samedi 29 janvier 2011

Le cauchemar de la dictature est moins pénible que celui de la démocratie


Je mets la switch rose-bonbon à off. Pour ce billet du moins. Depuis deux semaines, je suis toujours estomaqué du silence ambiant concernant la présence de Duvalier dans ce pays. Je pense au silence des ayisien, ceux qui ont été (ou auraient été, on en n’est plus trop certain) les victimes de ce régime. Il arrive même qu’un ‘tabarn…, réveillez-vous’ me vienne à l’esprit. En fait, je ne comprends pas que les gens ne soient pas dans les rues… Dans toutes les discussions que j’ai eues avec les collègues et amis haïtiens depuis deux semaines, il semble se dégager deux éléments d’explication pour donner un sens à ce qui est pour moi une non-réaction. Le premier est que ceux qui devraient sortir dans les rues sont ceux-là mêmes qui ont participé à l’édification du fiasco dans lequel la démocratie a amené le pays. La gauche intellectuelle (dans la mesure où ce concept peut avoir un sens dans le no man's land idéologique de la vie politique haïtienne) qui contestait le régime de Duvalier, est cette même gauche qui a participé à pousser la dictature hors du pays et à installer à partir de 1990 le tandem Aristide-Préval. Le discours de la gauche ‘humaniste’ a rapidement perdu sa place pour donner le micro aux appels à la violence contre les macoutes et les mulâtres (« vous savez où est l’argent, vous n’avez qu’a`aller le chercher », les appels au dechoukaj, au supplice du Pè Lebrun, … ), avant d’être démagogiquement instrumentalisé par le Curé Aristide (la théologie de la libération). Les intellectuels de la gauche haïtienne auraient depuis été évincés de l’espace politique haïtien et n’auraient donc plus réellement droit au chapitre, celui qui fait sortir les foules dans les rues du moins. Il ne resterait que la voix de quelques défenseurs haïtiens des droits humains à qui lancer la pierre serait une hypocrisie, les grandes voix internationales des droits humaines s’étant tus pendant les 25 dernières années de la vie de millionnaire que Duvalier a pu mener en France. La deuxième explication est conjoncturelle. C’est celle que l’on entend sur plusieurs postes de radio ou à la télé quand un journaliste met le micro sous le nez d’un passant. Dans son ensemble, le cauchemar de la population haïtienne aurait réellement débuté avec la fin de la dictature. La violence de la dictature était circonscrite aux opposants du régime alors qu’aujourd’hui, l’insécurité gagnerait toutes les couches de la population. Les chimè, les kidnappings, les braquages, la petite criminalité, ce qui ferait trembler toute la population haïtienne. La vie économique aurait été elle aussi plus facile à l’époque de Duvalier : « Tout le monde mangeait, pas beaucoup, mais tout le monde mangeait quand même. » Quant à la corruption, disons simplement que Duvalier ne serait pas réellement en mesure de donner des leçons à ceux qui l’ont suivi depuis la fin des années 1980. Sous la dictature, il y avait au moins de l’ordre et la maison était propre, les ayisien étaient dignes, respectables. La vie était plus facile, les enfants jouaient dans les rues sans avoir peur de se faire enlever. Ainsi, ce qui ressemble aujourd’hui à une victoire de Duvalier, correspond probablement à la défaite de la démocratie politicienne haïtienne. On n’a qu’à regarder le cirque qu’a été le dernier exercice démocratique pour comprendre que la population en arrive à confondre politicien et vide. Les gens ne sont donc pas dans les rues parce que le dictateur ne fait pas plus peur que les démocrates qui l’ont suivi, que ceux qui criaient n'ont plus de voix. Que le cauchemar de la dictature est moins pénible que celui de la démocratie.

1 commentaire:

Pauline a dit…

constat terrible et affligeant, malheureusement