jeudi 20 mai 2010

Le rapport à l'argent


Avant de prendre l’avion pour NY, je devais passer à la banque. La caissière regarde attentivement les trois chèques qui totalisent près de 400 $US. Elle trouve qu’il y a un 94 sous (centimes) qui pourrait ressembler à un 74. La valeur du chèque en écriture confirme 94, mais la façon dont le 9 est écrit pourrait faire penser que c’est un 7. Analyse de 10 minutes des trois chèques, conciliabule avec un superviseur et une gérante, juste ce qu’il fallait pour titiller ma patience. « Je m’en fous, considérez que ces 74 cents, on m’attend dans la bagnole, je pars en vacances !!! » Après ce bon 15 minutes, on tire la conclusion qu’on me doit bien 94 sous mais, on n’a pas la monnaie… Après quinze minutes de ‘niaisage’, je partirai donc de la banque avec 75 des 94 sous qu’on me devait. On est à la banque et on n’a pas de monnaie pour me donner 94 sous !!! Et ce n’est pas la première fois. Les services bancaires haïtiens sont, disons poliment, très particuliers. Le paradoxe de celui qui pense à se donner le moyen de gérer des grosses affaires sans même avoir la capacité de conclure les petites ! Dans mon ancienne vie, j’ai été officier d’un conseil d’administration pendant plus de dix ans. J’ai probablement signé 1000 chèques par année durant toute cette période et jamais mon gribouillis de signature n’a été remis en question. Ici, j’ai signé 20 chèques et 6 ont été retournés pour des irrégularités dans ma signature : Le nombre de sous-gribouillis dans mon gribouillis pouvant varier d’une journée à l’autre. En fait, il est toujours plaisant de passer à la banque dans un pays où le rapport à l’argent devrait, selon moi, faire l’objet d’études anthropologiques. Coincés entre la pauvreté extrême (donc de l’absence d’argent), l’abondance visible des classes riches et des expats (les inégalités dans l’accès à l’argent) et la corruption (l’argent malpropre), les haïtiens et l’argent font un drôle de couple. J’ai déjà raconté cette histoire d’un billet de 250 gourdes restés plus d’une heure sur les marches du stade de foot de PAP (http://jeanfrancoislabadie.blogspot.com/2009/03/journee-de-premiere.html), personne ne voulait être qualifié de voleur en le ramassant ! Au même moment, la corruption est partout, petite comme grande, tout le monde réussit à soutirer un petit morceau de ce à quoi il peut avoir accès. Il y a donc cette espèce de précaution maladive face au cash, précaution qui fait que les banques tètent sur des niaiseries et que tous les ayisien avec qui je travaille ne veulent d’aucune manière être responsable de gérer directement le moindre sou : « Je te laisse l’argent Labadie, c’est préférable que ce soit toi qui s’en occupe. »

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