jeudi 14 janvier 2010
Premier lendemain : 2
23 heure 45. Journée de fou. Circuler dans les rues de Port-au-Prince pendant près de 6 heures entre l’Ambassade canadienne, le bureau, l’Hôtel Montana, d’autres bureaux canadiens et l’hôtel Karibe. Le bas du quartier de Musseau est complètement démoli. Les maisons construites les unes sur les autres sont maintenant empilées les unes sur les autres. Le quartier du Canapé-Vert donne les mêmes allures. Nous sommes allés voir le market qui s’est effondré sous mes yeux. La dévastation ressemble à un gros château de carte, les étages confortés les uns sur les autres, bien collés. Les jeunes avaient déjà commencé à circuler entre les morceaux de béton pour piller des téléphones cellulaires ou des cannes de conserve. Les images sont celles que vous voyez à la télé à la différence que la même ne nous est pas présentée 1000 fois. En fait, les 1000 images différentes se ressemblent, la désolation a une limite. Les haïtiens sont partout dans les rues, des campings de fortune dans les jardins de la primature, sur des terrains de soccer ou sur tout endroit laissant un espace dépourvu de toiture. Ils se préparent à y passer une deuxième nuit. L’entrée de l’hôtel Villa Créole qui sert d’hôpital ou plus de cent moun attendant des soins, les premiers comme les derniers. Les trottoirs sont été remplis de moun, vivants comme morts. Les morts bien enveloppés dans des draps, les vivants dans leur résignation. Si les rues ayisiene débordent de sourires et de bruits de manière générale, on a senti toute la journée un profond silence déambuler sur les trottoirs. La sérénité d’une population sur qui la chance ne s’est jamais fait un siège un tant soit peu confortable. On a le sentiment qu’intérieurement, ils crient : « Crisser nous patience trente seconde ! ». C’est ce que j’ai crié pour eux toute la journée.
L’internet ne dérougit pas. Plusieurs dizaines de courriels sont entrés, d’amis inquiets et d’inconnus qui veulent que nous retracions leur sœur, leur frère ou n’importe qui de proche. Mon blogue normalement visité par une quinzaine de personnes par jour a reçu plus de 3500 visites aujourd’hui ! Des journalistes de la France et du Québec veulent m’interviewer pour m’entendre dire que j’ai eu peur, que des morts jonchent les trottoirs, que les buildings se sont effondrés. Tout ce que tout le monde sait déjà ! Drôle de commerce.
La soirée a été ponctuée de répliques. Petites mais vicieuses. Notre niveau d’anxiété (ajouter la fatigue) est tel que le moindre mouvement nous place en alerte. Injustifiée mais efficace comme stress. L’enjeu pour les prochains jours concerne premièrement les ressources : les gens auront-ils assez d’eau, de diesel (génératrice et voiture) et de bouffe. Notre inquiétude personnel est tout à fait gérable, on peut penser que les activités économiques auront recommencé à exister au cours des prochains jours dans notre quartier moins affecté. Pour le reste de la population, la réflexion prend la forme d’une urgence.
On se couche fatigué et un peu anxieux, on souhaite que les répliques « nous crissent la paix pour quelques heures ! »
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3 commentaires:
Depuis ce Noël où je vous ai découvert je viens vous lire pour découvrir encore autrement ce peuple et cette terre qu'une de mes amis connait bien. Vous savez, comme lui, parler de l'humain, nous faisant vivre près de lui. Et aujourd'hui plus encore, vous qui partagez cette catastrophe avec sensibilité et sans voyeurisme. Très grand courage et surtout merci de nous permettre de nous associer à vous tous, là bas sur cette terre qui n'est que le reflet de tout ce que faisons sur la terre entière. Merci !
Bonjour,
Je ne trouve pas les mots pour exprimer toute l'émotion qui m'envahie. Je suis née en France et j'ai de la famille à Port au Prince et Pétionville. Je ne les connais que de manière épistolaire c'est pourquoi je ne sais où ils en sont à ce jour. En lisant votre blog j'ai été réellement touché et ai ressenti ces milles images que vous devez voir défiler depuis le drame, ce qui change de cette même image que l'on nous repasse en permanence. Je vis près de Nantes et ce matin on entend beaucoup de dons de collectes et les inquiétudes des parents adoptant des enfants. On parle reconstruction, la France n'extradera pas les sans papiers haïtiens. Plus personnellement j'attends ce coup de fil d'un oncle qui vit entre New York et ayiti et qui par chance était à New York ce jour là, lui seul me donnera des nouvelles de notre famille sur place. Bon les élans de solidarité en France sont nombreux beaucoup d'asso pour l'humanitaire , d'appels aux dons etc... J'espère vous lire et suivre une réalité en dehors du massmedia et j'espère retrouver des membres de ma famille. Bon courage.
Lorina Leandre
Bonjour...
Normal que vous ayez eu 3500 visiteurs...Vous étiez en 1ere page quand j'ai tapé "séisme à Haiti", via un site de nouvelles...dont j'ai oublié le nom..J'ai juste relevé votre lien de blog..
Je vous ai même mis en lien, pour avoir une autre idée de ce qui se passe là-bas et, surtout, lire vos anciens articles depuis que vous êtes arrivés là-bas..
En France, toutes les radios, télés appellent aux dons..Et, ça marche...
C'est vrai que nous voyons toute la journée en boucle des images apocalytiques de Port-au-Prince...On nous montre des morts partout, partout..Notre cerveau de" bien-portant", pour qui 5 cm de neige ou 20 mm d'eau le met déjà en ébullition, alors, je vous dis pas ce qu'il ressent en voyant ces images.."bien réelles", pas comme au cinéma....Est-ce du voyeurisme de notre part ? De la pitié ? De se dire que nous, nous avons bien de la chance, même si nous nous "gelons les miches", je n'en sais rien..
Hélas, on sait bien que, passés les 15 1ers jours, nous oublierons Haiti et ses habitants rescapés de l'enfer, enfer qui va certainement durer pour eux encore longtemps...De loin en loin, on nous montrera des images.....comme pour le tsunami...qui, tant d'années après montre des pays encore dévastés...malgré les dons astronomiques...
Ce qui m'a interpellé en France, c'est d'avoir lu que les procédures d'expulsions avaient été suspendues...Comme si elles auraient pu continuer à être en application.. Je vois d'ici les sans-papiers haitiens débarquer à l'aéroport...
Parfois, je me demande si nous ne sommes pas tombés sur la tête...
J'ai commencé à lire vos 1ers articles.....On lit beaucoup de choses sur Haiti...Mais, le lire par quelqu'un qui y vit, c'est autre chose...
Bonne chance à vous..Que dire d'autre devant cette abomination !
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