Il y a maintenant plus d’une année, dans la semaine qui a
précédé le 14 mai, le jour où l’assermentation de Martelly a eu lieu, les
parlementaires ont travaillé en urgence sur une réforme constitutionnelle. Pas
une petite affaire, des dizaines d’articles ont été revus à la hâte. Tout devait
être fait avant le départ de Préval pour que cette nouvelle constitution puisse
s’appliquer pour la prochaine présidence, Martelly en l’occurrence. Entre le
moment où les parlementaires ont voté et signé les nouveaux textes, et le
passage à la publication officielle, il y a eu un peu de cafouillage. On
parlait à l’époque d’erreurs matérielles. Une fois sorti du parlement, le texte
passe à la présidence qui a la responsabilité d’en assurer la diffusion dans Le
Moniteur (journal officiel de l’État haïtien). Une fois publié dans Le Moniteur,
le texte devient effectif. Il y aurait donc eu dans le bureau de l’ex
présidence transformation de la loi mère, transformations qui serviraient bien
les intérêts d’un président sortant et de son parti. Il y a sur cette
éventualité toutes les interprétations politiciennes imaginables, bien
évidemment … Une chose est certaine toutefois, c’est que personne ici n’est en
mesure de proposer une version qui serait reconnue valide par tous. Tout ce
qu’il y a de constitutionnalistes et d ,avocats dans le pays (ou presque)
proposent au président actuel (qui a toujours le droit de publier cette
nouvelle constitution) de ne rien publier et de relancer une démarche pour
refaire le travail. On trouve quelques haïtiens qui voudraient bien voir le
président publier la nouvelle constitution, mais la pression reste tout de même
forte pour que la présidence publie. Une pression de qui vous me direz ? Une
pression de ceux qui financeront (ou pas) les prochaines élections (à prévoir
pour l’automne). C’est que dans ces amendements transformés dans le rush de la
fin d’un régime, il y a la création d’un Comité électoral permanent (CEP).
Terminé l’existence d’un comité électoral provisoire (appelé CEP li mèm tou
!!!), porteur, selon certains, de tous les malaises électoraux des 25 dernières
années. Je suis sûrement trop parano, mais je reste avec un petit doute sur le
fait que ce changement d’appellation (CEP pour CEP en passant !!) règlera les
difficultés observées dans les derniers processus électoraux. Que ce nouveau
CEP pourra plus facilement se soustraire aux pressions politiciennes !? Au
moins un petit doute, je vous jure. J’espère donc que les pays amis qui veulent
financer les élections laisseront tomber leur exigence de publication de la nouvelle
constitution. Si non, ils vont nous lancer dans une crise constitutionnelle
éventuellement pire que pourrait l’être une crise électorale. Surtout que cette
dernière crise, ils peuvent plus aisément en gérer les contours.
mercredi 30 mai 2012
lundi 28 mai 2012
Triste paradoxe
dimanche 27 mai 2012
Je m’ennuie du Québec
Je ne pensais écrire un tel titre de chronique. J’ai quitté mon pays depuis plus de 3 ans et jamais jusqu’ici j’ai eu envie d’y retourner. Pas parce que plus rien ne m’intéresse là-bas, mais parce que le ici continue de me combler. Il arrive bien évidemment que des proches du Qc me manquent, que des effluves de la tonkinoise de chez Phò Bang New York me hantent, ou encore que l’envie d’un espresso du Café Italia me fasse verser dans la nostalgie, mais pas un ennui persistant. Jusqu’à ce que ces concerts de casseroles qui poussent sur l’asphalte qui dégèle au printemps installent leurs racines. Des racines qui ne seront jamais trop profonde, c’est dans la logique d’une crise, les fleurs ont la vie courte. Mais quand même, j’aurais envie d’y être. Je me vois bien dans les rues à frapper de la casserole et à scotcher toutes ces scènes de vie sur mon kodak. Parce que c’est de cette vie que je m’ennuie. Je ne sortirais pas dans les rues contre la loi 78 ou contre l’interdiction de manifester avec un masque. Je ne jouerais pas de la T-Fal contre la hausse des frais de scolarité ni contre le néo-libéralisme ambiant. Non, je manifesterais pour cette expression de la vie démocratique. Parce que ma grande crainte des dernières années (une de mes grandes craintes avec un nouveau séisme) est c’est épuisement de l’existence démocratique. Je me souviens d’avoir lu des chroniqueurs ou entendu des commentaires au printemps dernier se plaindre d’être appelé aux urnes pour une troisième fois en quatre ans !!! On voit ces taux de participation aux élections fondre comme neige au soleil depuis des années. On ne parle pas des élections municipales … Pas besoin de faire le tour de la planète pour comprendre que cette dimension de la vie collective est une denrée rare (dans son existence tout autant que dans sa qualité) et qu’à se titre, on a la responsabilité de bien la traiter et de l’entretenir. Je l’écrivais ici il y a quelques semaines, j’en étais arrivé à penser que seule l’écologie pouvait mobiliser les gens de mon pays (Suroit, Orford, …). Je me mets à rêver à des manifestations populaires pour dire à nos gouvernements qu’on veut Kyoto, que le libre-choix en matière de procréation est un droit, qu’on ne veut pas d’une justice criminelle plus répressive, que l’on veut un positionnement politique plus modéré dans le dossier palestinien, … Si tout ça arrive, je reviens au pays !
