jeudi 4 février 2010

Mon collègue Jimmy


Jimmy est assis devant moi. Il attend que je lui passe mon ordinateur pour aller lire les courriels que ses trois grandes filles lui envoient. J’en connais une des trois, on est sorti en mission deux jours à Jacmel et elle nous accompagnés. Plus gentille que son père, ce qui n’est pas peu dire. ‘Tu sais que tu as été pas mal meilleur que tes parents pour faire des enfants…’ Il me fait un grand sourire gentil. Jimmy est plus grand que moi, plus costaud surtout. Moi, je suis juste plus gros que lui, c’est tout. Le soir du grand chambardement, il était dans son bureau au Ministère. Tout lui est tombé sur la tête et il a réussi à se faire une place entre les morceaux de béton pour revoir le ciel bleu. Un médecin qui a passé les dernières années à suivre nos deux programmes de formation et à travailler avec nous au sein du Ministère. C’est le directeur adjoint de la Direction des ressources humaines du Ministère de la santé. Il dort depuis trois semaines dans la cour de ses voisins, kay li craze (sa maison s’est effondrée). Son pays est cassé et il est un peu découragé. ‘J’irais bien rejoindre deux de mes filles aux États-Unis, mais mon problème, c’est que je n’arrivais plus à vivre dans ce pays, j’étouffais. C’est ici que je respire, que je suis joyeux’. Jimmy a passé une bonne partie de sa vie dans l’État de New York mais n’en pouvait plus d’être loin de son pays natal. Loin de la bouffe de sa mère, surtout les jus de fruit au petit lait sucré. Il m’a fait découvrir ça lors d’une de nos missions en province. Dans un de mes premiers billets, je vous ai parlé de lui sans le nommer. Une accolade à 20 pieds de distance, les regards et les sourires s’étaient envoyés plein de tendresse. On a su en même temps que tout moun anfom (tout le monde va bien). Cette fois, il y a une table qui nous sépare, mais ce n’est pas très grave. Le silence transmet tout.

7 commentaires:

Venise a dit…

Je viens ici à tous les jours. Pour ne pas oublier.

Marico Renaud a dit…

Grâce à ce que je viens de lire, ce soir je vais m'endormir en pensant à la beauté du monde qui persiste malgré l'horreur! Merci.

Anonyme a dit…

Même si je ne commente pas vos posts, j'en prends connaissance presque tous les jours et je les apprécie toujours.
En France KOUCHNER craint l'oubli :
http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2010/02/05/01011-20100205FILWWW00399--confidentiel-haiti-kouchner-craint-l-oubli.php
Votre Blog contribue à se battre contre l'oubli et Jimmy est une "belle personne".
Cordialement.
Maïté

framboise a dit…

transmettez à jimmy le bonjour d'une bordelaise

Maryannic'k a dit…

"C’est ici que je respire, que je suis joyeux" a dit Jimmy
L'écho de ta voix , Jimmy, ne peut que transcender les Haïtiens et les organisations mondiales pour un avenir meilleur , constructif, durable!
Le découragement et l'envie de fuir est inéluctable dans pareille catastrophe , c'est l'AN O !
Mais partir pour New York ou Paris, c'est te croiser demain dans le métro ,le regard triste, absent, torturé de douleur et d'impuissance loin d'Haïti

Chris'2'L a dit…

Cher Olivier

Comme j'apprécie vos billets, vos articles, c'est toujours remplis d'humanité, d'amour, de fraternité... c'est "drôle" je croyais vivre dans le pays de la fraternité et je ne vois jamais rien de fraternel autour de ma "vie", alors à quoi bon se revendiquer tel !!!

Plus je vous lis et plus j'aime les Haitiens, leurs mots sont emplis de "poésie"

Merci de ce que vous m'apportez

Anonyme a dit…

De la part d'une martiniquaise, dis à Jimmy "Plis Foss"
Que serait-il devenu s'il se trouvait ailleurs qu'en Haiti au moment de la catastrophe ? Le mal d'amour est souvent plus grave que le mal de terre , le mal de pa ni kay, pa ni dlo, pa ni konfow
Tout ça fini toujours par s'arranger ,mais la distance , être au loin de ce qui fait ton coeur vibrer , ça , c'est grave !
plis foss , jimmy