samedi 26 mai 2012

Un État faible

Dans le jargon de l’aide internationale, on dit qu’Ayiti est un ‘État faible’. Je n’ai pas cherché de définition formelle de cette appellation, je n’en voyais pas la pertinence. La paresse intellectuelle m’attrape dès que les choses apparaissent trop évidentes. Un État faible, c’est sûrement un État qui n’a ni les moyens ni les pratiques pour assumer ses fonctions, un État débordé par les groupes d’intérêt (propres comme moins propres) et une population qui n’a plus rien à attendre de lui. Mon travail consiste principalement à renforcer cet État, un tout petit morceau, mais un morceau quand même. Dans ce contexte d’État faible aujourd’hui, j’écoutais un reportage radio de la visite du nouveau premier ministre dans la ‘caserne’ de la CIMO (Compagnie d'Intervention et de Maintien de l'Ordre, un espèce de S.W.A.T.). Il voulait souligner la qualité de leur intervention samedi dernier, quand la CIMO a sorti les pseudos-militaires de la base de Lamentin. Le premier ministre soulignait la qualité de leur intervention malgré le manque de moyen de la CIMO. Manque de moyen, ça veut dire des millions de chose : Pas plus de bureau que de chaise, pas d’électricité sauf quelques heures par jour, pas souvent d’essence pour faire rouler les camions, une imprimante sans encre et sans papier (mais pas d’électricité on se fout que l’imprimante manque de papier ou d’encre !!), … On ne parle pas du salaire bien évidemment, les arrérages se comptent souvent en six mois. Un État donc, incapable d’offrir à son corps d’élites (ou à toute la fonction publique) des conditions d’exercice adéquates. J’écoutais ce reportage en revenant de travailler quelques heures avec des partenaires haïtiens. Quelques heures dans leur bureau. Une salle assez grande pour contenir confortablement deux bureaux et deux chaises, mais qui arrive à concrètement à en meubler cinq. Cinq bureaux et cinq chaises auxquels il faut ajouter deux ventilateurs sur pied (pas de clim bien évidemment) et trois classeurs. Le bureau ne compte que deux prises de courants, on retrouve donc ce qu’il faut de multiplicateur de prises pour donner du courant à toutes les bebelles de la place qui fonctionne à l’électricité. Lampes, ordinateurs (il y en a cinq, ce qui veut dire 10 branchements), ventilateurs et chargeurs de téléphones cellulaires (il y en a dix, les haïtiens ayant chacun deux téléphones). Les fils de branchement passent partout et il devient quelques fois plus facile de les faire passer sur les bureaux. La fille avec qui je travaille porte une jupe assez ajustée, trop ajustée pour arriver à passer sa jambe au dessus du fil qui passe sur la table pour bancher l’écran de l’ordinateur qui est derrière nous. On a donc été forcé de débrancher l’écran de notre voisin à plusieurs reprises, ma collègue devant se déplacer pour toutes sortes de bonnes raisons. Le plus fascinant dans l’affaire – et le plus symptomatique éventuellement – est que personne ne s’énerve, même pas notre voisin qui a vu son écran s’éteindre pour une minute tout au long des quatre heures que j’ai passé dans leur bureau…

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