dimanche 31 mai 2009

Patience ou attendre sans s’énerver


Certaines mauvaises langues pourraient raconter que les haïtiens ont inventé la patience depuis qu'ils sont, en 1804, devenus le premier peuple noir à se libérer du colonisateur/esclavagiste : on attend toujours deux cents ans plus tard que cette première historique se concrétise en quelque chose de positif pour un plus grand nombre. J’écrivais à une collègue de Mtl cette semaine qui était préoccupée de l’état de la patience de partenaires haïtiens qui attendent une réponse du Canada, qu’elle ne devait pas s’inquiéter, la patience était une vertu haïtienne.  L’enjeu ici est d’éclairer la nuance entre ‘attendre’ et ‘patience’ : patience veut dire attendre sans s’énerver. Les haïtiens sont généralement bons pour attendre sans s’énerver. Tu vois un boss menuisier, outils à la main, qui attend près d’un chantier pour qu’on l’embauche. Des gens qui attendent que la pan kawoutchou du tap-tap soit réparée avant de pouvoir continuer leur chemin. Le chauffeur qui attend que tu sortes de réunion. Les ‘millions’ de gardiens de sécurité armés qui attendent que quelque chose se passe. En Haïti, on passe une bonne partie de notre vie à attendre et personne ne s’énerve vraiment. On a souvent droit à quelques signes d’impatience, mais dans le contexte, c'est très peu. Pour les blancs impatients comme moi, plusieurs choses sont des épreuves.  Aller au restaurant et attendre que la ou le serveur vienne nous porter le menu. Attendre qu’il ou elle revienne prendre notre commande. Attendre que l’assiette nous soit apportée. Attendre la fiche (la facture). Attendre la monnaie…. Un des exemples d’attente qui a été le plus frappant pour moi a été l’épopée de la quincaillerie. Frappant dans le sens où ça nous éclaire anpil (beaucoup) sur le mode de fonctionnement du pays.  L’objectif ce samedi matin ensoleillé, était d’acheter deux crochets pour pendre le hamac dans le jardin.  Généralement, on ne trouve pas d’étagères remplies de matériel dans les quincailleries. Tout, du boulon à la scie-ronde en passant par la tuyauterie, est ‘tie-rapé’ sur des panneaux troués. Tu entres et tu dois attendre qu’un vendeur se libère. Tu lui montres le crochet que tu veux, deux exemplaires s’il-vous-plait. Il prend en note le code du produit et s’en va faire la queue devant le seul terminal de la shop. On attend que ses deux collègues qui l’ont précédé terminent et il peut enfin déposer ses doigts sur le clavier. Entre son code d’employé, le code du produit, la quantité. Tu vérifies qu’il ne fait pas d’erreur, certaines choses sont impossibles à recommencer. Après il imprime la commande. À ce moment-ci, la seule chose que tu souhaites, c’est qu’il ne manque pas de papier dans l’imprimante. On pourrait être forcé d’envoyer un coursier à la première papeterie du coin acheter une boîte de feuilles. On te remet la copie imprimée de ta commande et tu dois te rendre à la caisse. Ici encore, tu attends. Les deux clients qui te devançaient au terminal te devancent toujours à la caisse. À ton tour, tu donnes les 30 gourdes (0,75 $US) pour payer les deux crochets. On te remet une facture tamponnée ‘payée’ en trois copies : blanche, jaune et rose. Tu te diriges maintenant au comptoir de récupération du matériel. Pas besoin de vous rappeler qu’au moins deux clients me précèdent. Au comptoir de récupération, tu donnes les copies jaune et rose. La rose est placée dans une chaudière accrochée à une corde, la fille appuie sur une clochette et la chaudière et ta facture partent vers un trou dans le plafond. Tout le matériel est au deuxième étage. Après un certain temps (un vrai cinq minutes), au bout de sa corde la chaudière redescend et tes deux crochets sont dans un sac avec la facture rose. La fille au  comptoir sort le matériel du sac et coche sur la facture jaune les différents produits (deux crochets dans mon cas) et tamponne REMIS. Elle te donne donc les deux crochets et la facture jaune. À la sortie tu trouveras un gars qui valide le contenu de ton sac et conserve la facture jaune. Un bon 40 minutes pour acheter deux crochets.  Après, tu arrives à la maison, installes les crochets, pends le hamac, te couches dedans et te calmes.

4 commentaires:

Unknown a dit…

Salut Jean-François,

Je me fais plaisir à lire les articles de ton blog et je trouve qu'à date, tes remarques sont très judicieuses.

J'ai un petit commentaire très superficiel concernant ton dernier texte. La photo est très pertinente en effet mais je crois avoir reconnu la quincaillerie que tu décris vraiment. N'est-ce pas Matelec, sur la rue Rebecca à Pétion-Ville? En tout cas, la bureaucratie intense dont tu parles leur ressemble comme deux gouttes d'eau.

olivier

Unknown a dit…

Pour contribuer à l'expérience "Quincaillerie"

Voilà de toutes évidences une expérience chez Matelec. Mais LA place à aller pour vivre la quincaillerie dans sa plus grande splendeur c'est Nouvelle Quincaillerie SA - angle Louverture et et Gregoire. Là où le client n'est pas roi, mais bel et bien victime. Un peu comme l'expérience telle que tu l'as décrite, seulement ça commence pas avec un préposé au comptoire...nonononon, ben trop facile. L'aventure d'achat commence avec une grosse caissière bien manicurée assise derrière un ordi Comodor87 à qui tu demande "Avez-vous des clous à béton?". Qui te répond "Oui." À toi de bien jouer le reste, parce que la grosse à la caisse, elle était bien avant que tu ne lui demande de te faire une réquisition pour des clous à béton. Surtout, ne demande pas quel diamètre le clou - déjà que te donner la longueur c'était la fin du monde: "il y a 3/4 de pouce" ka t'avait dit la grosse à la caise, si t'oublie t'es fait à l'os. Alors, comme faut agir tu dis "ok je vais en prendre 6". - "Non" - "Pardon?" - "Non, c'est pas possible" - "ah bon (là t'es énervé et t'es loin des clous) et pourquoi?" - "c'est vendu à la douzaine" - "Et bien OK, je vais prendre douze clous 3/4" - la grosse te tape, une lettre à la fois, le code et elle dit "Non." Si t'as pas encore capoté, tu le fais tout en disant "Pardon?" -"Les clous en béton sont en ruptue de stock". - "ah, ok, ...TOUTES les tailles?" - et elle te répond, très impatiente: "Non madame". Et tu réponds: "Je veux des clous à béton, n'importe quel calibre, pour accrocher un cadre chez moi, pensez-vous, mademoiselle que ça va être possible aujourd'hui?"...

Et le reste se déroule comme les crochets pour hamac. Et sur réception de la marchandise, tu remarque que dans le ti-sac papier brun où se trouvent les 12 clous...tu remarques que c'est des 3/4 po...

Anonyme a dit…

Des fois, une image vaut mille mots, mais en lisant ton billet en voit bien que mille mots expriment mieux qu'une image.

Merci pour ce rire.

Laurence

jabiru a dit…

Mort de rire. Excellente écriture.