samedi 11 juillet 2009

La rue


Quelques jours après la mort de Michael Jackson (celui qui a permis l’émancipation du mouvement noir aux États-Unis selon certains analystes de CNN !?), un graffiteur (peut-être une) avait déjà laissé sa marque dans les rues de PAP. Belle marque faut dire. La rue a toute son importance en Ayiti. Si à Montréal elle sert principalement à assurer le déplacement des humains et de leurs marchandises, quelques fois à manifester ou à danser, ici elle sert à tout. En fait, les ayisien vivent dans la rue, ou sur les trottoirs pour être plus prudents. On retrouve sur les trottoirs tous les services que vous pouvez imaginer, même celui que l’on imagine en premier. On se fait couper les cheveux sur la rue, ressemeler ses chaussures ou encore les cirer. Vous pouvez faire toutes vos courses : fruits, légumes, pain, sauces, viande, papier de toilettes, lessive …. Tu peux y manger tous les repas ou encore y trouver à boire, de l’eau au rhum en passant par la gazeuse. On y retrouve également tous les outils nécessaires à la vie domestique : balais, chaudières (chaudrons), passoires, plats à lessive, fers et planche à repasser… On y vend de la glace pour mettre dans le ‘cooler’ de la maison et ainsi conserver au moins 24 heures la viande acheter à l’autre coin de rue. Vous trouverez des pharmaciens ambulants qui vont vous exécuter votre ordonnance. Des vendeurs de téléphone, de cartes et, pour quelques gourdes, vous pourrez faire un appel sur un téléphone portable ‘public’. Changer une transmission sur le trottoir, pa gen pwoblem, bos mekanik s’en occupe. Un ébéniste vous construira une belle armoire en bois d’acajou en moins de 48 heures directement sur le trottoir de Bourdon. Un boss fer forgé vous confectionnera une porte de cours en métal et son armature (20 de large par 10 de haut !) un peu plus bas sur le même trottoir. Tu y attends le tap-tap entre trois gars qui, au marteau, réduisent de la pierre en poudre pour la construction, ou un autre qui coule du béton pour faire et vendre des blocs. Des pousseurs de brouettes font la livraison de tout ce que vous voulez. Les fesses nue-tête, on se lave. Un capharnaüm d’humains qui travaillent sans relâche pour, il faut le dire, pas grand-chose. La rue sert aussi à manifester. On y marche pour une cause ou l’autre, y brule des pneus ou des voitures. À jet de pierres, on s’y bat contre la PNH ou la Minustah. On fête également sur la rue : les bandes-à-pieds défilent en nous tapotant une musique répétitive et enivrante. Finalement, on pleure sur la rue. En voiture récemment, j’ai vu une femme sortir de chez elle pour crier sa peine en pleine rue. Je ne comprenais pas son créole qui se mélangeait à ses larmes, mais le chauffeur a compris qu’elle venait d’apprendre la mort de son frère, mort lors d’une traversée ratée de l’un des boat-people qui amène les ayisien vers le bonheur. Les voisins se sont approchés d’elle pour l’écouter ou la soutenir, il me manque certaines clés. En fait, les ayisien vivent dehors, dans la foule. J’aurais vécu la même peine en m’enfermant dans ma chambre.

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