur tente sur des sites ouverts où il n’y avait pas de construction (on n’y construisait pas justement parce que la zone était inondable). Plus de 3000 familles de campeurs ont donc été affectées par ces fortes pluies au cours des dernières semaines. De quoi compliqué la vie de tout le monde. L’autre problème de OCHA depuis quelques semaines, est de faire lever l’argent nécessaire à l’ide humanitaire. L’année du tremblement de terre et du choléra avaient adouci le cœur des donateurs et dans la mesure où l’ouverture du cœur est liée à la profondeur de la poche, il avait été facile de stimuler la générosité des gens. En 2012 toutefois … Seulement 15% des 235 millions de $ requis pour l’aide humanitaire a été déniché. Je vois quelques lecteurs souhaiter un nouveau malheur à Haïti, question de stimuler à nouveau la générosité de tous et chacun !? Croyez-moi, ce n’est pas une bonne idée… En fait, les donateurs seraient dans l’idée que la dimension humanitaire de la crise serait terminée (encore 400 000 personnes dans les camps !) et préfèrent financer les activités de développement (la reconstruction entre autres). Aide et développement, deux logiques sont trop souvent placées dans une confrontation non pertinente et inutile.

mercredi 9 mai 2012

Dix sénateurs de moins à dix minutes de la fin

La Prestige vient pour une deuxième fois de gagner le championnat mondial de la bière. À San Diego, ils étaient un peu plus de 200 juges à évaluer plus de 800 bières venues de plus de 50 pays. Dans la catégorie lager, notre Prestige national a donc raflé la coupe. Enfin un objet de fierté nationale, et l’espace national en a besoin... Cetout m’a balancé « on devrait perdre notre Prestige bientôt ! Tout ce qu’il y a de bon dans ce pays , qui arrive à décrocher un diplôme ou un prix, en profite pour quitter ! » Il fait des blagues, mais la demande externe pour la Prestige pourrait augmenter et on ne sait jamais, peut-être que la Brasserie Nationale va privilégier les ventes à l’étranger … L’autre objet de fierté nationale des derniers jours a été ces sénateurs qui ont quitté leurs nobles fonctions, remplies plus que noblement. Le 8 mai signifiait la fin de mandat pour 10 des 30 sénateurs et le premier ministre désigné devait se dépêcher pour faire accepter son énoncé général de politique par le sénat avant minuit. Surtout parce que la plupart des 10 sénateurs qui recevaient leur bleu hier soir devaient appuyer sa politique générale. On a eu donc droit à une première phase du débat qui a duré 4 heures et qui a concerné un point à l’ordre du jour de la réunion : le vote sur l’énoncé de politique du PM. Selon la constitution, le PM doit remettre cet énoncé 48 heures avant le vote, question que les sénateurs puissent en prendre connaissance. Le PM a remis son devoir quelques heures seulement avant le début de la séance, ce qui a donc ouvert la porte à une contestation d’un ordre du jour devenu pour plusieurs ‘inconstitutionnel’. Le vote a donc eu lieu à 23h50 et à l’unanimité (20 sur 20), la chambre haute a accepté le programme du nouveau PM. Dix sénateurs avaient au préalable quitté la séance pour contester ce vote ‘inconstitutionnel’. On a donc un nouveau gouvernement (presque complet) à dix minutes de l’échéance et avec dix sénateurs en moins. Le plus sympathique dans cette longue soirée, a été la publication de différentes listes de ministres. Certains sénateurs généralement reconnus pour l’ampleur de leurs activités illicites (toujours des rumeurs) se retrouvaient sur ces listes à assumer des responsabilités ministérielles assez importantes (la justice par exemple). La machine à rumeur s’est donc emballée une fois de plus, sans grande conséquence une fois de plus.

