jeudi 24 mai 2012

L'inacceptable est maintenant possible

Un fait divers qui n’aurait pas pu servir à l’excellente série américaine Six feet under. Un fait divers qui, comme sa fonction l’impose, nous raconte un peu ce qui se passe dans une société. J’ai écrit il y a quelques semaines au sujet de cette jeune fille qui se serait réveillée à la morgue avant d'entrer chez elle. Dans le même ordre d’idée, des funérailles ont viré au calvaire aujourd’hui à Petion-Ville. Le mort saignait toujours et avait subi des blessures importantes qui n’existaient pas au moment où son décès avait été déclaré. On se retrouve donc avec une famille qui veut voir la dépouille et des employés de la morgue qui ne veulent pas ouvrir le cercueil. Le climat monte en intensité jusqu’à ce qu’on force enfin l’ouverture de la boîte. À partir de là, l’intensité atteint un sommet. La PNH et un juge de paix sont appelés sur place et à attendre le reportage radio, je ne sais pas qui du juge de paix ou des membres de la famille était le plus énervé. Le ‘mort’ a été rapidement transféré à l’hôpital où il est … décédé. Enfin pourrions nous dire ! Le bonhomme était aux mains de la cie de pompe funèbre depuis 10 jours. Vous pouvez imaginez son existence ? Quant aux cinq croques-morts, ils ont été prestement installés sous les verrous. Ce genre d’évènement ne serait malheureusement pas si exceptionnelle, la machine à mythes urbains fonctionne à plein. Là où ce fait divers nous donne certaines indications du contexte social, c’est en premier lieu dans cette incapacité de quelconque structure formelle (plus souvent l’État) de confirmer le décès de qui que ce soit. Les morts sont donc généralement ‘déclarés’ sur place par les membres de la famille, les voisins, les passants. Personne ‘compétente’ confirme ce genre de constat, impossible de faire la nuance entre un coma, une perte de connaissance et un décès. Les familles envoient donc des 'vivants' dans les mains des thanatologues. Autre élément révélateur de cet Ayiti cheri, c’est la compétition entre les compagnies de pompes funèbres. De manière générale, le premier arrivé sur les lieux est celui qui se tire avec le corps et signe avec les familles un contrat fort lucratif. À titre d’information, les haïtiens assument en moyenne 150 000 gourdes (plus de 3500$ US) pour enterrer leur mort. 3500$ pour une population dont le revenus de 80% d’entres-eux ne dépasse pas 2$ par jour… Ici, on se vide les poches pour envoyer ses enfants à l’école et pour enterrer ses morts. Si on a un mort à enterrer, les enfants risquent fort de manquer la fin de l’année scolaire. Il faut juste faire le tour des villages pour comprendre que la grosse ‘cabane’ du coin est toujours celle du gars qui gère les morts, mon petit périple entre Port-de-Paix et PAP m’a confirmé une fois de plus ce constat. Il semble donc qu’il y a là un business assez lucrative qui pourrait induire ce genre de barbarie. Le dernier élément, c’est le fameux 15%. Il semble que certaines entreprises offrent ‘en douce’ à un des membres de la famille une ristourne de 15% à la fin des évènements. Pratique assez connue pour que le chauffeur m’en parle avant que l’animatrice aborde cette question. Il semblerait donc que certaines personnes pourraient avoir intérêt à rapidement déclarer le décès d’un proche. Se confondent ici une fois de plus ces relations tordues et complexes entre contexte de pauvreté et respect de certaines valeurs sociales reconnues. L’inacceptable devient possible.

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