samedi 26 mai 2012
Un État faible
Dans le jargon de l’aide internationale, on dit qu’Ayiti est un ‘État faible’. Je n’ai pas cherché de définition formelle de cette appellation, je n’en voyais pas la pertinence. La paresse intellectuelle m’attrape dès que les choses apparaissent trop évidentes. Un État faible, c’est sûrement un État qui n’a ni les moyens ni les pratiques pour assumer ses fonctions, un État débordé par les groupes d’intérêt (propres comme moins propres) et une population qui n’a plus rien à attendre de lui. Mon travail consiste principalement à renforcer cet État, un tout petit morceau, mais un morceau quand même. Dans ce contexte d’État faible aujourd’hui, j’écoutais un reportage radio de la visite du nouveau premier ministre dans la ‘caserne’ de la CIMO (Compagnie d'Intervention et de Maintien de l'Ordre, un espèce de S.W.A.T.). Il voulait souligner la qualité de leur intervention samedi dernier, quand la CIMO a sorti les pseudos-militaires de la base de Lamentin. Le premier ministre soulignait la qualité de leur intervention malgré le manque de moyen de la CIMO. Manque de moyen, ça veut dire des millions de chose : Pas plus de bureau que de chaise, pas d’électricité sauf quelques heures par jour, pas souvent d’essence pour faire rouler les camions, une imprimante sans encre et sans papier (mais pas d’électricité on se fout que l’imprimante manque de papier ou d’encre !!), … On ne parle pas du salaire bien évidemment, les arrérages se comptent souvent en six mois. Un État donc, incapable d’offrir à son corps d’élites (ou à toute la fonction publique) des conditions d’exercice adéquates. J’écoutais ce reportage en revenant de travailler quelques heures avec des partenaires haïtiens. Quelques heures dans leur bureau. Une salle assez grande pour contenir confortablement deux bureaux et deux chaises, mais qui arrive à concrètement à en meubler cinq. Cinq bureaux et cinq chaises auxquels il faut ajouter deux ventilateurs sur pied (pas de clim bien évidemment) et trois classeurs. Le bureau ne compte que deux prises de courants, on retrouve donc ce qu’il faut de multiplicateur de prises pour donner du courant à toutes les bebelles de la place qui fonctionne à l’électricité. Lampes, ordinateurs (il y en a cinq, ce qui veut dire 10 branchements), ventilateurs et chargeurs de téléphones cellulaires (il y en a dix, les haïtiens ayant chacun deux téléphones). Les fils de branchement passent partout et il devient quelques fois plus facile de les faire passer sur les bureaux. La fille avec qui je travaille porte une jupe assez ajustée, trop ajustée pour arriver à passer sa jambe au dessus du fil qui passe sur la table pour bancher l’écran de l’ordinateur qui est derrière nous. On a donc été forcé de débrancher l’écran de notre voisin à plusieurs reprises, ma collègue devant se déplacer pour toutes sortes de bonnes raisons. Le plus fascinant dans l’affaire – et le plus symptomatique éventuellement – est que personne ne s’énerve, même pas notre voisin qui a vu son écran s’éteindre pour une minute tout au long des quatre heures que j’ai passé dans leur bureau…
jeudi 24 mai 2012
L'inacceptable est maintenant possible
