mercredi 18 juillet 2012

Deux heures

Deux, heures, c’est le temps que j’ai passé (il faudrait plutôt écrire perdu) à la banque ce matin. Dans la continuité de mon histoire de ‘Certificat de bonne vie et mœurs’ (ce billet), je devais obtenir de la banque deux choses, trois en fait. Un certificat bancaire et deux chèques de direction (chèque certifié dans le langage canadien). Le directeur de la succursale sort toujours de son bureau en me voyant entrer de sa vitre sans tain. ‘Bonjour M Labadie, content de vous voir. Vous voulez un café ?’ C’est comme ça quand tu es blanc et que tu assumes certaines responsabilités de gestion d’un projet qui transige de grosses sommes d’argent. Je regrette de ne pas lui avoir répondu que j’aurais préféré un service plutôt qu’un café. La prochaine fois, je me rattraperai. Je prends donc la chaise voisine d’une femme bien accoudée sur le bureau de l’employée de la banque. C’est comme chez le juge, tout se déroule en présence de n’importe qui. Je vais bien aller rencontrer un psychologue pour voir si cette pratique communautariste s’est répandue jusque là. La dame en question veut faire réactiver un compte fermé pour un nombre X de chèques sans provision. Le hic, c’est que pour rouvrir ce compte, il faudrait la signature de l’autre propriétaire du compte. L’autre propriétaire c’est l’ex-conjoint, ou du moins un gars difficile à retracer, peut-être parti pour la République voisine, c’est en tout cas la dernière rumeur le concernant. Le hic pour ma voisine, c’est qu’il reste encore un peu de cash dans le compte et elle en aurait besoin. Ça devait faire un bout de temps qu’elle s’obstinait parce qu’elle a réussi à entrer dans le bureau du directeur, celui qui est derrière la vitre sans tain. De là, je n’ai pas su la fin de l’histoire. Une fois débarrassée de cette femme à l’ex-conjoint introuvable, l’employée de la banque se penche sur mon cas. Pendant que je lui explique ce qui m’amène, le prochain client prend la chaise toujours chaude de la dame à l’ex-conjoint introuvable. Pour produire l’attestation bancaire (une simple lettre qui confirme que j’ai un compte à la banque et que ce dit compte contient l’indécrottable somme de ‘ce n’est pas de vos affaires’, il y a quand même des limites à parler de soi !!), elle aura pris 45 minutes. Sur son ordinateur, elle va chercher le solde du compte et la lettre type. Elle complètera la lettre avec mes renseignements (nom, date d’ouverture du compte et solde), l'imprimera et la signera avant d’aller la faire signer par le directeur. Il me faudra compléter un petit papier qui confirme que je dépense 40$ pour obtenir cette attestation en plus de signer le registre des transactions (le bon vieux registre papier utilisé toujours dans les banques et administrations haïtiennes). Je vous rappelle, 45 minutes pour ces étapes. Reste maintenant à produire les deux chèques de direction … Même genre de démarches qui prendra près de 90 minutes. L’haïtien à côté de moi est resté aussi silencieux que patient pendant cette interminable aventure. La batterie de mon smartphone marquait dans le rouge, comme ma pression probablement. C’est le servie à la clientèle à l’haïtienne ou le point de focus n’est pas le client, mais les tâches à effectuer. Et dans un contexte où les pratiques sont tout autant marquées par la tradition que la non-confiance, les étapes (dont les signatures et contre-signatures pour non objection) sont nombreuses. J’en suis venu à avoir le sentiment que j’étais face à une danseuse qui se concentre sur l’ensemble de sa chorégraphie sans vraiment se soucier si le spectateur dort ou a quitté la salle. C’est le genre de situation où le terme ‘réingénierie des processus’ trotte dans ton esprit.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Les gens qui connaissent le mieux Haïti, sans le savoir et sans jamais y avoir mis les pieds, ce sont les experts en gestion de la qualité ou en réingénierie des processus: ils n'ont qu'à inverser toutes leurs connaissances et cela donne une description extrêmement précise de la façon dont le pays fonctionne .