mardi 8 mai 2012

Vrais campeurs forcés

Dans mon dernier billet, je parlais de ce dégradé de statut social entre le bas et le haut des villes. Une autre illustration de cette réalité est le niveau de démantèlement des camps. À Pétion-Ville, seul le camps du terrain de foot de Sainte-Thérèse est toujours visible. Les autres grands espaces de camping ayant été vidés. Quand on descend dans le bas de la ville, il reste de très grands camps. Celui du Champs de Mars fait l’objet d’un travail intense (financé par le Canada) et on commence à voir et à sentir la différence. À la Place Jean-Marie-Vincent, juste à l’entrée de Cité-Soleil, on retrouve encore un nombre impressionnant de campeurs. On est sûrement aux derniers points de résistance, les plus solides peut-être. En fait, il y a eu tellement de commentaires sur ces pseudos faux campeurs, ceux qui avaient toujours une maison mais qui voulaient profiter des services offerts (l’eau entre autres) par les ONG en conservant une place dans les camps. Après plus de deux ans et après l’évolution des différents mois, j’ose penser que ceux qui continuent de camper y sont forcés.

dimanche 6 mai 2012

Le labyrinthe

De manière générale, le haut de la ville profite davantage aux mieux nantis. Je suis né dans un ville (Québec) et ai passé la plus grande part de ma vie d’adulte dans une autre ville (Montréal) où cette théorie s’observe. Il y a en haut et en bas de la montagne, où se confondent dans une corrélation presque parfaite gradient social et dénivelé. J’ai fait cette photo de Bois-Jalousie il y a maintenant plus de trois ans. Ce secteur n’a pas été touché par le tremblement de terre, heureusement. Bois-Jalousie surplombe superbement la riche Pétion-Ville et la baie de PAP. Un espèce d’anachronisme dans l’histoire de l’urbanisme. J’ai profité d’un de mes jours de vacances (qui en passant ont été un flop, j’ai trouvé le moyen de travailler 4 jours sur les 10 !) pour aller me perdre dans ce labyrinthe. Des heures de plaisirs à monter et descendre des escaliers ‘naturels’ ou fabriqués par l’homme et sa femme. Aucune voiture n’entre dans ces ruelles qui ressemblent davantage à des corridors. Bien évidemment, aucune indications n’est disponibles et les options de tourner à droite, à gauche ou de continuer son chemin sont nombreuses. À toutes les coins de maison, on voit apparaître une petite vie. Jeune ou vieille. Les gens vivent entre les maisons et là où l’escarpement le permet, sur le toiture du voisin d’en face. On a le sentiment que l’atmosphère est à la fête en permanence. Une version intimiste de l’expression ‘la ru se salon pèp la’. Pour revenir à mon intro urbanistique. Disons que les riches n’ont pas laissé les pauvres leur voler le haut de la montagne. Une partie riche du Morne-Clavaire surplombe déjà Bois-Jalousie et des domaines sont en train de prendre forme sur le dessus de la montagne. La théorie sera respectée.

samedi 5 mai 2012

Le filet

Tôt ce matin sur le bord de la mer, le soleil n’avait pas encore pleinement fait son bonjour, que ces pêcheurs avaient étirés leur long filet. Pendant de très longues minutes, ils vont ‘à bras’ le ramener en espérant, ‘si dye vle’, que la mer soit généreuse. Généreuse !? On en vient dans un premier temps à se demander si le mot ‘générosité’ peut exister pour l’haïtien dit moyen. Et on pourrait également se questionner sur ce que ‘moyen’ peut vouloir dire dans cet enfer de pauvreté. Le 80% de la population qui gagne moins de 2$ par jour est bien évidemment sur cette barque. Parce que la pauvreté est un enfer de flammes, même sous la mer. Les gars sueront près d’une heure pour remonter de ce filet davantage de déchets que de poissons ! Déchets, bien évidemment, qui seront remis à la mer … Question de remplir le filet demain matin vous me direz ? Pa konnen ! J’avoue que tout autant l’humaniste, le cuisinier et le photographe en moi ont été frustrés de ce filet presque vide de poissons. Un nouvel espace de naïveté vient de se boucher dans mon petit cerveau. Il en reste encore un peu (je parle de ma naïveté, mais ça pourrait aussi être pertinent pour les poissons !!), mais c’est le genre d’histoire qui pousse un peu plus vers la déprime. Celle qui émerge quand les possibles s’étiolent les uns après les autres.