Un fait divers qui n’aurait pas pu servir à l’excellente série américaine Six feet under. Un fait divers qui, comme sa fonction l’impose, nous raconte un peu ce qui se passe dans une société. J’ai écrit il y a quelques semaines au sujet de cette jeune fille qui se serait réveillée à la morgue avant d'entrer chez elle. Dans le même ordre d’idée, des funérailles ont viré au calvaire aujourd’hui à Petion-Ville. Le mort saignait toujours et avait subi des blessures importantes qui n’existaient pas au moment où son décès avait été déclaré. On se retrouve donc avec une famille qui veut voir la dépouille et des employés de la morgue qui ne veulent pas ouvrir le cercueil. Le climat monte en intensité jusqu’à ce qu’on force enfin l’ouverture de la boîte. À partir de là, l’intensité atteint un sommet. La PNH et un juge de paix sont appelés sur place et à attendre le reportage radio, je ne sais pas qui du juge de paix ou des membres de la famille était le plus énervé. Le ‘mort’ a été rapidement transféré à l’hôpital où il est … décédé. Enfin pourrions nous dire ! Le bonhomme était aux mains de la cie de pompe funèbre depuis 10 jours. Vous pouvez imaginez son existence ? Quant aux cinq croques-morts, ils ont été prestement installés sous les verrous. Ce genre d’évènement ne serait malheureusement pas si exceptionnelle, la machine à mythes urbains fonctionne à plein. Là où ce fait divers nous donne certaines indications du contexte social, c’est en premier lieu dans cette incapacité de quelconque structure formelle (plus souvent l’État) de confirmer le décès de qui que ce soit. Les morts sont donc généralement ‘déclarés’ sur place par les membres de la famille, les voisins, les passants. Personne ‘compétente’ confirme ce genre de constat, impossible de faire la nuance entre un coma, une perte de connaissance et un décès. Les familles envoient donc des 'vivants' dans les mains des thanatologues. Autre élément révélateur de cet Ayiti cheri, c’est la compétition entre les compagnies de pompes funèbres. De manière générale, le premier arrivé sur les lieux est celui qui se tire avec le corps et signe avec les familles un contrat fort lucratif. À titre d’information, les haïtiens assument en moyenne 150 000 gourdes (plus de 3500$ US) pour enterrer leur mort. 3500$ pour une population dont le revenus de 80% d’entres-eux ne dépasse pas 2$ par jour… Ici, on se vide les poches pour envoyer ses enfants à l’école et pour enterrer ses morts. Si on a un mort à enterrer, les enfants risquent fort de manquer la fin de l’année scolaire. Il faut juste faire le tour des villages pour comprendre que la grosse ‘cabane’ du coin est toujours celle du gars qui gère les morts, mon petit périple entre Port-de-Paix et PAP m’a confirmé une fois de plus ce constat. Il semble donc qu’il y a là un business assez lucrative qui pourrait induire ce genre de barbarie. Le dernier élément, c’est le fameux 15%. Il semble que certaines entreprises offrent ‘en douce’ à un des membres de la famille une ristourne de 15% à la fin des évènements. Pratique assez connue pour que le chauffeur m’en parle avant que l’animatrice aborde cette question. Il semblerait donc que certaines personnes pourraient avoir intérêt à rapidement déclarer le décès d’un proche. Se confondent ici une fois de plus ces relations tordues et complexes entre contexte de pauvreté et respect de certaines valeurs sociales reconnues. L’inacceptable devient possible.
