lundi 15 décembre 2008

Bloke pòt


Tu sors de l’aéroport dans un tourbillon désorganisé de voyageurs ensevelis sous les valises. Des chauffeurs de taxis et de porteurs veulent absolument te prendre avec tes bagages. Au bout de cette course à obstacle où il fait +32, je vois une petite feuille blanche ou est écrit mon nom. Jean-Joseph me salue et se présente. Il m’amènera à l’hôtel. La première chose qu’il me dit en entrant dans l’auto c’est Bloke pòt ! Mon créole n’étant pas trop certain, même pas du tout, il me fait signe de barrer la porte. On l’entend tous les jours cette phrase : Bloke pòt (prononcer bloquer potte). Maintenant, comme dans l’armée, on répond systématiquement pòt bloke ! La sécurité est un gros enjeux pour un blanc blanc en Haïti. J’ai commencé à recevoir des cartes de Noël ou on me souhaite une année 2009 sécuritaire. Pas de blague. Pas de santé et prospérité dans les vœux de 2009, de la sécurité ! Les pratiques à l’égard de la sécurité sont très répandues. Gardien de sécurité armé à l’entrée de presque tous les commerces fréquentés par les blancs et les haïtiens en moyen (restaurant, magasin, station d’essence, …). Des camions de policiers de la Minustha (Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti) partout en ville. Les policiers de la PNH (Police nationale haïtienne), habillés en tenue de camouflage, sillonnent les rues et gèrent les blocus (bouchon de circulation en créole). Plusieurs camionnettes de soldats de la Minusthah circulent, mitraillette vissée dans le plancher pointant les voitures devant. Les soldats, assis sur les banquette de côté tiennent lâchement leur mitraillette vers la rue ou vers le trottoir. Ils sont de partout. Sur la rue Delmas hier (l’avenue principale de PAP), un soldat népalais portait une mitraillette qui faisait presque sa grandeur ! Seul, il regardait passer le trafic, ou fixait le blocus ! Depuis quelques jours, la Minustah et la PNH ont lancé un programme pour être plus visibles dans les prochaines semaines. Le banditisme augmente avec l’arrivée du petit Jésus et ils souhaitent prévenir une dégradation de la situation. Notre problème, à Jo et à moi, c’est que nous n’avons pas conscience du danger. Pas du point de vue intellectuel, on nous présente ici les statistiques sur les enlèvements aussi systématiquement qu’au Québec on présente les chiffres sur les urgences, mais du point de vue strictement intuitif. Rien ne nous semble dangereux. Rien ne nous fait sentir en situation d’insécurité. Comme si le problème existait dans les statistiques, pas dans la vie réelle. On n’est pas fous quand même. Certains secteurs de la ville ne verront jamais nos semelles de souliers (ou de sandales pour dire vrai !). On sait donc que nous devrons développer cette sensibilité qui permet de détecter certains signes ou certains contextes qui peuvent tomber du mauvais côté. Des habitués avec qui on travaille on développé ce feeling qui les amène un midi, à changer de restaurant. ‘Non, pas dans ce coin là aujourd’hui. Je ne sais pas pourquoi, mais ça sent pas bon’. Et on ne par le pas de la bouffe ! Un de mes collègues a annulé des vacances de quelques jours à la mer à cause du ‘feeling’ d’une collègue haïtienne qui lui disait de changer ses plans. Sans trop savoir pourquoi, tu fais confiance. Pour le moment, nous sommes prudents, doublement prudents. On a quelquefois l’impression de manquer des expériences uniques à cause de cette fichue sécurité, mais on aura le temps de se reprendre.

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