mercredi 23 mai 2012
Pauvre vie de coq
Je viens de traverser le pays assis dans un 4X4 confortable … qui roule sur une route tout à fait inconfortable. De PAP à Port-de-Paix, c’est une trentaine de minutes d’avion ou 6 heures de machine. Bad luck, il n’y avait plus de place sur l’oiseau volant de Tortugair. J’ai donc été forcé d’échanger ma peur de mourir en avion pour ma déception de perdre presque une journée complète à me faire brasser (la moitié du trajet). À me faire brasser sur une route qui n’a la qualité de route que par le fait qu’elle permet à une machine de se rendre d’un point A à un point B. Pour le reste, ce n’est pas tut à fait une route. Ok, j’ai vu du pays, un coin que je ne connaissais pas en plus. Je venais en fait de compléter mon tour des 10 départements du pays. Je ne peux même pas en dire autant de mon pays … Arrivé à mon chic hôtel de Port-de-Paix, la clameur d’une foule proche m’a interpelé. Un gagè, encore une première (je parle d’un vrai gagè organisé). Les batailles de coq organisées dans une vraie petite arène, plein d'hommes autour qui gagent, qui crient et surtout, qui propulsent des tics vocaux et moteurs à faire peur. Mon voisin se mangeait frénétiquement les doigts dans un rythme défini par les sauts et attaques d’un des deux gladiateurs. Pauvres gladiateurs. Outre l’intérêt anthropologique de participer à cette activité, il y a … bof, un peu d'incrédulité. Cruel vous pensez ? Les coqs finissent effectivement leur spectacle en mauvais état, passablement déplumés. Mon anthropomorphisme primaire m’amenait à imaginer ces deux coqs en train d'échanger : « À quel cirque on participe là ? On se bat pourquoi en fait ? Il n’y a même pas de poules !! Pourquoi ces gens crient comme ça autour nous ? C'est fou !!! Pauvre vie de coq… »
lundi 21 mai 2012
Il y a vendre son âme, et vendre son âme !
Carrefour est à la sortie sud de PAP. On traverse Carrefour pour se rendre à Jacmel ou aux Cayes. Depuis plusieurs semaines, la sécurité de la coopération canadienne nos inonde de messages pour nous dire que la route de Carrefour est fermée ou le centre de tensions sociales importantes. On nous invite au maximum à la prudence, au mieux d’éviter complètement le secteur. À Carrefour, il y a la base militaire de Lamentin. Là où les soldats démobilisés se sont installés. Là aussi où on trouverait le groupe le plus décidé à ne pas bouger. Le gouvernement avait réussi au cours des dernières semaines à sortir ces milices des anciennes bases en rouvrant entre autres le dossier de l’arrérage salarial des ex-soldats. Il semble que ce sur ce point les avancées aient été assez bonnes et que des gens ont commencé à toucher leur chèque. Bien évidemment, ces milices ne seraient pas composées uniquement d’ex-militaires, mais de jeunes hommes éventuellement intéressés à entrer dans le nouveau service militaire annoncé par Martelly (ça veut entre autres dire un salaire !!), ou encore d’autres intéressés par on ne sait quoi. Les militaires (dont des femmes) de Lamentin, ont donc décidé de rester en place et d’eux-mêmes, faire respecter la constitution en remobilisant l’armée. Vraiment, la constitution dans ce pays, ça sert à n’importe quoi et à son contraire !! Vendredi, pour la fête nationale du drapeau, la PNH (appuyée de la Minustah) a décidé de vider la place. Une fois de plus, Carrefour a été fermé et on a eu droit à une petite bataille qui a duré assez longtemps pour les messages de la coopération canadienne pour lever les inquiétudes n’est arrivé que ce matin. Un weekend intense (des blessés et deux morts selon certains médias) qui s’est entre autre soldés par l’arrestation de 50 personnes. 50 personnes dont deux américains et un canadien installés chez les ‘petits bonhommes verts’ comme certains aiment les appeler. À la radio cette après-midi, il y avait bien quelques nationalistes pour nous raconter que c’était une honte que les autorités aient profité de la journée commémorative du drapeau pour intervenir, et une double-honte nationale que ces mêmes autorités aient fait intervenir une armée étrangère pour réaliser le sale boulot. Il y a vendre son âme et vendre son âme, quand même ! Un long weekend qui n’a pas été un congé pour plusieurs, et qui lance un nouveau message dans l’arène politique. Ceux qui voyaient la présidence comme commanditaire de cette milice vont éventuellement revoir leurs positions.
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